Messe du 3ème dimanche du Carême


 

Chanoine Claude Ducarroz, Monastère de la Visitation, Fribourg, le 23 mars 2003.

Lectures bibliques : Exode 20, 1-17; Jean 2, 13-25

Perdu au milieu d’une foule très dense et en mouvement, par exemple dans le hall d’un aéroport à l’heure des grands embarquements.

 

Tu avais donné rendez-vous à un ami pour partir en voyage avec lui. Soudain, tu l’aperçois là-bas, dans la cohue, à l’autre bout du vaste espace tellement encombré. Vous vous faites des signes, vous essayez de communiquer par gestes. Pas facile de tout comprendre, malgré l’attention que vous portez à la personne connue et aimée. Il y a des signes évidents, d’autres sont ambigus, d’autres enfin impossibles à interpréter, du moins pour le moment.

 

Beauté, utilité, mais aussi pauvreté des signes. Et pourtant nous en vivons, si nous savons les capter et les déchiffrer.

 

· Premier signe : Jésus monte à Jérusalem à l’approche de la fête de Pâque. C’est le début de sa fin, car son heure est maintenant venue, comme il aimait à le répéter.

 

· Il purifie le temple pour ôter du sanctuaire tout ce qui en faisait une maison de trafic indigne : autre signe de pleine autorité sur la maison de Dieu dont le zèle le dévore, comme l’annonçait le psaume 69.

 

· Mais ensuite la révélation des signes se brouille aux yeux des auditeurs juifs. Ils demandent un signe supplémentaire à Jésus. Celui-ci évoque encore le temple, mais c’est celui de son corps, bientôt brisé sur la croix, qu’il relèvera le troisième jour dans le prodigieux sursaut de la résurrection.

 

Et là s’arrête la lecture des signaux. Même les disciples ne comprirent tout cela qu’après la résurrection, et encore, grâce à l’éclairage des Ecritures, dans le souvenir des paroles de Jésus.

 

Je viens de recevoir une lettre qui m’a fait signe et, pour ne rien vous cacher, elle continue de me bouleverser.
Elle est signée d’un homme de 74 ans, que je ne connais pas. Il m’écrit: « Dans ma jeunesse, j’étais un croyant très fervent. Au fil des ans le doute s’est installé. J’ai perdu la foi. J’aimerais tellement retrouver la foi de mon enfance. S’il vous plaît, aidez-moi à retrouver ma sérénité intérieure. Elle me manque cruellement ».
Cet homme se définit ainsi : « Je cherche la vérité. » Il est ouvert, il est aux aguets, il scrute l’horizon, il écoute. Il attend un signe, qui lui dessille les yeux, qui touche son cœur, qui le remette en route vers le Christ vivant.
Tôt ou tard, avec une telle soif de lumière et de paix, je suis sûr qu’il reconnaîtra le grand signe de la croix, cette folie de Dieu plus sage que l’homme, parce qu’elle a ouvert sur nous l’amour du Père au point de faire éclater le cœur de son Fils. Un amour fou, un amour à en mourir … d’amour évidemment.

 

Mais en même temps, chrétiens greffés sur le Christ, nous sommes tous des porteurs de signes, jusqu’à pouvoir devenir des signes en personne dans le monde d’aujourd’hui. Il le faut.
Pour cet homme de 74 ans, mais aussi pour tant d’autres, beaucoup plus jeunes, qui crèvent de non-sens, qui meurent de soif à côté du puits, qui précisément n’attendent qu’un signe pour faire le pas de la foi qui mène à la vraie vie.

 

« Beaucoup crurent en Jésus, dit l’évangile, à la vue des signes qu’il accomplissait ».

Et si ce même Jésus voulait continuer de les accomplir en nous, avec nous, par nous ?

Notre monde est impitoyable et les jeunes surtout ne laissent rien passer. Nos paroles pieuses glissent sur eux comme l’eau bénite sur les plumes d’un canard. Ils attendent des signes concrets, ils veulent des gestes cohérents, ils ne croient que les témoins qui se donnent à fond.

 

Pourquoi est-ce l’abbé Pierre qui, depuis des décennies, est le Français le plus estimé par ses compatriotes ? Avant Zizou, figurez-vous. La réponse est évidente : Il a mis en pratique ce qu’il pensait, il est allé jusqu’au bout de ce qu’il disait.

 

Comme Jésus, en somme, dans le signe de ses bras étendus sur la croix pour embrasser le monde avec un amour universel, au point de l’emporter avec lui dans la promesse tenue à 100 % : la vie éternelle, la Pâque.

 

Nous comprenons mieux alors la fécondité de nos écoutes et le dynamisme de nos attentions.
Méditer les Ecritures, être attentif à l’Esprit qui nous parle dans les frémissements discrets de sa présence intérieure. Scruter les signes des temps pour y discerner les appels de l’Evangile, c’est devenir peu à peu un signe personnel, de plus en plus lisible, de plus en plus crédible. Alors je deviens lentement celui que j’écoute. Je fais signe, mais au compte d’un autre, je désigne Jésus par toute mon existence. Je montre le Sauveur en me laissant sauver, comme le doigt de Jean le Baptiste qui ne cessait de signaler l’Agneau de Dieu, celui qui ôte le péché du monde.

 

Bien sûr, tu ne dois pas attendre d’être un nouvel abbé Pierre pour faire signe, ni une nouvelle Mère Teresa, mes Sœurs et Mesdames. Ce Monsieur de 74 ans, ce jeune tourmenté de 20 ans, il est peut-être tout près de toi, sur ton pallier, au boulot ou à la disco avec toi. Et il est pressé de te lire en te voyant vivre.

 

De grâce, te dit Jésus dans le secret de ta conscience, fais-lui un signe après avoir prié pour lui. Un signe vrai, un signe fort, un signe d’amour pur et désintéressé. Et tu verras comment refleurit le printemps dans un cœur fait pour l’été de Dieu.

 

Amen.

 

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