Messe du 5ème dimanche du Carême

 

Chanoine Claude Ducarroz, Monastère de la Visitation, Fribourg, le 6 avril 2003.

Lectures bibliques : Hébreux 5, 7-9; Jean 12, 20-33

Tout en bas, tout en haut.

 

Dans l’Evangile de ce jour, il y a plus à voir qu’à entendre.

 

Mais à condition pourtant d’écouter une voix venue du ciel : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore ».

 

Quel voyage il nous faut faire !
Nous aussi, nous voudrions voir Jésus.
Nous allons commencer bien bas, tout en bas. Et même au sous-sol. Car très bientôt Jésus va devenir ce grain de blé tombé en terre, dans le silence de la mort, dans la nuit du tombeau.

 

Il nous a aimés jusque-là, lorsque son heure fut venue, qui a sonné une fois pour toutes à l’horloge du salut.
Durant cette semaine de la Passion du Christ, nous veillerons au pied de sa croix, nous l’accompagnerons jusqu’au sépulcre. Nous devrons avoir ce douloureux courage, en apportant nous-mêmes nos propres croix, en rassemblant dans nos prières celles de toute l’humanité.

 

Et entendre Jésus, si humain, dire « Père, délivre-moi de cette heure ». Et oser faire le pas suivant avec lui : « Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ».
Mais là, il nous faut faire très attention. Oui, entendre la remarque assassine de Nietzsche : « Ils ont appelé Dieu ce qui les contredisait et qui leur faisait mal … Ils ne surent aimer leur dieu qu’en clouant l’homme à la Croix ».

 

Levons les yeux. Sur la croix d’abord, sans honte et sans complexe. Parce que, depuis le Christ Jésus, elle a changé complètement de sens, elle est devenue le signe du suprême amour.
Pas celui qui crucifie l’homme à merci, mais celui qui le détache de ses croix pour l’élever dans la gloire, sa véritable destinée.

 

« Ce n’est pas pour moi que cette voix s’est fait entendre, c’est pour vous », dit Jésus.

 

Heureusement qu’il y a cette voix, celle que nous entendons par l’Eglise, que nous écoutons dans la foi, pour vivre nos samedis saints sans perdre l’espérance pascale.
Car où se cache la gloire, pour le moment ?

 

Tant de voix proclament la mort, celle de Dieu et la nôtre. Tant de puissances –économiques, politiques, médiatiques- semblent se complaire à sonner le glas de l’humanité.
Dans les vacarmes de notre temps, plein de fracas et de gémissements, y a-t-il encore un espace pour entendre le blé qui lève, la fleur d’amour qui perce la terre et s’obstine à venir cueillir le soleil, les petits gestes de tendresse semés au bord de nos routes désolées ?

 

Entre le Vendredi Saint et Pâques, il nous reste une parole en forme de promesse. En contemplant encore la croix, vide maintenant, et en fixant l’horizon où s’annoncent les lueurs de Pâques, oui nous entendons encore la voix venue du ciel : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore ».

 

Qui ? Lui, Jésus de Nazareth, la Parole faite chair, faite blessure, sous la couronne d’épines, les coups de fouets et le coup de lance. La Parole réduite au silence, avant de résonner à nouveau dans l’alléluia de la résurrection.

 

Qui ? Nous. La foule qui se tenait là, qui croyait avoir entendu un coup de tonnerre, tellement nous peinons à interpréter juste les signes venus du ciel.

 

Nous, c’est aussi le peuple de l’alliance, la première et maintenant la nouvelle et éternelle alliance dans le sang de l’Agneau. Pourquoi rougir encore devant la croix du Christ ?
Nous ne sommes pas meilleurs que les autres, mais du moins, par pure grâce, avons-nous entendu une certaine parole, là, dans la nuit et le brouillard, dans la révolte des innocents crucifiés.

 

Cette parole pointe vers la gloire, comme la croix n’est que la face glacée du matin de Pâques.

 

Nous avons entendu, c’est pourquoi nous parlons, nous osons dire, nous annonçons déjà la bonne nouvelle : la résurrection existe, Pâques, c’est du solide et du vrai, nous sommes tous faits pour partager la victoire du Christ sur le mal et sur la mort.

 

Bien sûr, au regard de notre histoire si dramatique et de nos histoires si tragiques, cette promesse apparaît encore comme un bourgeon toujours menacé par le retour du gel.
La bonne nouvelle de Pâques semble encore une confidence que se murmurent à l’oreille quelques rares obstinés de la divine espérance. La voix venue du ciel a tant de peine à faire le tour de la terre.
Nous qui l’avons cherchée douloureusement, écoutée patiemment et finalement entendue au détour furtif d’un chemin d’Eglise, nous ne devons plus nous taire parce que nous ne pouvons plus vivre comme si la nuit était sans fin.
Une lumière venue d’outre-tombe brille en vacillant au creux de nos mains rejointes. Elle éclaire nos visages d’une clarté pascale, elle nous offre l’avant-goût de la gloire du Seigneur. Nous sommes des promis à la beauté qui transfigure.

 

Mais nous avons aussi conscience que cette étincelle, justement parce qu’elle a été allumée à la splendeur du ressuscité, ne nous appartient pas.
Elle mourrait entre nos mains si nous en faisions un privilège ou un monopole. Il nous brûle de la partager.

 

C’est pourquoi, toi qui nous écoutes maintenant, qui que tu sois, je veux te dire un secret que je n’arrive plus à garder : Tu es aimé à mort par le Dieu de Jésus-Christ, tu es appelé à passer de la mort à la vie par la puissance de son Esprit. Choisis la vie.

Amen.

 

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