Messe du 3e dimanche de l’Avent

 

Père Jean-René Fracheboud, le 12 décembre 2004, au Foyer Dents du Midi, Bex
Lectures bibliques : Isaïe 35, 1-10; Jacques 5, 7-10; Matthieu 11, 2-11

Chers Frères et Sœurs,
Chers Amis,

Quel abîme entre le Jean-Baptiste de dimanche dernier et celui d’aujourd’hui !
Quelle différence dans sa manière d’être et sa prise de parole !
C’est le jour et la nuit !

Dimanche dernier, Jean-Baptiste était ce prophète à succès, sûr de lui, riche d’une conviction annonçant l’imminence du Royaume – « la hache est déjà à la cognée des arbres » – et traitant les pharisiens et sadducéens d’ « engeance de vipères ».

Aujourd’hui, on retrouve ce même Jean-Baptiste méconnaissable.
Il est en prison – la vérité n’est jamais bonne à dire ! –
Il est en proie au doute sur ce Royaume qu’il annonçait.
Il se pose des questions fondamentales sur Jésus :

« Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »

Comment accueillir et comprendre cette différence d’accent et de tonalité dans la prédication de Jean-Baptiste ? C’est bien plus que l’expression d’un caractère versatile ou d’un changement d’humeur, qui passe de l’enchantement au désenchantement. L’abîme entre ces deux visages de Jean-Baptiste nous dit quelque chose d’essentiel sur notre approche de Dieu et de son mystère.

Notre langage humain est trop petit, trop étroit pour dire l’infini de Dieu. Chaque fois que nous affirmons quelque chose de Dieu, il faudrait en même temps dire le contraire. Il y a la nécessité d’un continuel élargissement, d’un approfondissement du langage et de la pensée pour rejoindre le trésor caché de ce visage de Dieu, toujours au-delà de nos prises. Sans cela, nous abîmons le visage de Dieu, nous le déformons à notre image. Le paradoxe devient ainsi une porte d’entrée dans le mystère.

Par rapport à cette venue du Seigneur, au surgissement du Royaume de Dieu, au milieu de nous, dont Jean-Baptiste est le chantre éminent, il nous faut à la fois conjuguer le message de dimanche dernier et celui d’aujourd’hui. Il nous faut conjuguer l’urgence et la patience.

URGENCE de la conversion car le Royaume est tout proche mais aussi PATIENCE car ce Royaume ne peut émerger qu’à travers longs mûrissements et profondes maturations.

Il semble que Jean-Baptiste, le premier, a été amené à faire un cheminement personnel dans la compréhension qu’il avait de sa mission.

Son annonce tonitruante de l’irruption du Royaume avait quelque chose de trop étroit, de trop magique, de trop extérieur. Sa vision de Celui qui devait baptiser dans l’Esprit Saint, le Messie attendu, correspondait encore trop au cliché réducteur qu’on avait de Dieu dans l’Ancien Testament : un bulldozer et un ouragan de puissance qui écrasent tout sur leur passage. Jean-Baptiste doit se laisser surprendre par une image nouvelle de Dieu, Celui qui mange avec les pécheurs, qui se compromet avec les marginalisés et qui en appelle à la liberté des cœurs. Et ce travail-là, pour urgent et fondamental qu’il soit, ne peut se vivre qu’à travers la patience du temps, qu’à travers une absence de visibilité tapageuse et qu’au travers d’un fidèle et humble cheminement.

La réponse de Jésus est claire. « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux celui qui ne tombe pas à cause de moi. »

Jean-Baptiste, comme nous aujourd’hui à sa suite, doit apprendre à conjuguer les contraires. Dieu est bien la toute-puissance mais la puissance de l’Amour qui refuse la force pour pénétrer dans le cœur de l’homme. Son Royaume est imminent, incisif, décoiffant mais son avènement passe par la patience des recommencements, des pas en avant et en arrière, des fluctuations de la liberté. C’est bien ainsi que Jésus surgira à Noël, le feu de l’Amour, l’incandescence d’une Présence, oui mais dans la paille et la discrétion de Bethléem.

La familiarité avec la Parole de Dieu nous permet, je crois, d’entrer petit à petit dans le paradoxe et la conjugaison des contraires comme chemin incontournable d’une existence qui se laisse façonner, au-dedans, par le Christ. Le peuple de Dieu, au sortir de l’Egypte, a dû conjuguer l’éclat somptueux de l’action divine, visible et exaltante lors du passage de la mer, avec l’épreuve décapante du désert et le sentiment de l’absence et de l’inefficacité de Dieu. Les contemporains proches de Jésus ont dû conjuguer l’enthousiasme devant la mer apaisée, devant les pains multipliés et les nombreux signes de guérison, avec l’épreuve de la croix et l’apparent échec du Christ.

Hier comme aujourd’hui, le grain de blé, qui porte en lui une puissance extraordinaire de vie et de fécondité, doit se frayer un chemin à travers la mise en terre, la mort et l’agression des multiples ivraies pour éclater en moisson de résurrection et de lumière.

Voilà le difficile, l’éternel défi que, nous chrétiens, nous avons à relever aujourd’hui. Notre monde n’a des yeux que pour ce qui est brillant, efficace, beau, rentable et spectaculaire. Nous vivons à l’heure du tout et du tout de suite, tyrannie de l’immédiateté et de l’éphémère. De plus, nous avons bien conscience, dans l’extraordinaire mutation culturelle que nous vivons, que nos églises et nos communautés vivent une grande fragilité…

Comment, dans cette situation-là, continuer à conjuguer la force du Royaume qui vient avec la pauvreté de nos moyens, avec la fragilité de nos chemins ? L’Evangile nous redit que la force n’est pas dans les structures, les bâtiments, les rites mais dans l’esprit, c’est-à-dire la capacité à discerner les poussées printanières du Royaume : les aveugles voient, les boiteux marchent, etc.…

La revanche de Dieu, c’est sa capacité infinie à faire surgir du neuf dans la précarité de nos situations. Dieu ne se répète jamais, Il invente toujours.

Il nous faut retrouver la sagesse du cultivateur qui sait convertir ses impatiences, qui sait que beaucoup de choses dépendent de son travail mais que l’essentiel ne dépend pas de lui. Nous voyons peut-être trop les murs qui s’abattent avec fracas et pas assez la fleur qui pousse au pied du mur.

Ferme les yeux et tu verras…
tu verras, autour de toi, l’audace de ces hommes et de ces femmes qui, sans faire de bruit, inventent de nouvelles manières de vivre, de partager, d’espérer et qui manifestent que le Royaume est à portée de main.

Ferme les yeux et tu verras…
…ceux et celles qui continuent de croire en l’homme et qui y mettent le prix…
…ceux et celles qui se battent pour la justice, pour la paix dans une fidélité de chaque jour…
…tous ceux et celles qui, dans leur pauvreté, mènent un combat magnifique
pour rester croyant, aimant et espérant.

Jean-Baptiste nous a conduits jusque-là, jusqu’aux portes de Noël, jusqu’au berceau de la Présence. Il nous apprend la plus belle conjugaison :
L’être et l’avoir
La force et la faiblesse
L’urgence et la patience
La foi et le doute
La présence et l’absence.

Maintenant, il nous quitte. « Il faut que Lui grandisse et que moi je diminue » car le temps de la seule promesse est fini, nous sommes entrés dans le temps de la réalisation, le temps de l’aujourd’hui de Dieu. C’est pourquoi le plus petit dans le Royaume est plus grand que Jean-Baptiste. Mais, avant de nous quitter, il nous invite à passer dans la chambre des enfants…

« Un jour, le petit lapin demande au cheval de peluche qui traîne, depuis bien longtemps, dans le coffre à jouets :

– Qu’est-ce qu’être vrai ? Cela fait-il mal ?

– Quelquefois, répond le cheval de peluche qui dit toujours la vérité. Mais quand on est vrai, cela n’a pas d’importance d’avoir mal.

– Est-ce que cela arrive tout d’un coup, comme lorsqu’on remonte votre ressort, ou petit à petit, demande le lapin ?

– Cela n’arrive jamais tout d’un coup, dit le cheval, on le devient. Cela prend très longtemps. C’est pourquoi cela arrive rarement à ceux qui se cassent facilement ou qu’on doit ranger soigneusement. En général, quand on est devenu vrai, on a perdu tous ses poils, on a les yeux qui pendent, on a des faiblesses aux articulations et l’on est bien usé. Mais tout cela n’a aucune importance parce qu’une fois qu’on est vrai, on ne peut plus être laid sauf aux yeux de ceux qui ne comprennent pas. »

 

 

 

 

 

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