Messe du 6ème dimanche de Pâques

Chanoine Jean-Claude Crivelli, à la chapelle de la Pelouse, Bex, le 16 mai 2004.

Lectures bibliques : Actes des Apôtres 15, 1-29; Apocalypse 21, 10-23; Jean 14, 23-29

Il est des aspects de notre humanité, de notre devenir humain, que l’on peut aborder par le détour de l’humour. Par le biais de cette distance d’avec soi-même que chacun de nous doit savoir établir: ne pas se prendre trop au sérieux, reconnaître les failles de son cœur, débusquer nos limites pour mieux les franchir. L’humour permet de vivre avec soi-même et avec les autres. Et c’est bien cette voie qu’au fil des homélies de ces dimanches, ici à la Pelouse, que nous avons essayé de creuser.

Il est cependant des faits d’hommes et de femmes, des failles du cœur humain, des fêlures du cœur, si perverses et si graves qu’elles mettent en grand danger la nature humaine. J’évoque ici les comportements inexplicables que les médias viennent tout juste de nous rapporter de la guerre en Irak. Or ici on ne peut plus rire. Les actes horribles qu’on nous rapporte ne valent même pas explication, au sens d’un enchaînement mécanique de causes et d’effets. Certes il y a bien, tapie en l’homme, par-delà les événements dont les puissants s’imaginent avoir la maîtrise, une aptitude féroce à glisser soudainement de la peur à la haine et de la haine à la bestialité.

Si Satan n’existait pas – écrit un éditorialiste (La Croix jeudi 13 mai 2004) – il faudrait l’inventer. Pour expliquer,ces jours-ci, l’actualité du monde, comment ne pas songer au travail de sape du « Prince des ténèbres » ? Comment ne pas voir que s’activent, au cœur de l’homme (et de la femme, comme en Irak), principe de mort, déni de l’humain et refus de l’autre ? Leur intensité défie la raison et accable le sentiment. La barbarie, méthodique, organise parfois sa propre mise en spectacle. Irakiens détenus, torturés et humiliés par leurs geôliers, et photographiés au vu et au su de toute la planète humaine. Tête d’un jeune Américain décapité exhibée par ses assassins irakiens via l’Internet, ce vecteur dernier cri de la communication entre les hommes. Restes de militaires israéliens, enfournés dans des sacs plastique, brandis par des membres du Hamas, à Gaza, devant des caméras de télévision et une foule en liesse, comme autant de trophées et de bouts d’otages, afin d’ajouter au combat politico-militaire contre Israël un défi blasphématoire au judaïsme, à ses défunts, à sa conception du sacré.

 

En ce temps de Pâques, voici donc que l’actualité du monde nous rappelle, à nous chrétiens, que la victoire du Crucifié sur la haine et le mal tarde à se manifester. Une fois encore l’actualité du monde nous donne de méditer l’étonnante faiblesse de notre Dieu. Un Dieu qui ne peut rien contre le mal. Ou du moins qui ne saurait le prendre superbement d’en haut, comme pour le dominer sans devoir combattre, mais qui ne peut que le prendre d’en bas, de cette humble place qu’il a prise, la nôtre, celle d’une humanité qui semble n’avoir plus rien d’humain. L’humain aurait-il donc déserté le cœur de l’homme ? Mon Dieu, pourquoi m as-tu abandonné ?

Voici qu’en ce temps pascal, l’actualité du monde rappelle aux disciples que ce temps d’apparition est aussi temps de disparition, d’arrachement. La fête de l’Ascension nous le redira dans quelques jours. Le Seigneur est enlevé au cercle des disciples. Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés – dit Jésus aux siens. L’âge de ce monde est à l’absence du Christ. Le même qui cependant ajoute : je m’en vais, et je reviens vers vous. Etonnante voire inconfortable place des chrétiens en ce monde, témoins d’une Présence dans l’absence. D’une Présence mise à l’épreuve de l’homme, d’une humanité qui s’emploie à nier la divine présence du Christ sauveur en chaque être. Car les geôliers qui humilient leurs prisonniers en leur refusant le statut d’être humain, humilient l’humanité tout entière, et avec elle Celui qui l’a créée et qui ne cesse de l’aimer. Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.

L’atrocité est de tous les temps, et l’Europe, dans ce domaine, fut très inventive. Ce qui est nouveau, c’est la mondialisation immédiate de cette criminalité. Mais le nouveau aussi – et là peut-être y a-t-il une place pour l’espérance ? – le nouveau réside dans un sursaut universel de la conscience humaine, qui va s’amplifiant ces jours derniers. A ce « pire » de la barbarie à visage humain répond en même temps comme une sorte de refus mondial de la barbarie. Car, en l’homme, ce qui refuse la haine, reste plus fort qu’elle. Qui donc pourrait empêcher l’immense supplication des peuples, qui monte tout au long ces poèmes millénaires que sont les psaumes, témoins de la souffrance et de l’horreur mais aussi de l’espérance d’en sortir un jour ?

 

Que ton visage s’illumine pour nous nous :
et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toute les nations.
psaume 66 (ce dimanche)

 

Le spectacle désolé des villes détruites au pays d’Abraham, des quartiers régulièrement bombardés au pays de Jésus, pourrait-il obscurcir la vision de la cité sainte, la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel, d’auprès de Dieu, ville ouverte à tous les peuples (cf. 2ème lecture) ?

Je vous ai dit toutes ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez – explique le Seigneur aux siens. Admirable paradoxe ! C’est quand la foi est ébranlée qu’il s’agit de croire, quand l’espérance vient à manquer qu’il faut espérer, quand l’amour semble impossible qu’il faut lui être fidèle.

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