Messe du 6e dimanche ordinaire



Abbé Jean-Marie Pasquier, à l’église St-Etienne, Sâles, FR, le 11 février 2001.

Lectures bibliques : Jérémie 17, 5-8; 1 Corinthiens 15, 12-20; Luc 6, 17.26

Permettez-moi d’abord de partager un souvenir personnel. C’était en août 1976. Je rentrais d’un congrès à Rome. Sur le chemin du retour, j’avais décidé de m’arrêter à Arezzo, où se tenait un Concours international de chorales. Je remontais la rue où se trouvait la maison des concerts. Qu’est-ce que j’entends, par la voix des haut-parleurs ? Nouthra Dona di Maortsè, de Joseph Bovet, chanté par le Chœur des XVI, encore tout jeune, qui remporta ce jour-là le 1er Prix de chant populaire.

Qu’est-ce qui a pu à ce point toucher, non seulement le jury, mais bien d’autres auditeurs, venant d’un peu partout dans le monde, alors que la plupart n’en comprenaient pas les paroles ? Je risque une réponse toute simple. C’est que, outre la qualité musicale de l’œuvre et de son interprétation, ce chant a une âme. Ce je ne sais quoi qui fait que les auditeurs se sentent eux-mêmes touchés, mystérieusement, jusque dans leur âme.

Qu’y a-t-il au fond de l’âme, au fond de tout cœur humain ? Le désir de vivre, de vivre en plénitude, de vivre heureux. Le bonheur ! Rappelez-vous Jean Villard Gilles chantant cette « chose légère que toujours notre cœur poursuit … » J. Bovet, plus gravement, nous faisait chanter – je l’ai fait moi-même avec la Cécilienne de Sâles – : « l’instant du bonheur est une humble fleur, qui meurt… » Ce n’est que trop vrai : bien des bonheurs humains passent très vite, comme « une ombre fugace », surtout quant ils manquent de racines. Mais le bonheur peut aussi durer, grandir, pour longtemps, jusqu’à devenir « l’éternelle aurore d’un immortel amour ».

A condition de s’enraciner en profondeur. « Comme l’arbre planté au bord des eaux, qui étend ses racines vers le courant : il ne craint pas la chaleur et son feuillage reste vert ». C’est la merveilleuse image du prophète Jérémie pour désigner l’homme heureux, l’homme béni qui met sa confiance, non dans ce qui est mortel, mais dans le Seigneur. Il ne craint pas les temps difficiles de la sécheresse, de l’épreuve, de la maladie et du deuil. Son bonheur sera toujours là, paisible et fort, parce qu’il a sa source en Dieu.

La question nous est posée à tous, à chacun d’entre nous : en quoi, en qui mettons-nous notre confiance ? Où sont ses racines ? Interrogeons-nous : qu’est-ce qui peut nous rendre vraiment heureux : la réussite matérielle ? un compte bancaire bien garni ? le succès, une médaille aux championnats du monde ? Sonia Nef disait avant-hier : « Je suis la femme la plus heureuse du monde ». Tant mieux pour elle ! Mais nous savons, et elle aussi, que tout cela passera.

Jésus aussi nous le dit, avec des mots à la fois pleins de tendresse et de rudesse. Oui, l’Evangile est une bonne nouvelle. Il commence par une déclaration de bonheur : Heureux vous…, mais aussi avec un sérieux avertissement : Malheureux vous… Avant d’oser ces paroles, Jésus avait passé la nuit dans la montagne à prier Dieu – la prière du pâtre ? –, puis il était redescendu dans la plaine, là où vit la foule des gens, immergés dans leurs soucis quotidiens. Alors, s’adressant directement à ses disciples, nous en faisons partie, il les avertit : il y a des bonheurs provisoires qui ne comblent pas le cœur de l’homme. Le vrai bonheur, celui qui réjouit le fond de l’âme, n’appartient pas à ceux qui ont les mains pleines, le ventre repu ou le rire facile. La vraie béatitude, celle du Royaume de Dieu, est à ceux qui sont pauvres devant Dieu, à ceux qui ont un cœur de pauvre. Ceux-là sont prêts à accueillir la vraie richesse. Un bonheur promis à ceux qui acceptent de souffrir, oui, de pleurer parfois, par fidélité à ce qu’ils croient, à cause de Jésus et de l’évangile.

Jésus lui-même est le premier à avoir vécu ces étonnantes béatitudes. Il a connu la pauvreté, la faim, il a pleuré, il a souffert à en mourir. Et pourtant il fut l’homme le plus heureux qui soit, parce que sa joie, il la puisait dans le cœur de Dieu, pour la partager avec les autres, avec nous.

Oui, le bonheur est à ceux qui ne veulent pas être heureux tout seuls – c’est impossible –, mais qui ont choisi de s’engager pour que d’autres soient plus heureux. L’évangile nous en avertit : parfois ces engagements nous attireront des ricanements, voire des insultes. Cela nous fera souffrir, mais ne nous atteindra pas en profondeur, car notre assurance, nous ne la tenons pas de l’approbation des humains, mais de la confiance que nous mettons dans le Seigneur. La meilleure règle de vie, ce n’est pas de plaire aux autres, mais de les aimer. Le seul malheur, c’est le non-amour, le vrai bonheur, c’est d’aimer.

Et si nous croyons que Dieu est amour, c’est en Lui que nous trouverons la vraie source de notre bonheur. Accorder sa foi au Seigneur, c’est choisir d’habiter près de la source d’eau vive. Alors mon bonheur ne sera pas fragile comme la fleur, mais solide comme l’arbre planté près du ruisseau. « Un ruisseau tranquille » qui murmure en moi « des secrets que mon cœur comprend », comme une musique intérieure.
Amen.

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