Messe du Baptême du Seigneur

 


Abbé Marc Donzé, le 11 janvier 2009, à l’église de Châtel-St-Denis, FR
Lectures bibliques :
Isaïe 42, 1-7; Actes 10, 34-38; Marc 1, 6-11  –  Année B

Commençons par un peu de géographie, si vous voulez bien. Le Jourdain, où Jésus fut baptisé, est le fleuve le plus important d’Israël, et de loin. On pourrait même dire qu’il est le seul fleuve d’Israël. Il sort puissamment des entrailles du mont Hermon (un peu comme le Doubs sort de la montagne près de Mouthe). Il descend droit vers le sud tout au long d’une puissante faille géologique. Il s’évase dans le magnifique lac de Génésareth, qui a une forme de harpe. Puis il reprend son cours jusque vers le point le plus bas des terres émergées : son embouchure dans la mer Morte.

Baptême de Jésus Le Jourdain porte un nom très significatif. Traduit de l’hébreu, le mot Jourdain veut dire : celui qui descend, très profondément. En descendant, il apporte la vie. Mais il se charge aussi de toutes les querelles des hommes, car depuis toujours, il constitue une frontière disputée entre Israël et les peuples environnants. On pourrait dire qu’il transporte la vie et la mort.

Vers son embouchure, à 350 mètres sous le niveau des mers, il transporte peut-être plus de mort que de vie. Il aboutit, en effet, dans la mer qui s’appelle Morte, et ce n’est pas dénué d’un sens profond.
Aujourd’hui, le Jourdain est l’enjeu d’une lutte impitoyable. Car il est surexploité pour l’irrigation des cultures, en particulier pour les cultures d’agrumes qu’Israël exporte largement. De ce fait, il porte des stigmates écologiques; il est devenu, au dire de certains géographes, une sorte de canal des eaux usées. Il porte aussi des stigmates d’injustice, car la répartition de l’eau entre Israël, la Palestine et la Jordanie est loin d’être équitable.

Le Jourdain – celui qui descend – descend symboliquement jusque dans les noirceurs et les morts humaines. C’est la vie et la mort que porte l’eau du Jourdain, en particulier à l’endroit où prêchait et baptisait Jean. Ce Jean que l’on surnommait le Baptiste, ou mieux, l’Immergeur, car le baptême n’était pas seulement une petite ablution ; c’était une immersion complète, tête comprise, dans la profondeur de l’eau.

Pourquoi donc Jésus est-il allé se faire immerger par Jean dans le Jourdain ?
Pour faire comme les foules, qui se plongeaient dans les eaux pour demander le pardon de leurs péchés ? Certainement. Jésus n’a pas à demander pardon pour sa personne, mais il veut être solidaire du peuple de Dieu dans sa démarche d’immersion au profond des eaux qui charrient la noirceur humaine vers la mer Morte, ces eaux dont on ressort paradoxalement lavé et vivant. Si vous me permettez ce langage populaire, Jésus se mouille avec le peuple.
Mais il y a plus encore. L’immersion dans le Jourdain, c’est le premier grand geste public de Jésus : une cérémonie d’investiture en quelque sorte. C’est pourquoi, Jésus reçoit, devant le peuple, la confirmation de son identité et de son autorité. Elle vient de Dieu lui-même qui dit : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi j’ai mis tout mon amour ». L’autorité de Jésus, c’est de porter tout l’amour de Dieu. Cela ne veut pas juste dire qu’il est le bénéficiaire de tout l’amour de Dieu; c’est vrai, mais ce serait trop simple et trop plat de s’en tenir là. Cela veut dire que Jésus reçoit tout l’amour du Père, pour l’annoncer, pour le communiquer, pour le donner, fût-ce au prix de sa vie. C’est le début de l’aventure, qui finira hélas sur la Croix, parce que pour les puissants, les injustes, les égocentriques, l’Amour n’est pas aimé.

Il convient de souligner encore une fois le lieu de cette cérémonie d’investiture, car il constitue à lui seul tout un programme. Ce n’est pas un palais avec ses ors, son clinquant, et sa jet-set intéressée et hypocrite. C’est le désert : âpre espace de silence, où l’on peut entendre les paroles les plus essentielles. C’est la foule de ceux qui viennent chercher la juste attitude pour devenir plus humains devant la face de Dieu : une foule humble et modeste qui reconnaît son besoin de pardon, de changement, de vivification. Jésus est donc investi pour faire résonner jusque dans le cœur et les tripes la réalité du pardon, de la vie, de l’amour, de la vraie grandeur humaine, telle que Dieu la voit. Il est investi pour parler aux cœurs qui lui laissent de l’espace.

Le lieu, c’est encore le Jourdain, tout proche de la mer Morte ; c’est surtout cela que je veux souligner aujourd’hui. À cet endroit, le Jourdain, le « descendant » vers les profondeurs, tient plus du cloaque chargé d’odeurs et de miasmes que de la source. Jésus accepte d’être immergé là-dedans et d’en ressortir inondé de lumière. Quel geste, chers amis, qui n’a rien à voir avec un couronnement. Essayons d’en comprendre le sens.
Prenons pour ce faire des comparaisons : le tireur à l’arc, pour pouvoir viser juste, doit traverser l’obstacle par son mental et aussi par la disposition de son corps. On dit aussi – et je le crois – que pour pouvoir transfigurer la souffrance et pour la vaincre de cette manière-là, il faut la traverser et y faire circuler l’amour (comme le faisait Etty Hillesum au camp de concentration de Westerbork). Eh bien, c’est ce que Jésus a fait : en étant immergé dans le Jourdain, il a traversé, jusqu’à en être à bout de souffle, les pestilences de l’injustice économique et écologique et il a senti les odeurs de la mort; puis il en est ressorti, plus que vivant, dans l’amour du Père. C’est déjà le grand écart de la mort et de la résurrection; c’est l’anticipation du baptême des baptêmes entre la Croix et Pâques : le don de l’amour jusqu’à la mort qui débouche dans la toute-puissance de la vie.

Jésus solidaire, investi de l’amour divin, traversant les noirceurs vers la lumière, quelle bonne nouvelle. Il nous dit que l’eau, symboliquement, est tout de même plus vie que mort : toutes les eaux de l’humanité.
Notre propre baptême, immersion dans les forces de mort pour les vaincre et pour déboucher dans la résurrection, nous investit à notre tour, pour être solidaires, pour être témoins de la régénération de l’homme, toujours possible. Exigeante mission, dont nous avons reçu la force, mais qu’il faut réactiver chaque jour.
Amen

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *