Messe du 3ème dimanche de Pâques

 

Abbé Pierre-Yves Maillard, à l’église du Sacré-Coeur, Sion , le 30 avril 2006
Lectures bibliques : Actes 3, 13-19; 1 Jean 2, 1-5; Luc 24, 35-48 – Année B

Frères et soeurs, mettons-nous en situation. Nous sommes dans la chambre haute du Cénacle, avec les apôtres. Deux compagnons viennent d’arriver d’Emmaüs. Ils nous ont raconté comment Jésus avait marché longtemps à leurs côtés, sans qu’ils le reconnaissent. Ils nous ont dit – chose curieuse – que Jésus ne les avait pas dissuadés de fuir Jérusalem, mais qu’il les avait simplement écoutés et accompagnés. Et ce n’est que plus tard, au partage du pain, qu’ils l’avaient reconnu – mais lui, à cet instant, avait disparu à leurs yeux. Les compagnons parlent encore lorsque survient Jésus lui-même. Alors, frères et soeurs, que ressentons-nous à cet instant? Comment Jésus a-t-il pu revenir de la mort? Qui est-il pour surgir ainsi, tel un esprit, au milieu d’une chambre close? Peut-être va-t-il enfin nous révéler le secret de l’au-delà? Peut-être vient-il désormais instaurer puissamment le Royaume attendu?

Si toutes ces questions nous habitent, frères et soeurs, nous risquons bien d’en rester pour nos frais. Car Jésus, sous nos yeux, se contente de poser deux signes bouleversants de simplicité: il montre ses plaies, et il demande à manger. En fait, il s’inscrit en parfaite continuité avec sa vie d’avant Pâques, et c’est à cela qu’on le reconnaît bien. Même dans sa gloire de ressuscité, il ne cesse pas d’être un homme, le même, identique, proche de nous. Il montre ses plaies, et il demande à manger.

Manger, d’abord. “Avez-vous ici quelque chose à manger?” Comme il y a trois ans, au bord du puits de Samarie: “Donne-moi à boire”. Et comme il y a trois jours, à l’instant de mourir en croix: “J’ai soif!”. Avant comme après Pâques, Jésus se révèle toujours à nous comme celui qui demande quelque chose, et se dit prêt à accepter le peu que nous pourrons lui donner. Il situe sa relation sous le signe du don, de l’amitié et de la gratuité. Lui qui nous donne son corps en nourriture, il veut aussi se nourrir en nous. Il est vivant, puisqu’il mange. Il est là, avant tout discours. Il a soif, du début à la fin de l’histoire, et attend que nous le désaltérions. On raconte qu’autrefois à Athènes, le philosophe cynique Diogène se promenait parfois, une lanterne allumée en plein jour, et se plaçait sous le visage de chaque passant en répétant: “Je cherche un homme, et tu n’es pas celui-là”. Ainsi Jésus, d’une certaine façon, ne cesse-t-il de nous envisager. Il attend que nous nous trouvions nous-mêmes dans la compréhension de son propre désir pour nous. Il se révèle dans la simplicité d’une demande. Il rassure par sa présence bien plus que par une doctrine. Plusieurs exégètes ont noté qu’on trouve une des affirmations les plus explicites de tout l’évangile portant sur la divinité de Jésus précisément au puits de Jacob, tandis que la Samaritaine exprime son attente du Messie: “Je le suis, moi qui te parle”. Jésus se révèle aux hommes assoiffés quand ceux-ci comprennent enfin que Dieu l’est encore davantage qu’eux; un Dieu affamé qui continue de nous espérer dans la lanterne de chaque tabernacle, comme autrefois les disciples dans la chambre haute du Cénacle.

Jésus montre ses plaies, ensuite. Car même ressuscité, il garde les traces de ses blessures. Et c’est précisément par elles qu’il se donne à reconnaître. C’est à travers elles que sa gloire nouvelle, mystérieusement, rayonne pour conforter la foi des disciples. Comment mieux dire que nous n’avons rien à craindre de nos propres blessures et de nos propres faiblesses? A chaque eucharistie, nous nous approchons du corps livré de Jésus pour en recevoir une vie nouvelle. Eh bien de même, frères et soeurs: si nous communions au Christ, nous pouvons croire que nos propres blessures deviendront aussi, mystérieusement, des lieux où agira la grâce, bien mieux que dans nos triomphes; des creusets où transparaîtra, dès cette vie, la Vie nouvelle du Ressuscité.

Pour vivre de la gloire de Jésus et pour en témoigner de façon crédible, il nous faudra donc suivre le chemin de cet évangile. Un chemin d’écoute et d’humilité, tout d’abord. Comme Jésus qui demande à manger, nous ne devrons pas avoir peur de nous présenter simples et pauvres devant nos frères. Nous ne les convertirons jamais si nous nous contentons de marteler des discours épuisés. Nous devrons au contraire les rejoindre dans leurs questions, visiter leurs maisons et partager leur pain, en acceptant ce qu’ils ont à offrir. Nous devrons leur montrer ensuite que la Parole de vie ne se situe pas tant au-dessus de nous. Elle nous accompagne, elle est enfouie dans notre pauvreté, elle offre à chacun une demeure. Enfin, nous devrons accepter de laisser Dieu déployer en nous sa propre vie à partir même de nos blessures et de nos fragilités, et non sur les ruines de nos prétendus succès. Au IIIème siècle, Origène faisait déjà remarquer que la lune, qui ne brille pas de sa propre lumière mais reflète celle du soleil, disparaît à mesure qu’elle s’approche du soleil. Il en concluait que l’Eglise, qui reflète la lumière du Christ, ne doit pas craindre de perdre de son éclat en s’approchant de l’humilité de l’incarnation. Au contraire, c’est dans la mesure où elle se configure davantage au mystère du Christ qu’elle offre au monde la Lumière véritable, et trouve son plein accomplissement dans l’oubli d’elle-même.

Si vous allez chez les Soeurs de Saint-Maurice, à La Pelouse sur Bex, vous verrez dans un oratoire un tabernacle orné par une représentation des mains de Jésus Ressuscité. C’est par leurs plaies que perce la lumière. De même, dans l’immense corps tourmenté de l’histoire et du monde, la main de l’Eglise ne restera vivante et souple que si elle accepte de laisser transparaître, par sa faiblesse même, ce dont elle est instruite par la Révélation: la Miséricorde de Dieu offerte à tous les hommes.

 

 

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