Messe du 5ème dimanche de Pâques

 


Chanoine Guy Luisier , à l’abbaye de Saint-Maurice, VS, le 6 mai 2007
Lectures bibliques :
Actes 14, 21-27; Apocalypse 21, 1-5; Jean 13, 31-35 – Année C

Mes, sœurs, mes frères,

Cet évangile parle de la GLOIRE du Christ (qui est en fait la nôtre) et de l’AMOUR que nous devons avoir entre nous comme signe de l’Amour de Dieu. Amour et gloire, deux réalités complices, essentielles à l’être chrétien. C’est bien joli… mais comment éviter que ce soient des sujets « bateaux » de sermon rhétorique et superficiel ? Comment faire en sorte que cela puisse nous rejoindre dans notre vie ordinaire, dans notre simple aujourd’hui confronté à l’éternité de Dieu ?

Devant l’ampleur du défi, j’ai eu un instant de doute et de découragement et – j’ose l’avouer – j’ai tapé « amour » et « gloire » sur un moteur de recherche et j’ai trouvé les 1’090’000 citations d’Internet concernant la série télévisée américaine Amour gloire et beauté : appelée aussi Top Models

1’090’000 citations. Alors là, cela devenait intéressant. Il est clair que notre culture ambiante ne se nourrit pas seulement de feuilletons télévisés.  Pourtant si une série qui s’appelle Amour, gloire et beauté peut, depuis 20 ans et à travers 5000 épisodes, passionner 45 millions de personnes à travers le monde, c’est qu’elle est significative de ce que le monde a à dire et à montrer sur l’amour, la gloire et la beauté.

« Le MONDE » et c’est tout l’enjeu car nous tombons en plein dans saint Jean, mais peut-être justement à contre-jour, en opposition avec la vision que l’évangile veut donner du sens de l’amour, de la gloire et de la beauté. En effet, saint Jean oppose les valeurs du Christ avec les valeurs qui vont dans le sens du monde, ces valeurs du monde qui ne sont pas mauvaises en soi, mais qui portent en elles des germes de finitude et d’insatisfaction fondamentale.

C’est d’ailleurs une insatisfaction qui est le moteur même des feuilletons, où rien  ne peut finir vraiment, où le téléspectateur est toujours en train d’attendre autre chose : la suite au prochain épisode.

Les valeurs du monde (selon l’idée qu’en a saint Jean) sont des valeurs qui laissent insatisfaits, parce qu’elles n’ont pas de noyau éternel. Et la série télévisée Amour, gloire et beauté est caricaturalement significative de ces valeurs. Elle parle de deux familles qui s’entredéchirent dans le milieu de la mode, chacun des membres essayant d’exister et de se mettre en avant dans le jeu des relations amoureuses et professionnelles qui se tissent et se défont d’épisodes en épisodes. 5000 épisodes, 45 millions de spectateurs assidus. Déchirements amoureux et relationnels, ambitions personnelles et familiales, les entreprises de la mode et du paraître : une trinité humaine : amour, gloire et beauté !

Loin de moi l’idée moralisante de dire que cette série est nulle et qu’il ne faut pas la regarder. Le propos n’est pas là et serait certainement malvenu; mais comme chrétien et si nous décidons de l’être en vérité, nous avons à lire les valeurs du monde pour voir à quel point leur sens est inachevé et peut-être contradictoire par rapport aux valeurs proprement christiques.

Quel amour, quelle gloire, quelle beauté apporte le Christ et promeuvent les chrétiens dans le monde ? quel amour, quelle gloire, quelle beauté me fait vivre, moi, dans ma vie de tous les jours.

Alors il faut bien le dire, et le message de l’évangile est clair: le genre d’amour, de gloire et de beauté que le Christ apporte dans le monde a créé une rupture fondamentale dans l’histoire des hommes. Le Christ nous dit que la gloire n’est plus du côté des grands, des forts, des nantis, de ceux qui se poussent du coude pour arriver à leur fin, mais du côté des petits, des faibles, des laissés-pour-compte, du côté des victimes et des innocents que l’on bafoue et maltraite… La gloire du Christ est là, dans chaque geste fait pour donner du sens à ce qui est humble, faible et petit. L’amour se construit non sur l’amour de soi que l’autre vient servir mais sur l’amour de l’autre dont je me fais serviteur.

Le Christ est clair : le moment de la croix où il se donne torturé est le moment de sa glorification, parce que c’est le moment du don le plus total.

Jésus nous invite à aimer comme lui l’a fait, c’est-à-dire en donnant tout de sa vie, de sa force et de sa capacité à être du côté de l’autre et non pas contre l’autre.

Ainsi et de façon révolutionnaire, le  Christ nous invite à lire la beauté (qui est d’abord une valeur intérieure) non pas dans les artifices du superficiel qui ment mais dans la vérité qui discrètement fait son chemin dans le monde.

Amour, gloire et beauté, tout est dans cet insigne apparemment infamant de la croix, mais qui donne un sens et une dignité à toute souffrance, à tout renoncement de soi pour l’autre, à toute faiblesse qui ouvre à l’autre.

Alors, mes frères, mes sœurs, quel impact de tout ceci sur notre vie chrétienne ? D’abord un impact sur le jugement que nous portons sur notre religion chrétienne. Il ne faut pas lire les réussites du christianisme avec les outils du monde : l’audimat, les statistiques, les louanges médiatiques et la gloire mondaine.

Mais il faut lire la réussite du christianisme à l’aune de la discrétion des valeurs simples et éternelles que cette religion continue à distiller humblement dans le monde. Et je pense que nous avons tous des changements de regard à opérer.

Et dans le concret, le sens chrétien de la gloire (dans le don) de l’amour (dans l’oubli de soi) de la beauté (dans la discrétion) nous invite à faire continuellement le tri en soi … et à prendre en soi le parti pour ce qui est  petit, humble, discret, simple. C’est cela qui fondamentalement a les promesses de la vie éternelle, pas le reste.
Tout le reste (quel que soit le nombre d’épisodes – si je puis dire – fait long feu).

Et tiens ! voilà peut-être une bonne définition de l’Enfer (par de là notre imaginaire terrorisé)… : l’Enfer ne serait-il pas l’amour, la gloire et la beauté du Christ là où ils ont fait long feu ?

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