Messe du 5e dimanche ordinaire

 


Chanoine Jean-Claude Crivelli, à l’institut La Pelouse, Bex, VD, le 4 février 2001.

Lectures bibliques : Isaïe, 6, 1-8; 1 Corinthiens 15, 1-11; Luc 5, 1-11

La peur ! Omniprésente dans la vie des hommes et des femmes. Enracinée dans notre constitution psycho-affective. Elle nous habite sans nous lâcher d’une semelle de la petite enfance jusqu’à notre vieillesse. L’existence est une forêt obscure qu’il s’agit de traverser : le chemin est peu sûr, nous pouvons le perdre ; de plus des monstres de toutes sortes nous guettent, prêts à nous engloutir.

Peur qui nous tient à l’endroit de nos conditions matérielles. Celle qui étreint le chef d’entreprise : pourra-t-il lutter contre la concurrence, maintenir l’emploi de ses salariés ? Celle de l’employé livré à la merci des fusions et autres restructurations qui agitent chaque semaine le paysage de notre économie. Celle du jeune couple qui hésite à risquer le mariage pour la vie entière, à mettre des enfants au monde… car de quoi demain sera-t-il fait ? et sur quel avenir peut-on miser dans un univers traversé par la délocalisation, les mutations incessantes ? Peur encore de tant de populations livrées au terrorisme, à la violence et à la corruption de tant de politiciens – l’actualité de ces jours ne nous rappelle que trop combien le pouvoir reste guetté par cette forme de violence à l’endroit des citoyens qu’est la corruption par l’argent.

Fondamentalement, derrière ces peurs, ce qui transparaît, c’est la peur de l’autre, la peur des autres. Est-il encore possible de se confier à une personne ? A celui ou à celle qu’on aime, à son père ou à sa mère, à un professeur ou à un entraîneur sportif, à un élu politique, … puisque, tôt ou tard, on en découvre les terribles limites, les failles morales, affectives ou professionnelles ?

Dans leur chemin d’humanité et d’humanisation, les hommes n’ont jamais manqué de témoins, de prophètes, de sages, qui ont su redonner courage à leurs semblables; les remettre sur le chemin de l’amitié, de la foi en l’homme, de ce que l’on appelle « amour » – un mot aux significations pourtant si diverses voire opposées. Voici deux mille ans, un disciple – que la tradition chrétienne se plaît à nommer le « disciple bien-aimé » – disait que l’amour parfait bannit la peur justement. Il avait sans doute recueilli et longuement médité cette parole du Maître à un autre disciple : Avance au large;
celle-là même qui retentit dans notre liturgie dominicale et nous plonge dans les flots du siècle nouveau. « Avance en eau profonde ».

Celui ou celle qui écoute attentivement cette parole devient alors disciple en vérité. Non pas tant parce que, comme par enchantement, il se trouverait subitement empli de qualités et de compétences extraordinaires; mais bien parce qu’il commence à s’ouvrir au monde de la grâce. A cette manière d’être homme qui vient de Dieu même; à cette vision du cœur de l’homme qui, tout en en manifestant les limites et les étroitesses, nous donne d’en espérer des fruits inattendus. Voilà bien un des principes essentiels de la vision évangélique de l’existence. Dans une perspective de grâce, il nous devient possible de regarder sereinement le pire des criminels, le plus abject des traîtres ou le roi des… imbéciles : parce qu’en eux, il y a encore quelque chose de gracieux, et qui, jusqu’à leur dernier souffle, nous permet d’espérer.

Primat de la grâce donc. Jean-Paul II nous exhorte à tenir ce principe essentiel bien devant nous :
Il y a une tentation qui depuis toujours tend un piège à tout chemin spirituel et à l’action pastorale elle-même : celle de penser que les résultats dépendent de notre capacité de faire et de programmer. Certes, Dieu nous demande une réelle collaboration à sa grâce, et il nous invite donc à investir toutes nos ressources d’intelligence et d’action dans notre service de la cause du Royaume. Mais prenons garde d’oublier que sans le Christ nous ne pouvons rien faire (cf. Jn 15, 5).

La prière nous fait vivre justement dans cette vérité. Elle nous rappelle constamment le primat du Christ et, en rapport à lui, le primat de la vie intérieure et de la sainteté. Quand ce principe n’est pas respecté, faut-il s’étonner si les projets pastoraux vont au-devant de l’échec et laissent dans le cœur un sentiment décourageant de frustration ?

Lettre apostolique (6 janvier 2001) Novo millennio ineunte n. 38

Il est significatif que, dans la même Lettre, le Pape désigne, en référence d’ailleurs au concile Vatican II, la prière liturgique comme le lieu source de l’action chrétienne. Sans liturgie nos engagements risquent de virer à l’idéologie. La célébration liturgique – dont les psaumes de la Liturgie des Heures (Jean-Paul II en fait une mention spéciale) – nous donne d’entrer en vérité et avec courage dans les eaux profondes de l’apostolat et de ne jamais désespérer de ses fruits. Le nouveau millénaire s’ouvre devant nous comme un vaste océan dans lequel il vaut la peine de s’aventurer. Le Christ y accomplit son œuvre encore aujourd’hui : nous devons avoir un regard pénétrant pour la voir, et surtout nous devons avoir le cœur large pour en devenir nous nous-mêmes les artisans.

 

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