Messe du 3e dimanche de Pâques

 

 

Abbé François Xavier Amherdt, église d’Hérémence, le 18 avril 2010
Lectures bibliques :
Actes 5, 27-41; Apocalypse 5, 11-14; Jean 21, 1-19 – Année C

I           Le deuxième appel

1.         Il y avait eu le premier appel. André avait entendu Jean désigner l’Agneau de Dieu, il avait suivi Jésus ; il avait vu où il demeurait, il était resté avec lui. Puis il était allé chercher son frère Simon, et l’avait amené au Messie. A Simon, le Christ avait donné un nom nouveau : Képhas, Pierre, le fondement du groupe des Apôtres.

2.         Une première pêche miraculeuse

  Il y avait eu ensuite une première pêche miraculeuse. « Avance en eau profonde », avait dit le Maître à Simon le pêcheur. Celui-ci avait obéi et la prise fut telle que les filets rompaient sous l’abondance des poissons. « Pêcheur d’hommes », voilà le nom que Jésus attribua alors à Simon, Simon-Pierre-pêcheur-d’hommes. Puis les disciples quittèrent leur métier, ils parcoururent la Galilée et montèrent à Jérusalem avec leur Rabbi. Sans toujours le comprendre, surtout lorsqu’il annonçait sa Passion. « Passe derrière moi, Satan », avait-il dit au chef des Apôtres, lorsque ce dernier cherchait à l’en éloigner. « Tes pensées sont celles des hommes, non celles de Dieu ».

3.         Le triple reniement

Mais à force de battre en brèche le système de la Loi, du Temple et du sabbat, à force de fréquenter les prostituées, les publicains et les pécheurs, Jésus s’était attiré l’inimitié des chefs juifs au point qu’ils mirent tout en œuvre pour l’éliminer. Et ce furent inévitablement son arrestation et sa condamnation à mort. Simon-Pierre l’avait bien suivi de loin, à ce moment tragique. Mais, mis sur la sellette, il le renia ! Par trois fois. Comble de lâcheté ! Et il s’enfuit. Seules restèrent des femmes, et Jean, le disciple que Jésus aimait. Jusqu’au bout, au pied de la Croix.

4.         Retour à la pêche

Pierre pourtant avait pu constater que le tombeau était vide. Il reçut le témoignage de Marie de Magdala. Il vit même le Ressuscité, par deux fois, la seconde avec Thomas. Il reçut le souffle de l’Esprit… le souffle remis par Jésus sur la croix. Toutefois, ne sachant que faire d’autre, demeurant dans la perplexité, il retourna à son premier métier.

Sept, ils étaient sept au bord de la mer de Tibériade, à partir pêcher. Sept, sur le rivage, au lever du jour nouveau. Incapable de reconnaître le Vivant, tant la lumière qui rayonnait de lui les éblouissait. Et c’est la seconde pêche miraculeuse. Avec 153 poissons, le nombre des espèces connues à l’époque, la somme des chiffres de 1 à 17, dix plus sept, toujours ces nombres de plénitude. Sans que le filet de l’Église ne se déchire. Alors ils le reconnaissent sans oser lui parler, car il prend le pain, comme il l’avait si souvent fait, il le leur donne, avec du poisson. C’est par un repas qu’il se fait reconnaître. Le pain, le poisson, la vie donnée, partagée, ressuscitée.

5.         Un triple amour

Et c’est ce nouveau dialogue, avec le renégat. Trois déclarations d’amour, pour effacer le triple reniement. Sans chant du coq, cette fois-ci. Et c’est le second appel, décisif : « Sois le berger de mes brebis », parce qu’enfin Pierre a su dire « Je t’aime ». Une qualification au nom de l’amour. La seule qui compte. Et qui va le conduire au bout de sa mission. Dans l’abandon, guidé par un autre, jusqu’à la mort. A l’exemple du maître. Pour rendre gloire au Père. « Tu étendras les mains, dit Jésus à Pierre, comme je les ai étendues sur la croix. C’est un autre qui te mettra la ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller ». Jusqu’au don de toi-même. Total et absolu. Alors « viens et suis-moi ».

II  Le deuxième souffle

1.         Dans toute vie à la suite du Christ, dans tout cheminement spirituel, dans toute carrière de chanteur liturgique, de chef de chœur ou de musicien, ce deuxième appel arrive tôt ou tard.

2.         Le premier appel est souvent enthousiaste. Peut-être vous souvenez-vous de cet instant privilégié, de ce moment fondateur ? C’était peut-être dans votre enfance, à votre première communion, il y a bien longtemps ? Ou lors d’un temps d’oraison particulièrement intense ? Ou grâce à la rencontre d’un témoin du Seigneur, vos parents ou grands-parents, un voisin, une religieuse, un ami, un prêtre ? Ou dans un moment de partage avec un frère démuni ou malade, qui vous a bouleversés ? Vous vous êtes senti le cœur tout brûlant, touchés par la grâce, remplis de la présence du Seigneur, poussés à en savoir plus sur lui, à le fréquenter, à témoigner de lui. C’est peut-être à cette période-là qu’on vous a sollicités pour faire partie du chœur de la paroisse. Vous avez hésité, vous vous êtes dit « Au fond, pourquoi pas ? ». Vous avez trouvé l’ambiance formidable, les après-répétitions encore plus passionnantes et arrosées que les répétitions. Et ce directeur ? Emballant ! Et cette joie de chanter avec d’autres, de rendre service, de participer activement à la messe !

3.         Puis est venue pour la foi la rude épreuve de la durée, de la fidélité. Avec les pièges de l’habitude – la messe, c’est toujours la même chose ! Avec les inévitables découragements devant vos faibles progrès spirituels – je retombe toujours dans les mêmes travers – ou le peu d’impact de votre action ou de votre parole auprès des membres de votre famille, de vos proches. L’impression de faire des choses POUR Dieu, sans grand succès,  plutôt que de laisser vraiment Dieu faire, plutôt que de se laisser faire PAR Dieu. Pour la chorale aussi, la tentation s’est insinuée : à quoi bon continuer ? C’est toujours un peu le même style de répertoire. Et le directeur qui ne se renouvelle pas. Et je serais bien mieux chez moi le soir de la répète ou le matin de la messe.

4.         Jusqu’à ce que retentisse le deuxième appel, comme pour Pierre. L’invitation à lâcher-prise, à nous laisser faire par l’Esprit. Pour que résonne le second « Suis-moi ». Essentiel. La seconde conversion. Le basculement dans l’Esprit. Le second souffle. Jusqu’à ce que nous comprenions que ce n’est pas nous qui devons faire des choses et accomplir des performances spirituelles, mais que c’est Dieu qui agit en nous et que nous n’avons qu’à le laisser faire.

5.         La spiritualité chrétienne, cette spiritualité du deuxième souffle, c’est la spiritualité de la planche à voile, et non de la nage. Quand nous nageons, nous n’avançons que par nos propres efforts, par la force de nos poignets et de nos jarrets. Et celui qui est faible, inévitablement coule. Tandis que pour la planche à voile, ce n’est pas nous qui faisons avancer l’esquif. C’est le vent. Notre contribution consiste à déployer notre voile, pour que le vent de l’Esprit puisse s’y engouffrer et nous conduire au large. Tout l’art de la spiritualité de l’Évangile consiste à naviguer au vent, à saisir le souffle dont Dieu nous comble, pour nous conduite là où il le désire, vers notre bonheur.

6.         De même pour le chant, le chant liturgique et la musique instrumentale. Vient le jour où tombent le souci des performances, le désir de réussir mieux que le chœur de la paroisse voisine. Où nous continuons de faire du mieux que nous pouvons, mais où nous arrêtons de critiquer les alti si nous sommes soprani, les ténors si nous sommes basses. Comme un appel à chanter gratuitement, pour le plaisir de faire plaisir, d’être ensemble, de favoriser le chant de l’assemblée, de nous laisser habiter par le souffle de l’Esprit. Pour le Royaume. Et cela suffit. Ce qui ne signifie pas que vous deviez chanter n’importe comment devant le jury et durant la prochaine fête cantonale.

7.         Mais tous les grands chanteurs vous le diront : c’est dès le moment où nous nous détendons, où nous relâchons la musculation du cou, du visage, du thorax, des cordes vocales, que le souffle nous traverse pour la plus belle des mélodies. Celui qui se crispe et essaie de bien chanter, ou de chanter le plus fort possible, place mal sa voix et il se fatigue et perturbe l’équilibre. Celui qui, au contraire, se laisse enrober par l’harmonie et conduire par le chef de chœur, le chef d’orchestre, celui et celle qui s’oublie pour contribuer à la beauté de l’ensemble, trouve son bonheur.

III         repas de l’amour

1.         Tout est une question d’amour, en musique comme pour la foi. En cette eucharistie, vous qui offrez vos voix et vos instruments, vous qui célébrez avec nous dans cette église d’Hérémence ou par la voie des ondes, le Christ vous lance cet appel. Ce second appel. Comme à Pierre. Car c’est au cours du repas de l’amour, du repas de la messe, qu’il continue de se faire reconnaître. Comme pour les disciples au bord du lac.

2.         Il pose la question à chacun de nous, par trois fois. « Toi chanteuse, chanteur, musicien valaisan, toi, fidèle, auditeur, m’aimes-tu vraiment, du fond de ton cœur ? M’aimes-tu au point de me donner ta confiance et de faire de notre relation intime l’aventure de ta vie, la rencontre bouleversante de ton existence ? »

Car vous, les chanteurs, vous êtes d’abord et avant tout des fidèles, comme les autres, des partenaires d’alliance du Christ. Et c’est à vous aussi qu’il veut se donner totalement.

3.         Il vous suffit de lui répondre : « Oui, Seigneur, tu sais bien que je t’aime ». Vous pourrez le faire tout à l’heure en répondant « Amen » à mes questions, quand nous proclamerons la foi de notre baptême. Mais c’est un « je t’aime » qui engage, s’il est dit du fond des tripes. Il peut bouleverser notre existence, si nous nous abandonnons réellement, totalement, à la volonté du Père. Il peut nous mener loin !

4.         Peut-être que c’est ce matin que le Christ Ressuscité vous attend ? Et si vous communiiez comme si c’était la première fois ? Et si vous lui disiez « Amen » comme au premier jour ? Et si vous lui murmuriez « Seigneur, tu sais bien que je t’aime ! »

 

 

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