Messe du 5e dimanche de Carême

 

Abbé Canisius Oberson, au Monastère de la Visitation, Fribourg, le 25 mars 2007
Lectures bibliques : Isaïe 43, 16-21; Philippiens 3, 8-14; Jean 8, 1-11 – Année C

Avec ce cinquième dimanche de Carême, voici le moment venu d’apporter, non pas tant une conclusion qu’un point d’orgue, ou une direction à suggérer, pour que dans tous nos lieux de vie soit pris en compte le fil rouge que nous avons suivi depuis le premier dimanche : « Nous croyons. Tout travail doit respecter la dignité humaine ».

Habituellement, lorsque nous entendons l’épisode dit « de la femme adultère », nous nous trouvons consolés, et encouragés à maintenir le cap de l’espérance, quand notre état de pécheurs fait que nous nous reconnaissons nous-mêmes dans cette femme face à Jésus. Et nous essayons de retenir la leçon qui veut que l’on ne juge personne en raison de sa faute, et que la faute des autres nous révèle celle qui est en nous. Tout cela est juste. Mais la parole de Dieu est riche. Comme disait un exégète, quand on lit un texte comme celui-ci, il faut se méfier de « l’autoroute de sens », de manière que ce sens ne se transforme pas en sens unique !

Le contexte de l’épisode est déjà porteur d’un sens précis. Scribes et pharisiens amènent une femme auprès de Jésus. Ils sont les spécialistes de la Loi, et ceux qui sont sensés l’observer scrupuleusement. Pour eux, à vrai dire, peu leur importe cette femme. Ils lui ont déjà dénié toute dignité. Elle est leur objet. L’objet jeté devant Jésus pour le confondre, de manière à trouver motif à le condamner. Son attitude envers les pécheurs en particulier, avait fait de lui, à différentes reprises, un hors-la-loi.

On sait comment Jésus évite le piège qu’on lui tend. Sa parole est devenue proverbiale : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre ». Auparavant, Jésus avait tracé des traits sur le sol. Comme pour dire : la Loi est la Loi, c’est celle qui avait été inscrite sur la pierre, les dix commandements. Mais pour Jésus la faute du pécheur ne s’inscrit pas dans la pierre : la miséricorde de Dieu est capable de l’effacer, comme le vent efface un trait inscrit dans le sable ! Si le péché doit être condamné, le pécheur est pardonnable, car Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il vive ! La suite du récit montre qu’effectivement, le non-jugement de Jésus rétablit cette femme dans sa dignité : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus ».

Désormais elle peut se tenir debout, face à Jésus, digne. La mort était le chemin sans issue que lui réservaient scribes et pharisiens. Avec Jésus, un avenir s’ouvre devant elle.

Chers amis, si l’Église, nous chrétiens, nous recevons, comme nous le croyons, mission de continuer l’œuvre de Jésus à travers les temps, nous sommes attendus, particulièrement partout où la dignité humaine n’est pas reconnue, partout où elle est bafouée, partout où le travail conduit à l’asservissement de la personne humaine, à cause de l’idolâtrie de l’argent et du pouvoir. Le monde nouveau entrevu par Isaïe germe déjà parmi nous. Chez nous les conditions de travail se sont grandement améliorées tout au long du XXe siècle ! Mais, sous prétexte de mondialisation et de concurrence, il ne faudrait pas revenir en arrière, sans considération pour la personne humaine ! La norme devrait être les conditions de travail d’ici, pas celles de la Chine ou des esclaves qui défrichent la forêt amazonienne dans le Nord du Brésil !

C’est à nous, chrétiens, avec tous les hommes de bonne volonté de notre temps, qu’il revient de veiller, dans la solidarité, à ce que personne ne soit nulle part méprisé, utilisé comme un moyen de production !

Notons ceci : pour éviter que la femme adultère ne devienne un objet pour le faire condamner, pour la rétablir dans sa dignité, Jésus utilise le langage de la non-violence. Il amène ceux qui voulaient l’utiliser et la condamner à se juger eux-mêmes. Ils vont partir l’un après l’autre… C’est un bel exemple d’efficacité, pour un seul homme qui s’affrontait au système religieux en place ! N’y aurait-il pas là une inspiration pour tous ceux qui pensent que le combat pour la justice est perdu d’avance, qu’on ne peut rien changer, par exemple, à un système économique qui exclut les faibles et creuse le fossé entre riches et pauvres ?

La récente exhortation de Benoît XVI sur « le sacrement de l’amour », l’eucharistie, a été passablement discutée dans les médias. Ceux-ci ont soulevé des points discutés et discutables figurant dans ce document. Mais le lien que fait le document – et c’est important pour notre sujet – entre Eucharistie et engagement social, l’engagement pour la justice, a été bien peu souligné. Par exemple le pape dit que « nous ne pouvons rester sans rien faire devant certains processus de mondialisation qui font souvent grandir démesurément, au niveau mondial, l’écart entre riches et pauvres. Nous devons dénoncer ceux qui dilapident les richesses de la terre, provoquant des inégalités qui crient vers le ciel » (No 90).

« Nous croyons. Tout travail doit respecter la dignité humaine. » C’est notre foi, en définitive, qui fonde notre engagement en faveur de la dignité humaine ; c’est le Christ lui-même, qui s’est engagé dans un combat crucifiant contre le mal, pour que resplendisse sur tout visage humain la gloire de Dieu, c’est-à-dire le resplendissement de son amour pour toute personne humaine.
Amen. 

 

 

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