Messe du 4e dimanche de l’Avent

 

Père Guy Musy, à l’église St-Joseph, Genève, le 24 décembre 2006
Lectures bibliques : Michée 5, 1-4; Hébreux 10, 5-10; Luc 1, 39-45 – Année C

Que ta grâce Seigneur, notre Père, se répande dans nos cœurs !

C’est ainsi qu’en cette veille de Noël est formulée la prière qui introduit notre liturgie. Ce 24 décembre, jour d’intenses et fébriles préparations à la fête, nous aurions attendu de l’Eglise un appel plus attractif et plus incitatif, comme la harangue d’un Père Noël engagé par un centre commercial pour stimuler la clientèle de la toute dernière minute. « Encore un peu d’argent au fond de ma poche. Qu’aurai-je donc oublié pour le réveillon de cette nuit ? »

Mais Dieu, notre Père, n’a rien de commun avec le Père Noël. Ce qu’il cache dans sa hotte n’est pas à vendre ni à brader. Surtout, s’il s’agit de la grâce qu’on lui demande de « répandre dans nos cœurs. »

« La grâce dans nos cœurs » En prononçant ces mots, j’ai bien peur de n’intéresser personne. Cette expression, délavée par des siècles d’usage ou de mésusage homilétique et catéchétique, sent trop la naphtaline, la sacristie, la littérature pieuse et les formules passe-partout pour passionner les foules. Dieu, notre Père, n’aurait-il donc pas de cadeau plus attrayant à nous faire à Noël que « sa grâce dans nos cœurs » ? Comment rendre sa densité à cette expression, assurément biblique, devenue banale et, pour beaucoup de nos contemporains, absolument insignifiante ?

La Bible qui parle concret donne pourtant un sens lumineux au mot « grâce ». C’est le regard bienveillant, le clin d’œil que l’on fait à quelqu’un, pour attirer son attention, lui dire qu’on ne l’oublie pas et même qu’il a du prix à nos yeux. Cela peut être aussi un geste affectueux, un signe ou une marque de reconnaissance qui fait d’autant plus plaisir qu’on ne s’y attend pas et qui nous semble immérité. La grâce est toujours une surprise gratuite. Surtout si elle vient de quelqu’un qu’on tient en grande estime. « Figure-toi, il m’a remarqué dans la foule ; il s’est déplacé ; il est venu jusqu’à moi ; il m’a même parlé ». Ce sont exactement les mots de la Vierge Marie, dont il est écrit qu’elle fut « comblée de grâce ». « Le Seigneur m’a regardée, moi qui n’ai rien pour me faire valoir et attirer son attention, si ce n’est la bassesse ou l’humilité d’une servante. »

La grâce est donc le clin d’œil divin qui pénètre et transforme le cœur humain en profondeur. Comme un rayon de soleil un jour d’hiver passe à travers une vitre opaque pour illuminer et réchauffer ceux qui se calfeutrent à l’intérieur.

Demain Noël, Dieu fait un clin d’œil à notre terre et à notre monde. A commencer par notre petit monde. Il vient réchauffer et illuminer notre histoire personnelle, celle que nous traînons parfois comme un boulet ou celle qui nous entraîne là où nous ne voudrions pas aller. Clin d’œil divin qui devrait nous revaloriser. Si Dieu me regarde, c’est donc que je compte pour lui. J’ai du prix à ses yeux. Je ne suis pas si misérable que je l’avais d’abord imaginé.

Depuis plus de trente ans, Brigitte, laïque missionnaire qui a grand dans ma paroisse, consacre sa vie aux Indiens de l’Altiplano péruvien. Sa dernière trouvaille : leur apprendre ou leur faire redécouvrir l’estime d’eux-mêmes. Une action bien plus importante que celle qui se limiterait à les arroser de riz ou de dollars Il faut avoir passé ou vécu dans ces villages désolés pour mesurer le degré de désespérance, de résignation et d’humiliation accumulées par ces Indiens à travers des siècles de sujétion et de mépris. Brigitte leur permet de relever la tête, de retrouver le goût de vivre et de bander leurs énergies. Exactement ce que Dieu fait à Noël.

Notre terre a du prix pour lui, puisqu’il a choisi de l’habiter, pour ne plus la quitter. L’estime qu’il nous porte nous permet à notre tour de relever la tête et de croire à nos possibilités et à notre dignité. Certains Pères de l’Eglise ont ciselé des formules audacieuses pour le dire. « Dieu se fait homme, pour que l’homme devienne Dieu ! ». Ou encore : « Quel admirable échange : Dieu prend notre humanité et nous fait don de sa divinité ».

Mais, sommes-nous conséquents ? Aimé de Dieu, saurai-je demain refléter une parcelle de cet amour ? A qui ferai-je un clin d’œil, à mon tour ? Dire à ceux qui n’y croient pas ou à ceux qui ont cessé d’y croire que Dieu les aime comme ils sont et que son amour les valorise. Oserais-je répéter aux plus désespérés d’entre eux la parole du prophète : « Même si ton père ou ta mère t’abandonne, moi, ton Dieu, je ne t’abandonnerai pas ! » Et non seulement le dire, mais remplacer chez ces enfants en manque d’amour ce père ou cette mère qui auraient dû les chérir.

J’habite au pied d’un clocher genevois qui chaque midi égraine quelques tintements. Pour remettre nos pendules à l’heure ? Sonner l’arrêt du travail ? Nous rappeler le moment de la soupe ou de l’apéro ? Les chrétiens en connaissent l’origine et le sens. Ils ont besoin de cette cloche cristalline pour leur rappeler que lors du premier Noël Dieu a regardé les hommes avec tendresse et qu’il ne cesse depuis lors de leur montrer sa bienveillance en répandant à profusion sa grâce dans leurs cœurs. C’est pourquoi, j’ai la témérité de vous souhaiter à tous et à toutes un joyeux Noël. Même si vous avez mille et une raisons de vous attrister ce soir ou demain. Le deuil, la maladie, la solitude, l’isolement ne devraient pas vous éloigner de la divine tendresse.

  Puissiez-vous ce soir ou demain rencontrer un ange, avec ou sans ailes, qui vous le dira bien mieux que moi, et surtout qu’il vous prenne dans ses bras, éponge la sueur de votre front et apaise vos angoisses.

Les anges courent dans nos rues, celles qui traversent nos villes et «nos campagnes », ainsi que nous allons le chanter encore cette nuit. Ces messagers de la tendresse de Dieu ne s’appellent pas forcément Gabriel ou Raphaël. Ils pourraient même porter nos prénoms, les vôtres et le mien. Peu importe leur provenance et leur apparence : l’essentiel est que tous ces anges arborent sur leurs lèvres le sourire de Dieu.

 

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