Messe du dimanche de Pâques

Abbé Marc Donzé, à la basilique Notre-Dame à Neuchâtel, le 12 avril 2009
Lectures bibliques : Actes 10, 34-43; Colossiens 3, 1-4; Jean 20, 1-9 – Année B

 

Christos anesti. Alèthôs anesti.

Ces mots grecs sont une salutation : celle que se donnaient les premiers chrétiens au temps de Pâques.
Le Christ est ressuscité. Il est vraiment ressuscité.

Ces mots sont donc au cœur de l’échange le plus quotidien, du geste le plus spontané. Ils sont répétés des dizaines de fois au jour de Pâques. C’est dire que pour les premiers chrétiens, ils sont au cœur de la foi. Ils sont au cœur de la vie. Ces mots donnent à la vie le sel, la lumière, l’espérance. Ils lui donnent son envol au travers des pesanteurs terrestres, au travers du voile de la mort.
Pour les premiers chrétiens, la résurrection de Jésus est plus qu’une bonne nouvelle. Elle est une nouvelle éblouissante. Le voile de la mort est fracassé ; et ce qui se dévoile, c’est une vie sans frontières, sans ombres, sans larmes.
Quel passage : un condamné à mort – injustement condamné certes – expire après mille souffrances sur la croix; et voilà qu’il se tient debout à nouveau, archi-vivant. C’est bien lui qui se donne à voir aux Apôtres au-delà du mur de la douleur et des ténèbres ; il porte encore les traces glorieuses de son supplice.
Difficile d’imaginer un événement de vie plus inouï. Comment n’aurait-il pas impressionné Marie-Madeleine, les Apôtres et les autres jusque dans les fibres les plus intimes de leur être ? Comment n’aurait-il pas soulevé d’espérance les premiers chrétiens ? Comment ne serait-il pas devenu la « vie de leur vie », pour reprendre le mot de saint Augustin ?
Et nous, alors ? Eh bien, nous, nous pouvons entendre ce mot de saint Paul : « Vous êtes ressuscités avec le Christ. Recherchez les choses d’en-haut ». Étonnante, cette parole. Paul ne dit pas : vous serez ressuscités avec le Christ. Il parle au présent : vous êtes ressuscités avec le Christ, déjà maintenant.

Paul fait bien sûr allusion au baptême. Mais son acte de foi a une dimension plus profonde encore : vous faites – vous pouvez faire – dès maintenant l’expérience de la résurrection du Christ en vous. Le Christ vivant met en vous la puissance de vie de la résurrection, pour autant que vous y consentiez par l’ouverture de votre cœur. Avec Paul, j’en suis sûr, j’en pose l’acte de foi.

Ne le sentez-vous pas parfois ? Quand vous vous relevez après être tombé dans la ténèbre, quand vous trouvez des énergies insoupçonnées pour traverser les épreuves, quand vous mettez en œuvre des trésors de tendresse pour donner un pardon et recréer de nouvelles relations, n’est-ce pas déjà la puissance de la Résurrection du Christ qui agit en vous ?
Oui, si nous lui faisons place, la résurrection commence en nous, dès aujourd’hui. Comme elle avait commencé en Jésus dès sa naissance ! Car Dieu son Père lui a donné une telle force de vie, qu’elle pouvait fracasser la mort. Et Jésus a toujours vécu dans cette force de vie, de toute sa liberté d’homme.

C’est dans cette perspective que Maurice Zundel, le grand spirituel dont les restes reposent en cette basilique qui fut l’église de sa jeunesse, a posé cette affirmation qui surprend au premier abord : « Dans la vie de Jésus, ce qui est étonnant, ce n’est pas sa résurrection, c’est sa mort ; car, en Lui, il n’y avait rien à mourir ».
Il n’y avait rien à mourir : Jésus, du premier au dernier instant, était tout amour, tout don, toute communion avec Dieu et les hommes. Toute vie, par conséquent. Alors, pourquoi diable est-il mort, si j’ose dire ? « Il est mort de notre mort », dit encore Maurice Zundel. En nous, il y a des parcelles de mort, nous ne le savons que trop bien, chaque fois que nous choisissons ce qui piétine la vie. Il ne s’agit pas ici essentiellement de mort physique, vous le comprenez bien ; il s’agit bien plutôt de la mort intérieure, qui s’infiltre en nous, quand nous saccageons l’amour et la vie. Jésus a pris sur lui nos saccages, nos piétinements et nos morts. Dans une solidarité, dont nous ne pouvons guère imaginer les dimensions, Jésus l’Innocent est mort de toutes nos parcelles de mort. Et c’est pourquoi sa mort est si tragique, car elle porte toutes les tragédies de l’humanité, et les pires bassesses, et les pires trahisons.
Mais Jésus traverse la mort pour nous engouffrer dans la vie ! Lui, dont le cœur est totalement vivant, passe de la mort à la vie : le Père lui donne une puissance de vie, si éclatante qu’elle nous émerveille, qu’elle nous envahit même. Jésus nous ouvre le passage de la mort à la vie ; il passe la frontière avant nous, pour nous.

Voilà donc la bonne nouvelle de Pâques : « nous sommes ressuscités avec le Christ ». C’est une nouvelle renversante, si l’on y songe bien. Car elle bouleverse nos représentations spontanées. Nous voyons la vie aller vers la mort (physique, à tout le moins). La résurrection nous dit que notre vie, depuis le plus intime de nous-mêmes, va vers la lumière. Nous voyons le mal en nous comme un gouffre qui s’ouvre sous nos pieds; la résurrection nous dit qu’un chemin nous est offert pour aller à nouveau vers la vie. Nous voyons le monde autour de nous se déglinguer; la résurrection nous dit qu’un changement est possible : un saut quantique vers la lumière, si nous y consentons.

Nous sommes ressuscités avec le Christ. Nous pouvons être engouffrés dans la vie dès maintenant, depuis l’intérieur de notre être. Si notre liberté profonde consent à choisir la vie, car ce n’est pas automatique. Nous pouvons être vivants, d’une vie tissée de lumière, dès maintenant…
C’est pourquoi Maurice Zundel ose cette parole assez décoiffante : « L’important, ce n’est pas de savoir si nous serons vivants après la mort, mais si nous devenons vivants maintenant ». Voilà bien le défi qui nous est posé par la résurrection : être vivants maintenant. Car c’est maintenant que se tisse au fond de notre être le corps subtil d’amour et de paix qui traversera le voile de la mort vers la vie. Comme une œuvre secrète et belle qui prend figure au-delà au-dedans de notre pesanteur même et que la mort/résurrection mettra en pleine lumière.

Devenir vivants maintenant, à l’image de ces beaux christs romans, où le crucifié a déjà tellement l’air de ressusciter, voilà l’aventure à laquelle nous invite Pâques. Voilà l’audace qui nous est proposée. Je dis bien : audace, car cette aventure se vit dans l’obscur de la condition humaine. Elle est traversée, hélas, de souffrances, de doutes, de désespoirs parfois. Même saint François d’Assise, deux ans avant sa mort, fut pris d’une crise de doute et d’un amas de douleurs qui le laissaient dans un grand désarroi; Pâques n’efface pas les tâtonnements de notre humanité. Et puis, un jour, la lumière se leva en lui; il se mit à chanter la splendeur de frère Soleil… et même notre sœur la mort corporelle. Il avait traversé le doute. Déjà il fleurait bon la Résurrection. Et sa mort fut légère comme un envol d’alouettes. Car il était déjà pleinement vivant dans le maintenant de sa vie.
Que cette Pâque, donc, nous invite au plus intime du cœur à être vivants maintenant, malgré toutes les obscurités que nous pouvons rencontrer. La force de la résurrection nous donne l’énergie pour les traverser.

Vous êtes ressuscités avec le Christ. Alleluia.

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