Messe du 4ème dimanche de l’Avent

 

Abbé Marc Donzé, monastère de la Visitation, Fribourg, le 19 décembre 2010
Lectures bibliques : Isaïe 7, 10-14; Romains 1, 1-7; Matthieu 1, 18-24 – Année A

« Voilà c’que c’est, mon vieux Joseph / que d’avoir pris la plus jolie / parmi les filles de Galilée / celle qu’on appelait Marie ». C’est Georges Moustaki qui chantait ce refrain, ma foi plein d’affection. Permettez qu’à mon tour, je m’adresse directement à Joseph, dont l’Evangile ne rapporte aucune parole, mais qui pourtant m’apprend bien des choses de la vie – et j’espère que ce sera le cas pour vous aussi.

  Alors, Joseph étais-tu jeune ou vieux ? Finalement, cela a peu d’importance. Quand le métèque t’appelle vieux, c’est juste un mot de familiarité. Moi, je te vois plutôt jeune, vigoureux, avec la force qu’il faut pour affronter les responsabilités de la vie, qui seront assez rudes.

Et Marie, était-elle la plus jolie ? Sûrement. À cause de la beauté de son cœur. Et cette beauté devait se refléter sur son visage, dans son corps, dans ses gestes, dans son allure. Marie toute de légèreté et toute de lumière.
C’est là que tu as pris des risques, mon cher Joseph. Épouser une femme au cœur immense, c’est entrer dans l’aventure de ce cœur, et on ne sait pas où cela va mener. Mais, de toute façon, c’est une aventure d’amour. Décidément, Joseph, tu n’as pas choisi la solution confortable entre ton atelier et ton foyer.

Première aventure : Marie devient enceinte, avant que vous ayez cohabité. Aie. Quelle énigme indéchiffrable. Comment Marie, qui a un cœur si pur, aurait-elle pu te trahir ? Impossible. Et pourtant c’est là. Comment réagir ? Il n’y a  pas de bonne solution à une énigme incroyable; il faut que la solution vienne d’ailleurs.
Toi, Joseph, tu es un juste. Mais pas un juste psycho-rigide. Si tu avais respecté la loi juive de façon légaliste, tu aurais dû répudier Marie publiquement. Mais c’eût été trop dur. Provisoirement, car tu aimes, tu choisis une solution plus douce : répudier Marie en secret… et tu sais bien que ce n’est pas une solution. Alors, tu restes ouvert à la dimension du mystère. Comme disent les gens qui ont du langage, tu restes ouvert à la verticalité de l’instant. Et justement, la solution va venir de plus loin, de plus haut ; elle vient d’un ange, finalement elle vient de Dieu : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse ; l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ». Et la solution t’est donnée en songe. J’aime bien que ce soit en songe. Ce n’est donc pas un raisonnement ; ce n’est pas une dissertation sur la loi et la jurisprudence. Le songe fait appel aux couches les plus profondes de l’être. Et donc, toi, Joseph, tu étais disponible au mystère avec les couches les plus profondes de ton être. Tu ne les cachais pas sous d’épaisses couches de prudence, de protectionnisme, d’ambition, d’hypocrisie pour recevoir une bonne note sociale, pharisienne ou rabbinique.
Merci, Joseph, de m’apprendre à devenir un homme juste, aimant et miséricordieux, ouvert aux solutions qui viennent de plus loin.

Deuxième aventure. En réalité, c’est tout un ensemble d’aventures : aller à Bethléem avec Marie enceinte; vivre la naissance de Jésus dans une crèche; accueillir les bergers et les mages; fuir devant le loup Hérode et s’exiler; revenir d’Egypte; et enfin retrouver Nazareth et le travail de charpentier. J’aime bien te voir, Joseph, comme un homme responsable, qui affronte les événements avec lucidité, sagesse et courage. Finalement tu les affrontes avec l’Esprit du Seigneur, celui que promettait déjà Isaïe. Tu les affrontes comme un homme de paix. Mais aussi avec intelligence; tu ne fonces pas les yeux baissés. Tu marches doucement avec ton âne, et Marie dessus, et l’enfant aussi. Quand l’obstacle devient trop grand – comme subir la cruauté du loup Hérode – tu sais écouter ton être profond et tu vas plus loin, jusqu’en Egypte. Le temps de l’affrontement, ce sera pour beaucoup plus tard. Il y a le temps pour se protéger; il y a le temps pour faire front.
Merci, Joseph, de m’apprendre à marcher de façon responsable, intelligente et aimante, avec l’Esprit du Seigneur.

Troisième aventure : celle de devenir père. Pendant de longues années, Joseph, tu as aidé Jésus à grandir. Avec Marie, tu lui as appris ce qu’il avait besoin d’apprendre : prier selon les rites de son peuple; travailler; établir des relations sociales. Tu as aidé Jésus à grandir comme personne, car, même si Jésus est Fils de Dieu, il a dû apprendre tout ce qui concernait son insertion humaine et sociale. Tu n’as pas vécu la paternité physique; mais tu as vécu ce qu’on appelle maintenant la paternité de la personne, qui est bien plus importante que la paternité physique : contribuer à ce qu’un enfant devienne un homme debout et veiller à ce qu’il puisse accomplir ce qu’il a de plus noble en lui, avec justice et amour.

Cher Joseph, père par le cœur, tu as quelque chose à nous dire sur ce que signifie être père, être mère. Ce n’est pas faire un enfant pour soi, pour l’accomplissement de je ne sais quel désir égocentré (et ceci même à des âges fort avancés !). C’est donner un enfant à lui-même et au monde.

Vierge romane Les statues romanes de la Vierge Marie sont à cet égard très significatives. Marie tient son enfant, mais elle le tient comme une offrande ; elle le donne. Parfois, elle le tient de manière si donnée que l’enfant Jésus a l’air de tomber vers le monde. Aucune possessivité dans le geste de Marie.
Être père, être mère, c’est la longue aventure d’engendrer une personne. La fidèle aventure.

Et pour qui ne vit pas une paternité ou une maternité physique, il y a mille autres possibilités d’aider les personnes à grandir vers la noblesse de leur être devant Dieu… pour que les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent… et que le monde advienne à plus de lumière, n’est-ce pas, Joseph, vraiment père par le cœur !

Il y a tant de choses que je peux apprendre avec toi, mon « vieux » Joseph. Mais pour aujourd’hui, je sais déjà que je suis appelé à devenir un juste aimant, ouvert au mystère; un homme responsable, marchant avec l’Esprit de Dieu; un père, une mère par le cœur. Voilà ce que c’est que de t’écouter. Amen.

 

 

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