Onction des malades lors du Pèlerinage de la Suisse romande à Lourdes

 

Abbé Pierre-Yves Maillard , à Lourdes, le 13 mai 2009 (diffusion le 21 mai)
Lecture biblique : Luc 1, 39-45 – Année B


Depuis trois jours ici à Lourdes, quand nous nous croisons, sur l’esplanade ou sur une terrasse, quand nous pouvons échanger quelques mots, si nous nous connaissons un peu, vous êtes nombreux à me donner quelques nouvelles de vous, de vos familles ou de vos paroisses. Ce sont souvent de bonnes nouvelles, des nouvelles de joie, qui nourrissent notre reconnaissance et notre action de grâce. Mais parfois aussi, ce sont des nouvelles plus douloureuses, des soucis partagés, des souffrances confiées. Et c’est aussi pour cela que nous venons à Lourdes, dans cette démarche filiale et confiante où nous levons vers le ciel les petites flammes de nos prières, comme hier soir à la procession, assurés de la proximité et de l’intercession de la Vierge Marie.

La souffrance est toujours une énigme. Elle n’a pas de sens. Il nous faut toujours en parler avec une extrême prudence. La souffrance de l’autre reste toujours mystérieuse, insaisissable. Il faut être très humble quand on parle avec quelqu’un qui souffre. Trop souvent, on risque de vouloir donner une explication là où l’autre attend seulement une écoute ; on voudrait apporter une solution alors que l’autre espère seulement un chemin. Bien sûr, nous avons la foi, et  c’est une grâce immense. Mais nous savons aussi que la foi ne dispense pas des épreuves de la vie. « Croire, c’est facile, disait Péguy. C’est l’incroyance qui est difficile. Mais au contraire, poursuit Péguy, désespérer, c’est facile; c’est l’espérance qui est difficile ».

Cet après-midi, dans cette église, nous voulons poser un geste d’espérance. Dans le sacrement de l’onction des malades, nous savons et nous croyons que le Christ est présent et agissant, réellement, comme une grâce de vie et de guérison. Dans le Nouveau Testament déjà, saint Jacques nous demande de prier pour les malades et de leur imposer les mains. Nous savons que la souffrance est absurde. Dieu ne l’aime pas, et ne la veut pas. Mais dans le Christ, nous croyons qu’elle peut devenir chemin de vie. Avec Paul Claudel, nous reconnaissons que Jésus-Christ n’est pas venu supprimer la souffrance. Curieusement, il n’est même pas venu l’expliquer. Mais il est venu la remplir de sa présence. C’est la merveille de notre foi ; c’est comme si Jésus, face à l’énigme du mal et de la souffrance, disait : « J’en fais mon affaire, je la prends sur moi, c’est par là que je veux moi aussi passer pour vous conduire à la vie inouïe de Dieu ».

Depuis Pâques, la vie du chrétien n’est pas forcément plus simple. La foi en Jésus vivant ne dispense pas de nouvelles questions, ni de la possible inquiétude devant le retard des réalisations des promesses du Christ. La racine de notre peur, toutefois, apparaît désormais arrachée. « La mort est morte, dira saint Augustin : en toi aussi la mort mourra, et la joie seule vivra ». La foi en la présence agissante de Jésus ressuscité dès cette vie apparaît comme une parole folle – moins folle peut-être que tant de paroles vaines échangées depuis la nuit des temps. Face à un monde qui semble se précipiter vers la mort parce qu’il n’ose pas vivre, nous pouvons croire au contraire que la vie est si belle qu’il vient un jour où elle n’en finira plus, et que nous pourrons nous aussi nous tenir, éternellement à vif dans la clarté d’un matin de Pâques.

Notre route ici bas se poursuit, dans l’alternance des jours et des nuits. Mais si le chemin devient difficile, nous savons que le difficile peut aussi devenir chemin. Notre évêque Mgr Bernard Genoud, qui préside ce pèlerinage, l’écrivait dans le livre qu’il publia  à l’occasion de son ordination épiscopale, il y a dix ans : « Si j’arrive à saisir que Dieu ne peut pas vouloir le mal, je n’en comprends pas mieux pour autant ce mystère de la Nuit. Mais le germe de la révolte est éradiqué. Je commence alors à pouvoir entrer dans la foi, c’est-à-dire dans la confiance. Dieu me glisse à l’oreille du cœur : « Crois-tu vraiment que je puisse laisser faire ça pour rien ? Oublies-tu que tu es mon enfant préféré ? Un jour, tu pourras saisir les fécondités cachées de ce qui t’apparaît aujourd’hui comme le sommet de l’injustice. Allons, crois-tu que je puisse laisser faire ça pour rien ? »

En ce jour, chers malades, nous voulons vous assurer de notre proximité et de notre prière. Nous savons que notre prière est toujours entendue par Dieu, car quand nous demandons à Dieu de se souvenir de nous, il ne se souvient pas « parce que nous lui demandons de se souvenir » ; il se souvient « parce qu’il est Celui qui se souvient » ; et quand nous demandons à Dieu de se souvenir de nos prières, c’est nous qui retrouvons la mémoire, c’est nous qui nous souvenons que Dieu est toujours à nos côtés sur la route.

En ce jour, enfin, nous voulons aussi prier pour vous, les hospitaliers et hospitalières de ce pèlerinage. « Le service », c’est le thème de notre troisième jour de pèlerinage. Eh bien c’est vous, surtout, hospitalières et hospitaliers, qui vivez ici cet aspect de notre foi, cette dimension de la vie de Bernadette qu’elle a si bien pratiquée à Lourdes comme à Nevers. Certains parmi vous ont sans doute prié aujourd’hui l’office des lectures dans le bréviaire : vous avez vu que la lecture de ce jour est tirée de l’épître à Diognète, ce texte qui demande aux chrétiens d’être, dans le monde, ce que l’âme est dans le corps. Eh bien c’est vous, infirmières, brancardiers, qui êtes en quelque sorte l’âme de ce pèlerinage. C’est vous qui faites de Lourdes ce lieu de charité où les uns, dans un temps donné, deviennent les bras, les mains, les yeux pour tous les autres, pauvres, aimés pleinement de Dieu. Saint Jean Chrysostome nous apprend que l’autel vivant et humain qu’est chaque frère est plus sacré que l’autel de pierre, car sur le deuxième le Christ est offert, mais le premier est le Christ lui-même. En servant vos frères, chers infirmières et brancardiers, c’est le Christ lui-même que vous servez et honorez, c’est lui que vous visitez. « Quelle merveille, s’écrie Elisabeth dans l’évangile de ce jour, que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ! » – « Quelle merveille plus grande encore, pouvons-nous lui répondre en écho, que le Sauveur lui-même, aujourd’hui encore, vienne jusqu’à nous, par le sacrement des malades et par tous les gestes de tendresse et de service que vous posez ! » C’est par vous qu’ici à Lourdes, nous comprenons que le rayonnement de la tendresse de Dieu peut déjà illuminer et transfigurer toute douleur en promesse de gloire.
Amen

 

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