Messe du 3ème dimanche de Pâques

 

 

Chanoine Jean-Claude Crivelli, à La Pelouse, Bex, le 25 avril 2004.

Lectures bibliques : Actes des Apôtres 5, 27-41; Apocalypse 5, 11-14; Jean 21, 1-19

Magnifique coup de filet de la gendarmerie vaudoise, titrait ce matin un quotidien de la région ! En effet, suite au hold-up perpétré vendredi 2 avril dans les locaux du CRPL, les policiers viennent d’arrêter au cours de la même soirée deux ressortissants de Syldavie, un Eskimo du Groenland, trois Papous et un certain nombre d’Helvètes. En tout 153 personnes ont ainsi été appréhendées. Parmi celles-ci une religieuse appartenant à la communauté des Sœurs de … qui, pour arrondir ses fins de mois, se livrait depuis plusieurs années, à l’insu de ses Supérieures, à l’activité lucrative de « dealer ». Tout le landerneau ecclésiastique s’en trouve profondément remué. Cependant, ajoute le chroniqueur de l’agence IPAC, toute ressemblance avec l’actualité serait pure coïncidence : car il s’agit là bien sûr du scénario de la séquence III du nouveau film de Gel Simpson, « La pêche miraculeuse ».

 

Alors,si vous voulez bien me suivre, frères et sœurs, reprenons le script à son début. Séquence I : la mer. Pas celle de Charles Trenet, « qu’on voit danser le long des golfes clairs », mais bien celle des récits bibliques. Celle dans laquelle Jonas fut balancé, celle que les fils d’Israël devaient traverser (cf. Vigile pascale). Ces flots hostiles du lac de Tibériade, où il faut ramer, et ramer encore pour tenter d’y surprendre les bancs de poissons qui transitent par là. Ce n’est plus le temps où Jésus se tenait dans la barque, enseignant les foules massées sur le rivage. Le Fils de l’Homme semble plutôt avoir quitté ce milieu de remous et de mortelles angoisses. On a le sentiment qu’il a délaissé l’existence des hommes, laissant ses disciples affronter la nuit de ce monde sans rien prendre, les abandonnant à leurs projets trop humains de subsistance ecclésiale. Quelle pêche souhaiteriez-vous capturer, frères et sœurs, si vous étiez un des timoniers de l’Eglise ou simplement, comme moi, un petit stratège de la pastorale liturgique locale, sinon du gros poisson à la chair délicate – entendez par là des troupes d’élite, au Credo assuré, aux pratiques religieuses conformes, pures de toute déviance morale et doctrinale, promptes à dénoncer ces fameux abus qui entachent parfois nos célébrations liturgiques – cf. la toute récente Instruction vaticane.de ce dernier vendredi Or, « ils passèrent la nuit sans rien prendre ».

 

Séquence II : « Au lever du jour, Jésus était là, sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. » Jésus aurait-il donc changé de camp ? Ne disait-il pas pourtant, lorsqu’il vivait encore avec eux : « Le Royaume des cieux est comparable à un filet qu’on jette à la mer, et qui ramène toutes sortes de poissons. Quand il est plein, on le tire sur le rivage…on ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien » (Mt 13, 47) ? C’est que les temps ont changé – sans que toutefois la nécessité d’un discernement ne s’en trouve abolie. Mais faire le tri est une tâche qui ne revient pas à ceux qui rament dans les flots de ce monde ; elle ressortit à Celui qui se tient désormais sur le rivage – la forme du verbe grec exprime la nouveauté et la solidité de la posture de Jésus ; il est le Seigneur ressuscité à jamais. Eux par contre nagent – dans tous les sens du terme ! Bien malin en effet l’évêque qui aujourd’hui trouverait la formule magique du « comment agir au milieu des flots incertains de notre temps ? ». On tente ici et là des forums, on se joint à tout ce qui bouge en matière de pèlerinage, on rêve de méga-rassemblements autour du Pape… Certes la croyance – ou le « croire » comme disent les sociologues de la religion – prolifère, souvent de manière désordonnée, malheureusement cela ne profite guère aux Eglises officielles.

C’est donc du rivage, c’est-à-dire à partir de cet au-delà qu’est le monde de la Résurrection, que désormais Jésus est présent au monde transitoire où ses disciples rament. De l’au-delà où il se tient, comme écrit le poète, le Seigneur de la vie, « le Chef, le Sauveur » (cf. 1ère lecture) appelle : « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. » Adroite, c’est-à-dire du côté où je me tiens moi maintenant, du côté où le Fils de l’homme agit avec puissance. Un jour ne leur avait-il pas dit : « Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme » (Jn 6, 27)

 

Voici, frères et sœurs, nous retrouvons notre séquence III du début. Notre petite histoire du coup de filet. Quand le disciple accepte de se tenir du même côté que son Seigneur, alors s’ouvrent devant lui des horizons neufs. Il découvre par exemple la catholicité de l’Eglise, mais vue d’en haut ou, si vous voulez, depuis les rivages éternels. Car, vu d’en bas, le concept de catholicité semble souvent étroit et restrictif ! Pourtant Jésus n’avait-il pas dit aussi, usant alors d’un vocabulaire pastoral : « J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il n’y aura qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur. » (Jn 10, 16) Ici, dans cette scène annonciatrice de la plénitude des temps, le langage est à la pêche, à la barque, au coup de filet merveilleux, au poisson – dans l’Ecriture, quand le poisson frétille la vie. est présente – et surtout à la capture abondante: 153 gros poissons. S. Jérôme estime que ce chiffre désigne toutes les espèces connues à l’époque. Soit un chiffre qui récapitule la création, l’humanité nouvelle sauvée par le Christ. « Toutes sortes d’espèces » précise Matthieu (13, 47).

Dans le filet eschatologique – espérons que nous y serons capturés, vous et moi – nous nous retrouverons avec toutes sortes de populations. Les cardinaux préfets de la Congrégation pour la Doctrine de la foi retrouveront les théologiens qu’ils auront condamnés, les chefs d’Etat sans scrupules les leaders politiques qu’ils auront fait assassiner, les exaltés islamistes découvriront leurs devanciers dans les fanatiques de l’Inquisition catholique,… Bref une humanité enfin rassemblée par la capture salvatrice de l’amour de Dieu, vainqueur de toute souffrance, de tout mal et de toute mort. Hommes et femmes de toutes langues, de toutes races et nations, à qui leurs blessures et leurs faiblesses seront finalement révélées mais du même coup guéries par Celui qu’ils regarderont, le « transpercé », « l’Agneau immolé ». S’élèvera « l’acclamation de toutes les créatures au ciel, sur terre, sous terre et sur mer… A celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau, bénédiction, honneur, gloire et domination pour les siècles des siècles .» (2ème lecture)

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