Messe du 3e dimanche de l’Avent

 

Abbé Bernard Jordan, au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, CHUV, Lausanne, le 11 décembre 2005
Lectures bibliques : Isaïe 61, 1-11; 1 Thessaloniciens 5, 16-24; Jean 1, 6-28 – Année B

Chers amis.

Chacun garde en mémoire le souvenir d’un automne radieux où les feuillus scintillaient partout, où le jeu des couleurs s’harmonisait pour nous émerveiller des jours durant.

La semaine dernière, dans l’EMS (Etablissement Médico-Social) où je suis aumônier, nous avons voulu célébrer le Seigneur en lui parlant de ces feuilles qui jonchent le sol maintenant. J’ai recueilli des magnifiques feuilles de platane pour les sécher et les revêtir de couleur or. Elles étaient disposées sur un tissu violet – couleur de l’attente, de l’Avent –sur la grande table de célébration, table entourée de personnes ayant atteint, aussi, l’automne de leur vie. Ensemble nous avons remercié ces feuilles de nous avoir accompagnés et fait grand bien durant ces dernières semaines et nous avons rendu grâce au Seigneur de nous avoir donné un signe de sa Présence par leur présence, par leur beauté.

Ces feuilles, que l’on ne regardent plus maintenant, qui sont même gênantes au bord du chemin,ces feuilles peuvent encore me parler de Dieu, me parler aussi de moi-même, si je le désire, elles peuvent devenir des œuvres d’art, revêtues d’éternité, pour ainsi dire. Et, petit à petit, les personnes, autour de le table de célébration, comprenaient bien où j’allais en arriver.

Jésus, solidaire de notre monde, l’Emmanuel, vient toujours me prendre là où je suis, vient me cueillir en quelque sorte, pour m’exposer à la vue de tout le monde, pour me mettre à ma place, qui est unique, pour me mettre en valeur, afin que je réalise enfin que je suis précieux, que je suis un bijou pour tous ceux qui m’entourent, comme ces feuilles d’or.

Une sérénité se dégageait des ces personnes tenant en main ces feuilles dorées, leur miroir en quelque sorte, au son du chant que beaucoup connaissent, « Que tes œuvres sont belles, Seigneur que tes œuvres sont grandes, tout homme est une histoire sacrée, tout homme est à l’image de Dieu. »

Ces paroles sont toutes chargées d’espérance, mais lorsqu’elles sont proclamées, chantées en présence de personnes grabataires, atteintes de la maladie d’Alzheimer, de Parkinson, j’ai envie de les chanter en sourdine. Et pourtant ces personnes ont besoin de les entendre, si en même temps nous faisons tout pour les entourer, les valoriser, pour atténuer leur douleur et leur souffrance. Le Seigneur, Lui, sait bien s’organiser,sait bien se situer dans leur cœur. Sinon, pourquoi fêter Noël ? Je suis image de Dieu, je ressemblerai à Dieu jusqu’à mon dernier souffle, aucun démaquillage ne pourra l’effacer, notre humanité est revêtue de divinité, et nous en avons la certitude depuis la première nuit de Noël.

La vieillesse fait peur à beaucoup de gens. Les raisons sont diverses. La principale, c’est de n’être plus important pour quelqu’un, de n’être plus considéré comme une personne qu’on écoute mais seulement pour une personne qui coûte.. Et pourtant, avec le handicapé, la personne âgée provoque le plus la société à réfléchir sur le sens de la vie, sur le sens de la gratuité féconde pour un bien être, à long terme, de l’humanité. Si nous évitons cette réflexion, je ne parie pas grand-chose sur l’avenir de notre monde qui, pourtant, a tellement de possibilités à développer l’humanisation. La parole de Paul résonne fort aujourd’hui : « N’éteignez pas l’Esprit, ne repoussez pas les prophètes, mais discernez la valeur de toute chose » .

Nous venons de jeter un flash sur la vieillesse vieillissante, et sur le regard que Jésus lui porte. Je peux maintenant observer : comment moi je m’organise avec cette peur latente face à la vieillesse qui vient, qui enlace mon corps, comme le ferait une fiancée, un fiancé. Pour l’éviter, comme je vous le disais dimanche dernier, il est bon de faire l’inventaire de tout ce qu’il y a de bien en moi, nous avons tous un petit trésor caché en nous, si je ne le dépiste pas, la culpabilité risque de m’envahir. Cette sacrée culpabilité !

Souvent, j’entends : « Je n’ai rien fait de bien dans ma vie, non rien. Mes enfants se sont divorcés, ils n’ont pas fait baptiser les leurs, en fait, moi non plus je ne suis pas très fervent etc., mais je dois vous avouer qu’ils sont gentils avec moi, ils sont tous dévoués et ils s’entendent bien » et de me raconter combien elle a trimé pour nouer les deux bouts comme on dit. Il est parfois difficile de faire comprendre à de telles personnes qu’elles ont joué le rôle de Jean Baptiste auprès de leur famille en indiquant tout simplement un chemin à suivre. Elles ont peut-être aussi crié dans le désert parfois, mais c’est tout ça réussir sa vie, je dirais même ce n’est que ça. Alors une détente intérieure se fait sentir, une satisfaction envahit tout l’être, et cette personne n’est plus aigrie ni revêche. Elle provoque l’admiration de ses petits-enfants, de ses arrière-petits-enfants, neveux, petits neveux .Ces jeunes n’en finissent pas de s’émerveiller lorsque leurs aïeuls leur parlent de leurs amours de jeunesse, de la fidélité à une chorale qui donne concert ce prochain samedi, de leur fidélité non agressive à la foi de leur baptême, foi qu’ils ne partage pas encore forcément, lorsqu’ils leur présentent un service en porcelaine qu’ils ont peint, une icône qui a pris naissance de leurs mains envahies de tâches de vieillesse, ou lorsque, par boutade, l’un d’eux dit : « faire de la recherche, mais oui, je passe mes journées à chercher mes lunettes, mes clés ou mon chapeau ! »

Vous vous rendez compte, vous, personnes qui prenez de l’âge, combien votre témoignage devient précieux pour ces jeunes et que vous entrez, inconsciemment peut-être, dans ce grand dynamisme de l’Avent : « Aplanissez le chemin du Seigneur. » Croyez-moi, ce n’est pas une parole que j’ajoute pour faire bien dans le décor, mais c’est la réalité.

Ainsi, si nous voulons bien vieillir, allons souvent nous chauffer les mains et le cœur aussi aux mains tremblantes de nos aînés :

Ils ont des paroles de vie éternelle,

Ils ont des sourires de vie éternelle,

Ils ont des silences de vie éternelle.

Amen

 

 

 

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