Messe du 8ème dimanche ordinaire

 

Chanoine Gabriel Isperian, Abbaye de Saint-Maurice, le 2 mars 2003.

Lectures bibliques : Osée 2, 16-22; Marc 2, 18-22

«Pourquoi tes disciples ne jeûnent-il pas comme les disciples de Jean et ceux des pharisiens ? »

« Les invités de la noce pourraient-ils jeûner quand l’époux est avec eux ? »

Ainsi, comme souvent, Notre Seigneur répond à une question par une autre question. Mais plaçons-nous parmi les interlocuteurs, exclusivement préoccupés d’une fidélité aveugle à la loi. La réponse du Seigneur nous semble alors vraiment déconcertante. Elle heurte, car elle établit une rupture fondamentale dans le fil du dialogue. Si nous sommes attentifs, nous découvrons que cette rupture est créatrice d’une nouvelle façon de penser. En effet, de problèmes légalistes et moraux, le Seigneur Jésus passe résolument à une attitude vraiment spirituelle et authentiquement religieuse. Il tente d’éclairer ses interlocuteurs, de les conduire à découvrir (un peu sans doute, à leur grand scandale) ce qu’il est, lui, Jésus de Nazareth, qui il est en vérité. Car enfin, c’est Yahvé-Dieu qui, dans l’Ancien Testament, est l’époux de son peuple. Ne lit-on pas dans le prophète Isaïe: Ton créateur est ton époux, Yahvé Sabaoth est son Nom, le Saint d’Israël est ton Rédempteur. De façon discrète, mais avec autorité, Jésus laisse donc entendre que Yahvé-Dieu, Epoux, Rédempteur et lui-même ne font qu’un.

D’ailleurs, Jean-Baptiste, nommé par les Pharisiens, reconnaissait déjà à ce Jésus de Nazareth la qualité d’époux, lorsqu’il se présente lui-même comme son « ami », dans l’évangile de Jean. Ainsi en un premier temps, Jésus voudrait faire comprendre que ce n’est pas la morale qui conduit à Dieu mais c’est la relation à Dieu, relation intime et vivante, qui façonne du dedans la conduite humaine. C’est l’Alliance qui est à la source de tout ; Alliance de Dieu, qui appelle et se donne gratuitement en Jésus, avec l’homme qui répond de tout son être et de toute sa vie par l’Esprit Saint.

Ayant un peu éclairé ce qu’il est, il veut encore préciser les liens qui l’unissent à ses disciples et quelles en sont les conséquences. Aux Juifs qui dénoncent la conduite de ses disciples, il laisse entendre qu’il existe entre lui-même et eux un lien infiniment plus profond qu’ils ne peuvent l’imaginer. Les disciples sont les amis de l’Epoux. Au cours de la Sainte Cène, Jésus s’exclamera : Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis. La conduite des disciples ne peut donc naître que de ce qui les unit inséparablement à lui, Jésus de Nazareth.

Par ailleurs, si l’époux est parmi eux, un temps viendra toutefois où il leur sera enlevé ajoute Notre Seigneur, portant ainsi le regard vers le Mystère Pascal, sa mort, sa Résurrection, son Ascension et le don de l’Esprit. Ce verbe enlever nous renvoie une fois encore à Isaïe parlant du Serviteur souffrant : Par contrainte et jugement, dit le prophète, il a été enlevé du monde des vivants. Après Pâques et l’Ascension, le jeûne des disciples prendra alors une valeur, une signification absolument nouvelles. En l’absence visible de l’Epoux, les disciples ressentiront comme une intense brûlure : leur jeûne, fruit et témoignage de l’amour, sera une privation volontaire, ou pourra être l’accueil, aussi paisible que possible, d’une privation involontaire, comme celle d’un être cher, ou comme celle de la santé dont vous souffrez tous chers malades, privation devenant dans tous les cas une manière de communier à l’offrande du Serviteur et Sauveur bien-aimé. Ainsi, par le jeûne, le souvenir vivant du Maître, désormais invisible, rendra celui-ci plus présent dans les cœurs qui ont faim et soif de lui.

 

Tout en soulignant la joie des années de son ministère : Pourraient-ils donc jeûner pendant que l’Epoux est avec eux ?, Notre Seigneur annonce en même temps le deuil de la Passion, la joie de Pâques, mais aussi la disparition du Ressuscité enlevé à la droite du Père.

Amis de l’Epoux, les disciples du Christ vivent donc aujourd’hui entre l’Ascension et la fin des temps avec la joie de sa présence, voilée certes mais réelle : Je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps, et jeûnant en raison d’une trop sensible absence.

Dans cet Evangile, Jésus, nous le voyons, associe très étroitement son sort personnel à celui des disciples, il se met tout naturellement au cœur même de leur existence, révélant ainsi ce qu’est la vie du vrai disciple, qu’elles en sont la source et le style de la conduite quotidienne grâce à quoi Jésus, apparemment absent, veut se rendre présent et agissant dans le monde.

« A vin nouveau, outres neuves » Oui, vraiment, nous n’aurons jamais fini de nous laisser renouveler dans notre cœur et dans notre corps par la Parole de Dieu et l’Esprit qui nous conduit à la vérité tout entière, vérité du mystère de Dieu, vérité de la correspondance de notre vie entière à l’engagement de notre foi qui aime sans réserve, qui espère sans défaillir et qui attend avec confiance la rencontre définitive avec le Seigneur de Gloire.

 

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