Messe du 5ème dimanche de carême

 

Père Philippe Lefebvre, couvent des Dominicains, Fribourg, le 21 mars 2010
Lectures bibliques : Isaïe 43, 16-21; Philippiens 3, 8-14; Jean 8, 1-11 – Année C

La femme adultère et ses accusateurs
(Jean 8, 1-11).

Une femme surprise en train de commettre l’adultère. Dans ce cas que le groupe d’hommes soumet à Jésus, il y a un problème : un adultère, aux dernières nouvelles, se commet à deux. Or, où est l’homme ? La loi de Moïse sanctionne en effet l’adultère par la lapidation, mais on est censé alors lapider une femme et un homme. C’est assez curieux que, tout en réclamant l’application stricte de la Loi, nos hommes aient oublié ce « détail » : il faut un partenaire masculin. S’il n’est pas là, lui qui avait part au flagrant délit, c’est qu’il a pu fuir : lui a pu partir, mais elle non. Etrange ! Avait-il des appuis parmi ces pieux défenseurs de la Loi de Moïse ?
Ce qui renforce l’abjection de cette meute d’hommes, c’est qu’en fait, ils n’en ont pas grand chose à faire de cette femme. Qu’elle soit lapidée ou pas leur importe peu ; c’est la peau de Jésus qu’ils veulent. Ils cherchent à le faire parler sur ce cas : peut-être dira-t-il une de ses paroles paradoxales dont il a le secret, et alors on le prendra lui aussi en flagrant délit de transgression de la Loi. Cette femme n’est pour eux qu’un appât pour prendre Jésus. Si l’adultère consiste pour un homme à faire un usage illégitime du corps d’une femme, alors ces hommes sont en plein adultère : ils sont prêts à soumettre le corps de cette femme à un supplice atroce pour atteindre Jésus.

Ce que notre évangile met en scène et met en cause, c’est la passion d’accuser dont certaines personnes sont remplies. Une passion folle, obstinée, d’accuser les autres. On peut dire que cette femme a quand même commis une faute. Continuez à lire les évangiles : vous verrez que Jésus est, lui, totalement innocent, et pourtant il sera mis à mort au terme d’un procès conduit par les plus hautes autorités religieuses de son temps. On est donc mis à mort selon la Loi de Moïse si l’on a péché, mais aussi si l’on n’a pas péché. Cela oblige à réfléchir un peu et à s’interroger.

Faut-il dire alors qu’on ne saurait accuser personne, dans aucun cas, que chacun a suffisamment de choses à se reprocher et ne peut donc jamais prendre parti pour dénoncer quoi que ce soit ? Non, bien sûr. L’actualité de l’Église montre d’ailleurs suffisamment que le silence sur des crimes commis par des prêtres est un autre crime, qui s’ajoute à l’horreur et multiplie la faute. Notre évangile nous enseigne à faire la différence entre ce goût de l’accusation qui ne vise qu’à dénoncer, qu’à anéantir les personnes, et la justice qui est d’un tout autre ordre. La justice procède avec soin, elle fait entendre des voix différentes, elle organise la dénonciation et la défense, elle demande conseil. La passion d’accuser, elle, est un désordre meurtrier ; il conduit à la mort violente, comme cette femme en est aujourd’hui menacée, ou bien à la mort à petit feu comme il arrive dans nos milieux feutrés.

Pourquoi certains débordent-ils de cette passion d’accuser ? Parce qu’ils veulent absolument être du côté où l’on juge, où l’on dispose de la vie des autres. Mais pourquoi ? Peut-être parce qu’ils ne souhaitent pas être soumis eux-mêmes à un regard extérieur sur eux. La bande d’hommes qui amène cette femme brandit la Loi de Moïse ; mais, comme nous l’avons dit, ces hommes appliquent cette Loi avec bien peu de rigueur, eux qui ont oublié d’amener aussi l’homme coupable, eux qui n’ont aucun scrupule à massacrer une femme pourvu qu’ils abattent aussi Jésus.
Saint Paul a bien raison de dire que, grâce au commandement de la Loi, le péché est révélé comme péché. Mais attention : il ne s’agit pas seulement des fautes que la Loi énumère et dénonce, mais aussi du péché de certains auditeurs qui entendent cette Loi. Il y a en effet des gens qui, quand ils apprennent que tel acte est une faute grave, se précipitent pour trouver des personnes qui, à leurs yeux, se rendent coupables de l’acte en question. Le principe de leur geste est : c’est eux, ce n’est pas nous.
Nos accusateurs aujourd’hui en sont un exemple : ils ne respectent pas la Loi de Moïse tout en s’en réclamant, mais ils détournent l’attention qu’on pourrait leur prêter en exhibant cette femme et en mettant Jésus en cause. Eux sont hors de cause, comme ils voudraient nous le faire croire. Ils mentent. Et le piège qu’ils tendent est une alternative : ou bien Jésus est avec eux et il accuse aussi cette femme, ou bien Jésus s’oppose à eux et il devient aussitôt accusé. C’est un genre de situation que l’on connaît dans une vie ; ceux qu’on ne peut jamais mettre en cause disent : ou bien tu accuses avec nous un ennemi commun, ou bien tu te fais notre ennemi.
Jésus répond : « que celui qui est sans péché jette la première pierre » ; en disant cela, il brise leur impunité. Pour une fois, ils sont mis en cause. Et comme ce sont des gens qui connaissent la Loi, même s’ils l’appliquent avec perversité, ils savent très bien que Jésus les renvoie à ce qu’ils viennent de faire : amener la femme et pas l’homme, par exemple. Et ils savent que, chez les prophètes de la Bible, il existe un mot technique pour dénoncer ceux qui mentionnent toujours la Loi de Dieu sans la vivre jamais : c’est le mot adultère. Le Seigneur, par la bouche des prophètes, traite plusieurs fois son peuple d’adultère, quand ce peuple parle de la Loi divine tout en vivant à sa guise, bien loin de ce que Dieu propose. Qui est adultère dans cet évangile de la femme adultère ? Les plus anciens de la clique l’ont compris les premiers et s’en vont.

La femme reste seule avec Jésus. De fait, si l’homme adultère n’est pas là, Jésus, lui, est là. II tient la place de l’accusé et risque sa vie. Si vous lisez la suite de cet évangile, vous constaterez que, peu après, lors d’une nouvelle discussion houleuse, les adversaires de Jésus vont ramasser des pierres et faire mine de le lapider. L’homme adultère échappe à la lapidation, mais Jésus, lui, en est menacé. Le péché, le péché du monde, c’est lui qui le porte ; la place vacante laissée par les coupables, c’est lui qui l’occupe.

Un mot encore : les biblistes ont souvent remarqué que notre texte ressemblait beaucoup au style de l’évangile de saint Luc : une histoire de femme comme il y en a tant chez Luc, un pardon accordé. Or, l’évangile de Luc raconte dès son premier chapitre comment Marie accepta d’être mère du Sauveur. Le fait qu’elle soit vierge et fiancée à un homme la mettait dans une situation terrible qu’elle acceptait donc d’assumer. En effet, une vierge que l’on découvrait enceinte relevait, selon la Loi de Moïse, des lois sur l’adultère : elle devait être lapidée avec l’homme avec qui elle avait fauté. C’est au point, raconte l’évangile de Matthieu, que son fiancé Joseph voulait la répudier en secret. En secret parce que, si l’affaire avait été portée sur la place publique, elle risquait la mort. Jésus voit donc aujourd’hui une femme qui subit ce que sa propre mère aurait pu subir. Bien sûr, nous autres chrétiens savons et croyons que Marie n’est pas du tout en faute, bien au contraire. Mais elle a dû traverser ces circonstances qui, à vues humains, l’accablaient. De même Jésus, l’Innocent, a été mis au rang des assassins.

Il y a ceux qui se mettent toujours hors de cause et accusent les autres, comme le font les hommes de notre bande aujourd’hui. Et il y a ceux qui vivent en acceptant d’être mis en cause, d’être impliqués dans les histoires difficiles de notre humanité et même d’endosser des fautes qu’ils n’ont pas commises.

 

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