Messe du Jeûne fédéral

 

Pascal Marmy, diacre, à l’église St-Marcel, Delémont, le 15 septembre 2002.

Lectures bibliques : Ben Sirac le Sage, 27, 30 – 28, 7; Romains 14, 7-9; Matthieu 18, 21-35

La mesure de l’amour, c’est d’aimer sans mesure !
La mesure du pardon, c’est de pardonner sans mesure !
Le pardon fera de vous des hommes et des femmes libres !

Cet appel, frères et sœurs, résonne au cœur de l’Evangile de ce jour. Il semble exigeant. Mais lui seul peut libérer notre cœur pour accueillir le Père qui nous aime au-delà de ce que nous pouvons imaginer. Lui seul peut nous rendre disponibles à agir avec ce même amour envers notre prochain.

C’est le pardon qui rend libre, alors que la rancune et la vengeance enchaînent. Elles entraînent celui qui leur succombe comme dans une spirale abominable, pour reprendre le mot du Sage de l’Ancien Testament. Dans la Bible, est abominable ce qui est absolument contraire à l’Alliance de Dieu avec les hommes. Or, cette Alliance est source de vie, de création, de résurrection. Trahir cette Alliance, c’est trahir la vie.
La Parole de Dieu est une lampe sur nos pas, écrivent nos évêques dans leur message pour ce dimanche du Jeûne fédéral. Elle est le guide de nos discernements.
La parabole de l’Evangile de ce jour est bien ce guide lorsqu’elle nous montre la nécessité incontournable du pardon, pour la vie du monde, de l’Eglise, de chaque baptisé.
Nous avons vu Pierre s’approcher de Jésus et l’interroger sur le pardon. Pierre s’approche ! Et non un autre disciple. Cela a toute son importance. Pierre, c’est lui le responsable premier de l’Eglise naissante. Il donne le ton à la vie de l’Eglise. Il est dorénavant dépositaire de cette parole fondamentale : Pardonne à ton frère qui a commis une faute contre toi, non pas 7 fois, et c’est déjà beaucoup, vous en conviendrez, mais 70 fois 7 fois. C’est-à-dire toujours, indéfiniment.
On est bien au-delà d’un pardon murmuré du bout des lèvres ou donné du bout des doigts. Un pardon de cette ampleur demande du temps et de l’engagement, il gagne tous les aspects de la vie d’une personne, il habite tous ses gestes et toutes ses paroles, il devient une attitude de vie.
Cette parole de Jésus, Pierre et ses successeurs ont mission de la réaliser. C’est bien dans cette mouvance que se place le pape Jean Paul II, lorsqu’à son tour, il demande pardon pour les fautes commises par l’Eglise et ses représentants. Même si certains estiment ces demandes de pardon trop tardives ou trop timides, elles manifestent cette attitude fondamentale d’une Eglise qui reconnaît ses erreurs et veut apprendre à discerner afin de ne plus retomber dans les mêmes égarements. Ces demandes de pardon sont le chemin vers une plus grande fidélité à l’Evangile.

La parabole de ce jour manifeste combien le pardon est libérateur pour celui qui le reçoit et le donne, alors que la haine enferme.
Le serviteur qui doit dix mille talents a bénéficié de la miséricorde et de la remise de dettes de son maître. Il est tombé à ses pieds. Et son maître s’est laissé saisir de pitié. Il l’a relevé, l’a laissé partir, l’a libéré de toute dette, lui et sa famille.
Mais ce serviteur exerce mal sa liberté nouvelle qu’il confond avec un pouvoir dont il abuse. Le voilà dans le rôle du tortionnaire qui opprime et met à terre le petit qui vient demander indulgence pour peu de chose.
Quelle disproportion entre le cadeau dont il a bénéficié et l’insignifiance de ce qu’il réclame à l’autre !
Ce manque de bienveillance n’est pas sans effet, puisque son maître va s’emporter contre lui, l’enfermer dans la prison de sa rancune et le livrer aux mains des bourreaux de sa convoitise et de sa jalousie.

Dans son livre « Comment pardonner ? » (Ed. Novalis/Bayard 2001), Jean Monbourquette confie au lecteur une fable sur le pardon : c’est l’histoire d’Alfred et Adèle que sépare l’infidélité d’Adèle. Dans son désir de vengeance, Alfred fait peser sur son épouse le poids de son regard dur et sombre. A chaque regard, il sent tomber dans son cœur un caillou gros comme un bouton. A chaque fois, il ressent un pincement qui lui arrache une grimace. Son cœur s’alourdit.
Il lui faudra du temps pour accepter de détendre les plis de son front, les rides autour de sa bouche et les autres muscles de son visage. Il lui faudra du temps pour retrouver chez sa femme l’épouse qui a besoin de tendresse et se rappeler sa chaleur et sa générosité des débuts. A chaque regard renouvelé, un caillou sera ôté de son cœur… jusqu’à ce qu’il puisse donner son pardon et ouvrir ses bras en vérité.
Le pardon l’a rendu libre, libre d’aimer à nouveau, libre de vivre à nouveau. Le pardon a ressuscité l’amour de ce couple.

Comment on aimerait que cette fable puisse devenir réalité, transposée à la vie de notre monde.
On verrait ainsi tous les pays du monde, dont la Suisse est maintenant vraiment solidaire comme membre de l’ONU, s’unir pour que la paix et la justice apportent un peu de confiance dans notre monde trop inquiet.
Au lendemain de la commémoration de l’attentat du 11 septembre 2001, on assisterait non pas à des actions punitives, on ne verrait pas s’élever des murs de haine. Mais on verrait un travail renouvelé pour une répartition plus équitable des richesses de ce monde, pour une reconnaissance réelle des valeurs des peuples et des cultures de notre humanité, pour une vraie solidarité aussi avec tant de drames trop vite oubliés à travers la planète.

Cet élan pour le pardon, il nous est donné en exemple par Jésus lui-même. Il nous a appris à prier en disant : Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Sur la croix, il a prié son Père par ces mots : Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.

Suivre cet exemple, nous dit l’Evangile, nous rend semblables au Père lui-même. Il nous appelle à cette audace, à cette liberté, pour trouver ensemble les chemins d’une Eglise et d’un monde selon le désir de Dieu.

 

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