Messe du 7ème dimanche de Pâques

 

Père Philippe Buttet, à la chapelle des Missionnaires spiritains, Le Bouveret, VS, le 1er juin 2003.

Lectures bibliques : Actes des Apôtres 1, 15-26; 1 Jean 4, 11-16; Jean 17, 11-19

Chers amis,

C’est mercredi soir, les musiciens se rassemblent dans la classe de Monsieur Pinson, directeur de l’école communale, chef d’orchestre et compositeur des musiques qui accompagnent la vie du village.

Mais ce soir l’ambiance est tendue. L’orchestre doit découvrir l’hymne solennel créé par Monsieur Pinson. C’est presque une symphonie et c’est difficile. Il y a de l’électricité dans l’air.

Tout à coup, le tambourin déclenche les hostilités. « Je ne vois pas pourquoi je suis là. On ne me donne jamais rien d’intéressant à jouer. Je préfère rentrer chez moi. »

– Voilà une bonne idée ! lui répond le flûtiste. On se demande à quoi tu sers ! Et la dispute se généralise, les plaintes, les frustrations, les insultes fusent du trompettiste au violoncelliste en passant par les cymbales et la grosse-caisse. C’est une parfaite cacophonie. Tous sont debout, les uns rouges de fureur, les autres verts de colère. Et voilà Monsieur Pinson qui entre dans la salle, la baguette à la main et les partitions sous le bras.

– Calmez-vous… un coup de baguette sur le pupitre et le silence tombe. Si chacun hurle plus fort que son voisin, cet orchestre est foutu. Et j’ai besoin de cet orchestre pour ma composition qui s’intitule l’hymne à l’amour. Il distribue les partitions et lentement chacun se met en place et s’accorde sur le premier violon. Puis la baguette se lève et quand elle redescend, c’est une merveilleuse harmonie, c’est l’hymne à l’amour de Monsieur Pinson.

 

Et ce petit conte résonne en moi parce qu’il me révèle quelque chose de ma propre vie. Les musiciens me ressemblent. Je suis aussi à mon tour porteur de mauvaise humeur, d’agressivité, de jalousie, de rancune, voir de violence.

Et parfois devant les difficultés et les oppositions, les paroles dures et blessantes, je suis tenté comme le musicien de rentrer chez moi. Pendant mes 25 ans d’Afrique, je vous avoue que j’ai failli plusieurs fois jeter l’éponge, me retirer de l’orchestre, loin du bal… J’ai même eu la tentation de rejoindre un monastère. C’est dans la durée et avec tes confrères, m’a dit un ami , que tu construis la communauté. Et c’est bien vrai, il avait raison. Ma tentation d’abandonner n’était qu’une velléité momentanée.

Et je rejoints la prière de Jésus que nous venons de lire dans l’évangile de Jean. « Je ne te prie pas de les retirer du monde…. Je les ai envoyés dans le monde comme tu m’as envoyé dans le monde » (Jean 17,15-18). Jésus répète neuf fois le mot « monde » dans cette merveilleuse prière à son Père quelques heures avant sa passion. C’est une prière pour un temps de crise au cœur d’une actualité grave, le complot a réussi, l’arrestation de Jésus est décidée et la mort cruelle est imminente. Dans la nuit du jeudi et en présence de ses apôtres, Jésus communique avec son Père, c’est un cœur à coeur de grande intimité et de parfaite unité.

Cependant, il connaît la faiblesse et la fragilité des ses disciples, il semble avoir peur ; vont-ils tenir devant l’opposition et la haine des grands de Jérusalem, garderont-ils la persévérance et la fidélité à « ta parole de vérité ». C’est pourquoi, Père, je te prie : « Qu’ils résistent au mal, di, et qu’ils ne se perdent pas dans le monde ».

Les apôtres, seront-ils tentés, comme les musiciens, de jeter l’éponge et de retourner à leur lac et leur bureau !

Ils ne le feront pas. Car comme leur maître , ils vont jouer jusqu’au bout l’hymne à l’amour.

 

Aujourd’hui, nous sommes donc tous interrogés et concernés par l’évangile. Nous vivons dans le monde, un monde merveilleux et prodigieux, avec ses beautés et ses générosités. Mais aussi, un monde un peu fou, avec ses limites et ses faiblesses, ses fragilités, ses cruautés quelquefois insoutenables, ses haines tenaces, de toute une vie parfois, un monde aussi avec ses souffrances et ses malades qui perdent l’espoir de s’en sortir.

Au milieu de ce monde, aux prises avec mes peurs et mes angoisses, mes fatigues et mes inerties, mes défaillances et mes découragements, je risque de me laisser emporter comme un tourbillon et de caler devant vents et marées.

Mais le Seigneur est présent comme il l’était déjà au temps des prophètes et des apôtres, il m’a pris, il m’a saisi , il m’a envoyé dans le monde avec cette assurance que Jésus a donné à ses apôtres avant de les quitter : « Sachez-le, je vais être avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mat 28,20). Et que signifie « être avec vous tous les jours » ? C’est sa présence d’amour qui donne force aux disciples au milieu d’un monde qui leur est hostile.

 

Ce monde me semble un grand orchestre ou chacun de nous est invité à jouer sa partition pour le plaisir et la joie de tous en se battant contre les fausses notes que sont les injustices, les égoïsmes des nantis, la violence des casseurs, l’oppression des dictateurs et toute la litanie des maux et des souffrances que nous connaissons en nous et autour de nous.

Dans ce monde, nous y sommes, mais comment ?

Pactisons-nous avec lui pour taire le mensonge, donner une prime à la force, cautionner les égoïsmes des riches ?

Acceptons-nous d’être hais parce que nous voulons être des empêcheurs de tourner en rond ?

Pas si facile de jouer dans ce grand orchestre universel qui souhaiterait tant faire entendre son hymne à l’amour sans trop de fausses notes et qui aimerait aussi , en ce dimanche des medias, communiquer sa joie , joie de l’amitié et de la convivialité, de la générosité et du partage.

Je suis peut-être naïf, rêveur et utopique… et si l’octuor des grands de ce monde présent ce matin à Evian voulait bien jouer ensemble l’hymne à l’amour ! Pour cela je descendrai dans la rue pour manifester ma joie….

 

 

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