Messe du 7ème dimanche de Pâques

 

 

Abbé Pierre-Yves Maillard, au Collège des Creusets, Sion, 40ème congrès de la FICPM*, le 28 mai 2006
Lectures bibliques : Actes 1, 15-26; 1 Jean 4, 11-16; Jean 17, 11-19 – Année B

Vous connaissez peut-être, frères et soeurs, l’oratorio du compositeur suisse Arthur Honegger intitulé “Le Roi David”. Cette pièce musicale, qui évoque les principales étapes de l’histoire du fils de Jessé, commence naturellement par l’onction de David, rapportée au chapitre 16 du premier livre de Samuel. Avec beaucoup de sobriété, le récit biblique précise qu’après avoir été préféré à tous ses frères, David reçoit la consécration des mains du prophète et qu’”à partir de ce moment-là, l’Esprit du Seigneur descendit sur David et ne le quitta plus” (cf 1S 16,13). Et Arthur Honegger souligne cette permanence de l’Esprit sur David par une longue tenue musicale, qui achève la première pièce de son oratorio. Et quand on écoute la suite de la composition, le récit de l’ascension de David aux dépens du roi Saül, la prise de Jérusalem et l’entrée de l’arche de l’Alliance, le repentir après le péché, la miséricorde offerte au fils rebelle Absalom, on se dit: “Eh bien, il en a fait des choses, l’Esprit, qui reposa sur David!”… et peut-être se surprend-on alors à ajouter à mi-voix : “Et en nous, que fait-il, cet Esprit ?”

Et pourtant, nous devons le croire, frères et soeurs : l’Esprit du Seigneur, l’Esprit qui reposa sur David et ne le quitta plus, ce même Esprit-Saint nous a aussi été donné ! C’est l’Esprit de notre baptême et de notre confirmation, l’Esprit que nous avons invoqué au jour de notre mariage ou de notre ordination. Et de son point de vue à lui, cet Esprit ne demande pas mieux que de déployer en nous tous ses dons, comme il l’a fait en David ! C’est même cet Esprit qui nous fait participer dès ici-bas à la vie de Dieu, comme nous le rappelle saint Jean dans la première lecture de ce jour : “Nous reconnaissons que nous demeurons en lui, et lui en nous, à ce qu’il nous donne part à son Esprit” (1Jn 4,13).

Nous sommes précisément, frères et soeurs, dans ce temps liturgique qui nous invite de façon particulière à raviver en nous le désir de nous laisser pleinement habiter par l’Esprit de notre baptême. Nous venons de fêter l’Ascension, et nous nous préparons à célébrer la Pentecôte. Nous sommes dans la “grande neuvaine à l’Esprit-Saint”. Ce temps est celui de l’attente, du “déjà” et du “pas encore”. C’est le temps de la durée, de l’apparente absence, peut-être de l’épreuve. Et à bien y réfléchir, c’est en quelque sorte le temps de toute notre vie. Car l’Ascension marque un double départ: départ du Christ, retour vers le Père qu’il n’a jamais quitté, mais départ aussi – apparemment tellement rapide et prématuré ! – des apôtres dans le monde entier : “Allez, de toutes les nations faites des disciples” (cf Mt 28,19). Comme les apôtres, nous aussi sommes partis, dans l’attente de l’Esprit, forts de la seule promesse du Seigneur : “Et moi je serai avec vous jusqu’à la fin du monde” (cf Mt 28,20). Nous avons cru que les signes sont toujours en avant – jamais en arrière. Nous avons choisi de risquer notre vie sur une promesse – non pas sur un acquis. En un mot, nous avons cru qu’un engagement est possible, et peut donner sens à une vie. Tel fut notre choix, et ce temps est désormais celui où peut se vérifier l’authenticité de notre engagement.

Depuis trois jours, ici à Sion, nous avons réfléchi, avec tous les participants au 40ème congrès de la Fédération internationale des Centres de préparation au mariage, à cette dimension de l’engagement dans le sacrement du mariage chrétien. De façon constante, nous avons entendu les différents intervenants nous délivrer un message unifié : l’engagement est source de bonheur, de liberté et de vie. L’engagement libère, car il nous permet de répondre à l’amour de Dieu pour nous, amour toujours absolu, définitif et sans retour. En fait, n’est-ce pas là un point central de notre foi : nous sommes des êtres de don. Nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes. D’autres nous ont donné la vie. La façon de nous garder, c’est donc naturellement de nous donner à notre tour, en demeurant dans l’Amour qui est don : “Puisque Dieu nous a aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres… Dieu est amour: celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui” (1Jn 4,11…16). C’est à la lumière de cette logique du don comme source de bonheur et de vie que nous sommes invités à considérer le caractère indissoluble qui marque l’engagement du mariage catholique. Participation de l’Amour même de Dieu, l’amour humain est appelé à s’épanouir pleinement dans un engagement définitif. Le Pape Benoît XVI le souligne dans l’encyclique qui porte précisément pour titre le verset de la lecture de ce jour : “Dieu est Amour… (et) l’amour comprend la totalité de l’existence dans toutes ses dimensions, y compris celle du temps. Il ne pourrait en être autrement, puisque sa promesse vise à faire du définitif: l’amour vise à l’éternité… allant du je enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi” (cf Dieu est amour, n. 6).

A des couples qui se préparent au mariage, on raconte parfois l’histoire de cette petite fille qui regardait, silencieuse, un sculpteur à l’ouvrage. Pendant des jours et des semaines, la petite fille observait, sans rien dire, le travail de l’artisan. Peu à peu se dégageait une forme dans l’immense bloc de pierre. A force de sueur et de coups de ciseau, l’ouvrier faisait apparaître une masse, d’abord assez vague, puis de plus en plus précise: un cheval. La petite fille, cependant, ne disait toujours rien. Et ce n’est qu’à la fin, après des heures de travail, lorsque le chef-d’oeuvre apparut enfin dans toute sa splendeur, qu’elle posa sa question au sculpteur : “Dis, comment savais-tu qu’il y avait un cheval dans la pierre ?”

Comment savais-tu qu’il y avait un cheval dans la pierre ? – cette petite histoire est peut-être une bonne illustration de la raison de l’indissolubilité du mariage catholique. Quand on s’engage, au départ, il est vrai qu’on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve. Mais peu à peu, dans la fidélité créatrice à nos engagements, se dessinent les contours d’une existence dont on vient à comprendre qu’”elle n’aurait pas pu être autrement”. L’engagement permet à la personne de se réaliser en plénitude. Il lie en même temps qu’il révèle, il livre en même temps qu’il délivre, dans un travail parfois douloureux de nouvelle naissance. Par ailleurs, il montre aux yeux du monde qu’une promesse est possible et vaut d’être tenue. Enfin, il nous fait communier à l’engagement sans retour du Père pour le monde en son Fils Jésus-Christ, dans l’Esprit de Pentecôte qui déploie en nous ses dons les plus divers. C’est toujours à Dieu, finalement, que l’amour demande son vocabulaire d’éternité.

* Fédération internationale des Centres de préparation au mariage

 

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