Messe du 3e dimanche de Carême

 

Père Louis Crausaz, à la chapelle des Rédemptoristes, Matran, FR, le 14 mars 2004

Lectures bibliques : Exode 3, 1-15; 1 Corinthiens 10, 1-12; Luc 13, 1-9 – Année C

Il faut l’avouer, le texte de l’Evangile que nous venons de lire est difficile à comprendre. Pourtant, il rejoint nos réactions : Quand quelqu’un est frappé par un malheur, une maladie grave, par exemple, son entourage s’empresse de trouver des raisons : il travaillait trop, il ne dormait pas assez, il fumait beaucoup… que sais-je ! Il nous faut un responsable. Autrefois, on cherchait ce responsable en Dieu : dans les malheurs, c’est Dieu qui punissait ; dans le bonheur, c’est Dieu qui récompensait. Jésus nous dit clairement : ne croyez pas que ces gens qui ont subi un malheur soient des coupables que Dieu a punis. Dieu ne vous court pas après, pour vous punir ou pour vous récompenser. Il remet l’homme à sa liberté. Sa vie durant, l’homme apprend à se tourner vers Dieu, librement.

Aujourd’hui, nous faisons moins appel à Dieu. Nous finissons par penser que Dieu est lointain, indifférent. Or, la première lecture nous révèle que Dieu est tout proche. Il voit ! Il écoute la souffrance de son peuple ! Il est décidé à intervenir pour libérer et pour sauver. Moïse se réjouit de cette bonne nouvelle. Mais voilà que Dieu lui dit : « Je compte sur toi. Je fais appel à toi. Va trouver Pharaon ». Moïse est effrayé ; il ne peut que répondre : « Mais que suis-je, moi, pour faire une telle démarche »… Dieu lui répond : «N’aie pas peur, je suis avec toi. »

« Je suis avec toi » ! A la messe, vous entendez : « Le Seigneur est avec vous » ! C’est la même message : « vous êtes dans un monde que le mensonge, l’injustice, l’égoïsme déforment, c’est vrai. Le Seigneur en souffre avec vous. Lui aussi, lui plus que vous, veut un autre monde. Alors il vous fait confiance ; il vous appelle à travailler avec lui à créer ce monde nouveau. En vous appuyant sur lui, n’ayez pas peur d’aller trouver pharaon, même si votre pharaon, c’est votre patron ou votre collègue, ou votre voisin. Ou peut-être votre mari ou votre femme. Ou peut-être tout simplement une part de vous-même que vous n’avez pas encore apprivoisée. N’ayez pas peur, le Seigneur est avec vous.

C’est la même expérience qu’a faite St Alphonse, le fondateur des rédemptoristes dont on vous parle aujourd’hui. Dans un monde de théologiens et de moralistes qui, pour défendre les droits de Dieu, durcissaient leur cœur et proclamaient avant tout les devoirs des hommes, sans craindre de les écraser et de les exclure, il a découvert que Dieu est amour, Amour qui sauve. Il fait vivre de son amour même les gens les plus simples, les plus pauvres, les plus méprisés. Surtout eux ! C’est pourquoi il a passé les frontières des convenances sociales et il est allé vers eux. Il s’est installé parmi eux, il leur a révélé leur dignité. Il n’en a pas fait les objets de son zèle mais des acteurs de leur vie, en réponse à l’amour de Dieu.

Rendre les gens les plus simples acteurs de leur vie, c’est le sens profond de la démarche missionnaire. Par exemple, celle du Père Frésard, que vous avez entendu en introduction à cette messe. C’est aussi celle dont témoigne notre confrère, Monseigneur Roger Aubry. Toute la mission dont il a été chargé dans le diocèse de Reyes en Bolivie, il la place sous le signe d’un Dieu qui veut sauver.

« Ce que j’ai surtout découvert là-bas, c’est que Dieu aime les hommes, c’est qu’il y a une seule vocation humaine, une et unique et qui est divine pour tous ; nous sommes tous des frères et des sœurs, aimés de Dieu et sauvés par Dieu et appelés à partager sa vie en profondeur. Alors je crois que c’est cette annonce de bonne nouvelle qui est une urgence à savoir que Dieu veut sauver tous les hommes. Ce qui est intéressant, c’est ce que dit par exemple le Concile – pour moi c’est l’une des choses les plus fortes que le Concile ait pu dire et que nous devons croire -. Il parle non seulement des chrétiens mais des non-chrétiens, des gens qui ne connaissent pas encore Jésus-Christ : « Nous devons croire que l’Esprit Saint, d’une manière que seul Dieu connaît, associe tous les hommes à la Pâque du Christ », c’est-à-dire à sa mort rédemptrice et à sa gloire dans le ciel, dans la vie en plénitude. Je crois que c’est cela que nous avons à pouvoir reconnaître aujourd’hui dans notre monde. » (Mgr Roger Aubry)

La tenture de notre chapelle est une représentation de cette Bonne Nouvelle. Au sommet, un œil ! Dieu révèle à Moïse qu’il voit ! Son regard est libre ! Il ne se laisse pas impressionner par les puissants ni par les malins. Il donne son attention aux petits, aux humbles, à ce qui est vrai.

 

La tenture rassemble les œuvres d’hommes et de femmes de différents pays, de différents continents et de différentes cultures… L’amour de Dieu passe les frontières et rejoint chacun dans ce qu’il est et dans ce qu’il vit. Et même dans ce qu’il rêve, en profondeur. Il le fait entrer dans le mystère de la rédemption, représentée par la Croix. Cette croix est discrète, il faut donner son attention pour la voir. Aujourd’hui les croix ne s’imposent plus dans les carrefours ni sur les murs des écoles ou des hôpitaux. Dieu se révèle à ceux qui le cherchent. Il se révèle à tous ceux qui le cherchent, si différents que soient les chemins parcourus.

Au centre, à la croisée des bras de la croix, rayonne une couronne de perles. Elle symbolise la Résurrection. La victoire de la lumière, de la vie, de l’amour dans le monde où nous vivons.

Cette victoire est source d’espérance. Et l’espérance suscite des relations nouvelles : les mains sortent des poches, les poings s’ouvrent, les bras s’allongent pour accueillir la sphère de lumière qu’est l’espérance du voisin et la transmettre au prochain. Cela crée un mouvement de communication qui rend la vie légère et qui devient danse. Il donne à chacun une histoire unique, un visage unique, une mission unique. C’est pourquoi un visage sans prétention trône au-dessus de la croix.

Il nous reste à ouvrir le bon œil pour découvrir les signes de l’amour de Dieu et la dignité de chaque personne humaine. Il nous reste à ouvrir la bouche pour nous associer au cri des pauvres et des victimes, comme l’a exprimé cette étudiante de Madrid. Nous associer aussi à la louange des libérés, car Dieu est à l’œuvre en ce monde ! Ouvrir la bouche, encore, pour boire aux sources de la vraie vie ! Jésus-Christ nous y invite en ce temps de Carême. Ecoutons encore comment Monseigneur Aubry met en évidence l’ouverture du coeur, préalable à tout partage.


« Le Carême est forcément un temps de partage parce qu’il nous associe à la Pâque du Christ qui est le don de la vie aux hommes. Tout ce qui fait vivre, tout ce qui les rend libres, tout ce qui les met en dignité, c’est cela que la Pâque veut partager avec eux. Je crois que ce temps de Carême nous invite à ce partage. Et je crois que la première chose du partage c’est d’ouvrir son cœur vers les autres peuples, c’est d’ouvrir son cœur vers les autres, c’est d’être sensible aux problèmes humains du monde aujourd’hui, de tous ces peuples, qu’il s’agisse de l’Afghanistan qui a tant souffert, et de tant d’autres peuples. Que le cœur soit ouvert, c’est la première réalité du partage ; sinon il y a rien à partager ou on partage seulement avec les petits amis. Alors ce n’est plus le vrai partage. Le partage est forcément universel. Je dois être prêt à partager avec n’importe quel homme de ce monde, parce qu’il est mon frère et qu’il est ma sœur. » (Mgr Roger Aubry)

 

 

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