Messe du 32e dimanche ordinaire

 

Abbé Xavier Lingg, le 7 novembre 2004, à la basilique Notre-Dame, Genève
Lectures bibliques : 2 Maccablées 7, 1-14; 2 Thessaloniciens 2, 16 – 3, 5; Luc 20, 27-38

F – I – N

3 lettres qui indiquent que c’est fini!

Je pense à la sortie de ce service funèbre. La famille sanglote : « Tout est fini ». Un lointain parent se penche vers la jeune fille en larmes : « Allons, ma petite, du courage, c’est fini ». Les voisins murmurent : « le pauvre, finir comme ça ! » Et d’autres qui, après avoir échangé un geste poli de condoléance, commencent déjà à se disperser : « Ouf, c’est fini ! »… Et moi qui leur avais fait un beau sermon pour essayer de leur expliquer que : « Tout ne fait que commencer ».

Rentrant chez moi, j’ouvre la télévision et j’entends : « Après un parcours sans faute, Roger Federer accède en finale… » Tout à coup, les 3 lettres « F-I-N » prennent pour moi un sens nouveau. Pour un sportif, être finaliste, ce n’est pas une catastrophe… c’est une apothéose !

Alors, mes frères et mes sœurs, si l’Eglise nous parle de « fin des temps », « fin du monde », « fin de la vie »… s’agit-il d’un « point final » après lequel il n’y a plus rien « Punkt – Schluss » … ou d’une « finale » disons mieux une « finalité », c’est-à-dire un « but », un sens ?

Mes frères et mes sœurs, chers amis,
La grande question, fondamentale, vitale, que la liturgie de ce dimanche nous pose aujourd’hui, c’est celle-ci : « notre vie a-t-elle un sens ? Vaut-elle la peine d’être vécue ? ». Guy Gilbert, le prêtre des loubards de Paris nous rapporte cette question d’un de ses jeunes : « Pourquoi vivre avant la mort ? » C’était pourtant un jeune qui avait tout reçu. Et Guy Gilbert ajoute : « Il ne lui manquait que ces quelques « non » bien ajustés qui lui auraient permis d’entrer dans le combat de l’existence et de découvrir les joies de vivre ».

Le monde de la facilité, la société de consommation, le « tout et tout de suite », ça nous fait passer à côté des vraies valeurs capables de stimuler notre vie. On s’assoupit dans l’inertie, on dit « bof », en se berçant de discours comme ceux de ce philosophe de l’absurde qui prétendait, désabusé, que : « L’homme naît par hasard, prolonge sa vie par lâcheté et meurt par occasion ». Quelle espérance ! … quelle raison de vivre se dégagent-elles de propos pareils ?

En effet, si notre vie n’est tournée que vers les réalités terrestres, alors, oui, ce philosophe a raison. Si l’aboutissement de notre vie n’est qu’un trou dans la terre ou un peu de cendre au fond d’une urne, alors d’accord, elle ne vaut pas la peine d’être vécue.

C’est un peu dans ce contexte-là, dans un monde marqué par le matérialisme athée, qu’est née en 1904 une certaine Madeleine Delbrêl, dont nous avons déjà plusieurs fois parlé en cette année du centenaire de sa naissance. Elle confesse elle-même : « A 15 ans, j’étais strictement athée et je trouvais chaque jour le monde plus absurde. » A 17 ans, elle se débat entre deux mots : « mort » et « absurde » et elle écrit un texte provocateur dans lequel elle exprime tout son désarroi : « Dieu est mort… vive la mort ».

Or à peine 3 ans plus tard, à 20 ans, se produit pour elle une conversion fulgurante et jusqu’à sa mort, à l’âge de 60 ans, elle restera une « convertie », une « éblouie de Dieu », rayonnant sa foi dans le monde, auprès des « gens de la rue ». Le contact avec l’athéisme a rendu sa foi plus forte et plus vivante.
Désormais, pour elle, la vie n’est plus absurde ! La vie a un sens ! Elle vaut la peine d’être vécue.

Mes frères et mes sœurs, n’est-ce pas à une telle expérience que la liturgie de ce dimanche nous invite ? Jésus le proclame solennellement face à ces sadducéens qui ne croient pas à la résurrection : « Dieu n’est pas le dieu des morts ! Il est le Dieu des vivants ». Une telle affirmation renverse la problématique de ce jeune cité tout à l’heure par le père Guy Gilbert. Lui, il se situait dans la perspective : « vivre pour mourir ? » et pour le Christ il s’agit de « mourir pour vivre » ! C’est une naissance ! un passage à une plénitude de vie…

Oh ! mais voilà que je me mets à faire de la théorie…

Le Christ, lui, il n’a pas fait de théorie… ni de théologie. Il ne s’est même pas donné la peine de répondre à la question grotesque de ses détracteurs qui voulaient l’attraper au piège. Ce qui l’intéresse, c’est de prêcher d’exemple : Il va passer lui-même par la mort – une mort affreuse, ignominieuse – pour faire resplendir la Vie au matin de Pâques. « Par sa mort, il a vaincu la mort ! »

Et ces martyrs de l’Ancien Testament dont la liturgie nous montre l’exemple héroïque. Pour eux, la vie était précieuse. Ils ne l’ont pas bradée bêtement. Ils l’ont donnée dans l’héroïsme du martyr. Ils avaient des valeurs à défendre, leur foi à garder intacte. Ils ne pouvaient pas se permettre de tricher. Ils ont préféré mourir plutôt que trahir. Et jusque dans les plus cruelles tortures, ils affirment : « Le Roi du monde nous ressuscitera pour la vie éternelle ».

Est-ce à dire mes frères et mes sœurs, est-ce à dire que le croyant doive se désintéresser des réalités terrestres ? Bien sûr que non. Madeleine Delbrêl, que nous avons citée tout à l’heure, après sa conversion, s’est lancée dans le service social. Pendant la 2ème guerre mondiale, elle a assumé la responsabilité d’œuvres d’urgence : cantines, vestiaires, formation d’aides sociales, aide aux familles des prisonniers, aide aux victime de l’occupation. C’est sa foi qui l’a motivée à s’ouvrir ainsi au monde. Elle insistera toujours sur « la nécessité, pour un chrétien, d’être une compétence véritable, capable de faire quelque chose de bien et à fond. »

 

Mes frères et mes sœurs, à nous aussi, ce que le Seigneur nous demande, c’est de prêcher d’exemple. Que par notre manière de vivre, nous montrions que la vie vaut la peine d’être vécue.

« Rechercher les réalités d’en haut » c’est vivre dans la certitude que Dieu assume, transfigure dans le monde à venir tout ce qu’il y a de grand, de beau et de vrai dans notre vie présente. Ainsi il n’y a pas opposition, mais continuité entre ce que nous vivons en ce monde et notre vie éternelle. »
Amen

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