Messe du 6e dimanche du temps ordinaire

 


Frère Marc, à l’abbaye de Hanterive, Posieux, FR, le 15 février 2009
Lectures bibliques :
Lévites 13, 1-2.45-46 ; I Corinthiens 10, 31 – 11, 1 ; Marc 1, 40-45 – Année B

                              

La misérable impuissance de la miséricorde.
On peut s’émerveiller, chers frères et soeurs, devant la force de la prière du lépreux : si tu le veux, tu peux me purifier. On peut s’enthousiasmer devant la puissance déployée par Jésus qui le guérit aussitôt. Mais est-ce si simple ?
Pourquoi alors cette rudesse de Jésus à son encontre ?
La prière consisterait-elle à savoir capter la puissance de Dieu ? La prière consisterait-elle à savoir lui faire faire notre volonté ? Ne serait-ce pas plutôt de s’offrir à la sienne ? Cet évangile nous montre-t-il la vraie prière et la puissance du Christ ? Ne suggère-t-il pas plutôt par trois fois son impuissance? A la suite du miracle, Jésus ne peut plus entrer dans une ville, et cela parce qu’il n’a pu ni résister à la demande du lépreux ni se faire écouter par lui.

Reprenons ces trois points.
Le livre du Lévitique prescrivait les mesures de salut public pour éviter la contamination : le lépreux habitera à l’écart, sa demeure sera hors du camp. Et tel un écho de la 1ère lecture, notre évangile se termine sur cette remarque : Jésus, victime de sa renommée, ne peut plus entrer ouvertement dans une ville, il était obligé d’éviter les lieux habités. Comme si, d’une certaine manière,
Jésus, exclu des relations humaines normales, avait échangé sa condition contre celle du lépreux. Par miséricorde Jésus se laisse contaminer, non par sa maladie, mais par sa condition misérable.
Certes saint Marc précise que de partout on venait à lui. Mais cela signifie que cette scène du lépreux se multiplie à l’infini. Et lui ne peut pas résister, lui ne sait pas fermer ses entrailles de miséricorde face à cette foule de miséreux qui s’agglutinent. Il ne le sait pas et cela se sait. Consentant à chacun, il embrasse mystérieusement la condition de chacun, il pénètre dans le drame de chacun. Lépreux avec les lépreux, publicain avec les publicains, il acceptera d’être maudit avec les maudits jusqu’à être crucifié avec les crucifiés. Sa miséricorde est impuissante à résister à notre misère qui le poursuit.

Mais n’allons pas croire que Jésus se laisse manipuler pour autant, personne ne saurait le détourner de sa mission. Or cette mission – c’est à dire sa volonté unie à celle de son Père, sa volonté de nous unir à son Père – le lépreux ne s’y intéresse que dans la mesure où elle peut le soulager. Quand Jésus lui commande de garder le silence et de suivre la loi d’Israël, celui-ci n’en a cure.

Et voilà la troisième impuissance du Christ : impuissance à se faire écouter. La rudesse de Jésus vis-à-vis du lépreux exprime cela : Dieu ne forcera jamais que sa voix pour réveiller notre liberté. Si notre coeur entend parfois quelque accent de dureté dans la voix divine qui lui parvient, c’est le fait de notre propre dureté à nous, face aux appels de la miséricorde. C’est notre désobéissance obstinée que l’on perçoit alors face à la dramatique impuissance de l’amour.

En résumé donc l’impuissance du Christ est paradoxalement la constance infaillible de sa miséricorde. Qui donc alors va s’occuper de savoir ce que Jésus veut ? Qui donc va se préoccuper non de ce que Jésus peut mais de ce qu’il veut et ne peut pas ? Car répétons-le tout le drame de Jésus est là: oui, il peut guérir les corps, chasser les démons, multiplier les pains…mais les coeurs, comment va-t-il arriver à les atteindre, à les transformer ? Jésus peut-il nous sauver si aucun de nous ne veut bien l’écouter ? Il peut bien se laisser contaminer par notre misère, comment va-t-il nous inoculer son amour, cette maladie divine, cette impuissance divine de la miséricorde ? Quand donc aurons-nous enfin un peu de compassion pour cet homme
transpercé par la misère humaine, pour Jésus crucifié ? Quand donc aurons-nous enfin un peu de miséricorde pour la misérable impuissance de notre Dieu en croix ?

Si tu le veux, tu peux. Oui je le veux. Mais vas-tu, toi, t’occuper de ce que je veux et ne peux pas ? Vas-tu t’occuper de ce que je veux et ne peux pas… à moins que tu le veuilles avec moi ? C’est pour te lier à moi dans l’amour et la miséricorde que je te touche. Vas-tu me laisser te purifier, non le corps mais le coeur ? Vas-tu me laisser fouiller le fond même de tes entrailles, comme moi je me suis laissé bouleverser par toi ? Vas-tu, comme saint Paul le dit aux Corinthiens, en toute circonstance t’adapter à tout le monde, ne plus chercher ton intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés ?

Vas-tu, comme Paul me prendre pour modèle en te laissant contaminer par ma miséricorde ? Paul, cet agent obstiné de ma persécution, que l’impuissance de ma miséricorde a transformé soudain sur le chemin de Damas en agent de ma contagion. Vas-tu comme lui, non plus chercher à capter ma puissance, mais te laisser capturer par mon impuissance, mais te laisser captiver par l’amour que je te révèle depuis ma croix ?

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *