Messe du 4ème dimanche de Pâques

 

 

Cardinal Henri Schwery, à l’église de la Trinité des Monts à Rome, le 7 mai 2006
Lectures bibliques : Actes 4, 8-12 ; 1 Jean 3, 1-2 ; Jean 10, 11-18 – Année B

Chers frères et sœurs,

Y a-t-il un rapport entre les textes bibliques de la liturgie dominicale et l’actualité ? Pas toujours évident ! … Pourtant, Dieu est toujours présent au monde et son Verbe Incarné ne cesse de s’exprimer. Comme pour entendre une émission radio, ne faut-il pas d’abord s’aligner sur la bonne longueur d’onde ? Autrement dit laisser l’actualité nous suggérer de bonnes questions, sur la bonne fréquence !

Par exemple, en ce dimanche des vocations sacerdotales : Pourquoi connaît-on une telle crise des vocations dans une l’Église qui multiplie les appels en réponse aux besoins du peuple chrétien ? Chacun de nous a peut-être un début de réponse. Mais qu’en pensent les appelés eux-mêmes ?

Question comparable, à l’occasion du cinquième centenaire de la Garde Suisse Pontificale : quel esprit peut motiver de jeunes helvètes à offrir quelques années de leur vie pour garder le Vatican, parader devant les Hauts dignitaires en visite d’État, ou se faire photographier par les touristes ?

Le monde auquel nous appartenons ne le comprend pas très bien. N’a-t-on pas publié quelque part sous une photo de Jean-Paul II cette question, ironique ou provocante, « Comment peut-on aimer un tel pape ? » C’était cependant une bonne question. Mais si je dois limiter ma réponse aux seuls arguments de ce monde, je demeure sans voix. C’est une impasse, d’ailleurs annoncée depuis près de 2000 ans dans la lettre de saint Jean qu’on vient de lire : « … le monde ne peut pas nous connaître ».

En effet, la nature humaine, si belle et digne soit-elle, est appelée à un dépassement, dans un autre monde, que nous appelons « surnaturel », où d’autres réalités ont leurs approches spécifiques et une langue appropriée. Dieu « a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu, et nous le sommes. Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître » et saint Jean aurait pu ajouter « car nous ne parlons pas le même langage ».

La « Grâce », par exemple, n’est pas un charisme de notre nature, mais une participation humaine à la nature divine que, évidemment, ce monde ne peut ni comprendre ni donner.

Interrogez des Gardes Suisses sur le sens de leur service du Saint-Père. Leur motivation dépasse largement les seuls goûts de l’aventure, de la culture ou de la discipline militaire. Comment pourrait-on les interviewer objectivement, s’il n’y avait pas de longueur d’onde commune entre eux et le reporter ou l’auditeur ? Une motivation, d’ordre surnaturel, ne peut en effet s’exprimer, si la langue doit se confiner dans les seules expériences naturelles. « Voilà pourquoi, selon saint Jean, le monde ne peut pas nous connaître.

Dans l’ordre inverse, le braconnage des sacristies enrichit le vocabulaire profane, sans pour autant en élever le niveau spirituel. Par exemple, quand un reporter sportif s’enthousiasme et s’écrie : « Aujourd’hui Stéphane Lambiel, ou Zidane, est en état de grâce ! », – … objectivement : ni le reporter ni moi ne le savons. À moins qu’en évoquant la Grâce, tous deux, nous ne parlions pas du tout de la même chose.

Ce qui nous empêche pas, tous deux, d’admirer les champions : leur travail, le dépassement de soi, les talents, la persévérance et d’autres valeurs, toutes confinées dans les dimensions naturelles de ce monde. Somme toute, ce braconnage du vocabulaire sacré est, sans doute, anodin. Mais il est révélateur d’un fait de société qui provoque de bonnes questions face à la Révélation biblique.

D’une part, on gomme le monde surnaturel, soit en ne s’y intéressant pas, soit en le banalisant et en le noyant dans des réalités purement naturelles.

D’autre part, nous sommes de plus en plus performants dans les domaines de l’industrie, des arts, du sport, des sciences. Notre temps est caractérisé par une civilisation de la performance. Celle-ci est dangereuse si elle est débridée. Songeons à toutes les formes de dopage. Et aussi aux « laissés pour compte », notamment à ces jeunes, aigris devant l’échec et le chômage programmé, s’abandonnant parfois aux réactions désabusées, voire violentes. Dans la course aux performances, le sens de la vie,- individuelle ou sociale,- ne se réfère qu’à des normes humaines. Cette société-là fait l’impasse sur un autre monde : le surnaturel devient tabou.

Or, qu’est-ce que la Révélation biblique sinon une ouverture béante du biotope humain sur une autre réalité, l’environnement surnaturel, omniprésent ? Ainsi, quand Jésus se présente comme le bon berger, ce n’est pas une simple image du dévouement parfait, ni l’évocation d’une performance professionnelle. Il nous dépeint un face à face extraordinaire de deux natures, étrangères l’une à l’autre : celle du berger et celle des brebis. Si saint Pierre nous appelle « pierres vivantes », n’évoque-t-il pas des interférences à travers des barrières aussi imperméables que celles qui séparent l’humain du minéral ?

Le Christ, de nature divine, s’est fait homme pour nous communiquer la « Grâce » c’est-à-dire le moyen d’atteindre le surnaturel. Il ne s’est pas limité à prêcher « la Grâce », Il a, effectivement, ouvert le passage d’un monde à l’autre.

Face à ses brebis, le meilleur des bergers leur demeure de nature différente. Or Jésus ajoute « le vrai berger donne sa vie pour ses brebis ». Mais, si nous limitons le don de Sa vie à la mort sur la Croix, nous ne comprenons qu’une petite partie de ce qu’Il nous dit. Si Jésus donne sa vie POUR ses brebis, Il donne aussi sa vie A ses brebis. Il leur accorde l’accès à une part de Sa nature, normalement inaccessible aux brebis comme aux hommes, puisque surnaturelle.

De fait, ce passage d’Évangile, cohérent avec plusieurs autres, annonce le don inouï de la Communion et du partage surnaturel dans l’Eucharistie, le franchissement scientifiquement impensable de l’abîme entre la nature des brebis et celle du berger.

Jésus n’avait-Il pas parlé du grain de blé tombé en terre, qui doit mourir pour porter du fruit ? La comparaison fait de la nature humaine un champ, et de la vie de la Grâce une semence. Or, la spécificité de la Foi Chrétienne est fondée sur ceci d’inouï que notre champ humain peut accueillir une semence surnaturelle, sans pourtant la dégrader comme la terre qui assimile les graines mortes. En accueillant la semence divine qui vit et grandit en elle, la nature humaine est élevée avec elle et par elle au niveau surnaturel. Elle entre dans l’ordre d’une vie qui ne connaît pas la mort. Saint Paul l’écrit aux Romains : « Votre corps a beau être voué à la mort, (…), si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, (…) Il donnera aussi la vie à vos corps mortels » (Rm 8,10-11).

Banaliser la célébration de l’Eucharistie c’est fermer la fenêtre de la révélation au sommet de son ouverture définitive, béante, sur le surnaturel. Au contraire, honorer le don de Dieu, c’est reconnaître que la Grâce respecte la nature humaine tout en y implantant une pousse d’ordre surnaturel, proprement divine. Telle est la foi des brebis de son troupeau.

Jésus parle aussi aux brebis qui ne sont pas de sa bergerie. Certes, elles ne comprennent pas sa voix,… tout comme nous d’ailleurs, ses propres brebis qui, souvent, entendons sans comprendre. Beaucoup de nos questions restent encore sans une réponse qui nous soit satisfaisante. Il faut pourtant continuer d’entendre le Berger et lui faire confiance. « Entendre » !… comme plusieurs personnages bibliques, dont Jésus a loué les mérites : Marie par exemple, sa Mère, dont l’évangile dit qu’elle n’avait pas compris ses paroles mais qu’elle les gardait dans son cœur. De tels exemples fortifient notre Espérance en Celui qui nous en a fait la Promesse : « elles écouteront ma voix ». AMEN.

 

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