Messe du 2e dimanche de Pâques

 

Chanoine Jean-Claude Crivelli, centre d’accueil La Pelouse, Bex, le 11 avril 2010
Lectures bibliques :
Actes 5, 12-16;
Apocalypse 1m 9-11a.12-13.17-19; Jn 20, 19-31 – Année C

Il y a une semaine, nous méditions ensemble sur cette question qui traverse les Evangiles de la Résurrection : où donc se trouve aujourd’hui le corps du Christ ? Et, avec les femmes venues au tombeau, nous recevions cette réponse : « Il n’est pas ici, il est ressuscité » (Lc 24, 6). Désormais le lieu de la Présence, c’est la communauté de ceux et celles qui « croient sans avoir vu » (Jn 20, 29). Le corps c’est la communauté Eglise qui est appelée à devenir son corps. Par Eglise nous entendons la communauté des hommes et des femmes qui acceptent de se laisser greffer  sur le Christ pascal, c’est-à-dire sur l’Agneau immolé et vainqueur – sur « le Vivant » (Ap 1, 18) ; de se laisser prendre à leur tour par le don de soi, d’être au cœur de notre monde les signes d’une manière nouvelle d’être au monde.

De cette communauté nouvelle, vous êtes les signes et la promesse, frères et sœurs qui êtes assemblés ici ce matin à la Pelouse, mais vous aussi qui nous rejoignez sur la chaîne radio. Par choix délibéré ou par hasard – au hasard d’une touche pressée sur votre récepteur. Mais, par le biais de ce hasard, une question vous est posée – c’est la même question qui était posée aux catéchumènes du monde entier lors de la Vigile pascale : voulez-vous faire partie de cette humanité nouvelle ? Cette humanité pour laquelle Christ  a donné sa vie une fois pour toutes. Voulez-vous être humains d’une manière neuve ? C’est-à-dire en refusant de vous considérer comme étant vous-mêmes l’origine de votre existence, d’envisager celle-ci comme l’affirmation et l’expansion de votre ego jusqu’à écraser les autres. Voulez-vous rejoindre le petit peuple des hommes et des femmes qui ont accepté d’être libérés de leur propre identité parce qu’un jour ils ont réalisé combien elle était   petite et minable,  et donc autodestructrice d’elle-même ? C’est une nouvelle naissance que l’Evangile vous propose :  d’être réengendrés à nouveaux frais, refondés, non plus sur vous-mêmes, mais sur un don gratuit qui vient d’ailleurs – de la mort et de la résurrection du Christ. La seule raison d’être de l’Eglise est de faire cette proposition aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui. Le Christ la désigne pour cette seule mission, quand, dans l’Evangile de ce dimanche, il parle du pardon des péchés : « Recevez l’Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis… » (Jn 20, 23)

Or l’Eglise – qui a pour mission de proposer au monde cette nouvelle manière d’être humain fondée sur le don gratuit de soi, de proclamer ce qu’en termes techniques l’Evangile nomme « pardon des péchés » – ne saurait être dispensée de recevoir elle-même ce qu’elle annonce. « La paix soit avec vous ! », dit le Seigneur ressuscité aux disciples qui l’avaient abandonné lâchement lors de sa passion. Entendez par là : «  Je vous pardonne. Et le pardon que je vous accorde fait de vous les premiers témoins de cette humanité nouvelle qui ressuscite en moi. » Les graves accusations qui déferlent sur l’Eglise catholique officielle depuis plusieurs mois arrivent sans doute à point nommé, rappelant à ceux-là qui sont les successeurs des Apôtres, combien leur mission s’origine dans le pardon qu’ils ont pour vocation d’annoncer au monde. Joseph Ratzinger signalait, voici quelques années déjà, que les Pères de l’Eglise ont exprimé ce fait en faisant appel à l’image crue de la casta meretrix [la chaste prostituée] : par son origine historique, l’Eglise est une prostituée, qui vient de la Babylone de ce monde ; mais le Christ notre Seigneur l’a lavée et a transformé la prostituée en épouse. H. Urs von Balthasar a montré […] qu’il ne s’agit pas seulement d’une affirmation historique, au sens où l’Eglise était jadis impure et où elle est devenue pure, mais qu’elle souligne la tension existentielle permanente dans l’Eglise. L’Eglise vit perpétuellement du pardon, qui la transforme de prostituée en épouse ; l’Eglise de toutes les générations est Eglise par la grâce, et Dieu y appelle sans cesse des hommes de Babylone où, de leur propre gré, ils vivent(1).

Ce que le Christ ressuscité – et ce même Christ reste le Crucifié – demande à Thomas, entendez à l’Eglise,  ne serait-ce pas de renoncer à une fausse sagesse ? de porter un regard critique sur elle-même ? De se laisser libérer, elle aussi, des « mauvais esprits » (cf. Ac 5, 16) : de certains idéaux de perfection arrogante, et de se laisser humblement refonder dans le don gratuit de Dieu ? Dans cette sagesse de Dieu, définitivement révélée par la mort et la résurrection du Christ(2).

1) J. Ratzinger, « Franchise et obéissance », dans Le Nouveau Peuple de Dieu, Paris, Aubier, 1992, avec une allusion à H. U. von Balthasar, « Casta Meretrix », dans Sponsa Verbi, Freiburg i.B., Johannes Verlag, 1961. f.
2) CF. Vouga et J. –P. Favre, Pâques ou rien. La Résurrection au cœur du Nouveau Testament, Genève. Labor et Fides, 2010, 90-92.

 

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