Messe du 32e dimanche du temps ordinaire

 

Abbé Olivier Jelen, église Sts-Pierre-et-Paul, Meinier, GE , le 6 novembre2011
Lectures bibliques : Sagesse 6,12-16; 1 Thessaloniciens 4, 13-18; Matthieu 25, 1-13 – Année A

 

Chers frères et sœurs en Christ, chers paroissiens, chers auditeurs de Suisse-Romande et d’ailleurs,

La sagesse. C’est le premier mot, le premier terme de notre lecture de l’Ancien Testament. Et c’est déjà tout un programme. Comment acquérir cette sagesse ? Comment diriger sa vie, ses affaires, ses nombreuses occupations dans un style proche de la sagesse. Bien souvent le monde dans lequel nous vivons, nous paraît fragile et éphémère. Regardez ces indignés dans la rue. Il y en a pas très loin de notre village, ainsi au parc des Bastions à Genève. Et bien, ces indignés ne se lassent pas de dire qu’ils en ont ras-le-bol et qu’ils ne sont pas d’accord avec ce système qui fragilise toujours plus l’être humain, qui déshumanise toujours plus les plus pauvres de nos sociétés… Notre système économique devient de plus en plus caduc, et les élections du mois dernier, soit de la fin octobre en Suisse l’ont bien démontrées aussi, le système politique devenant tout entier chaotique. On est bien loin de la sagesse.

Oui ce que l’on aimerait au plus profond de soi-même c’est un peu plus de sagesse, un peu plus de cette certitude que la Transcendance est bien là, à nos côtés, et qu’Elle ne nous a pas abandonné. Chacun de nous ne souhaiterait-il pas en fin de compte plus de sagesse pour son propre Moi, – pour reprendre le langage freudien -, mais aussi plus de sagesse pour son propre gouvernement, plus de sagesse pour son propre pays voire son continent.

Pourtant nous le savons aussi, sans le Seigneur, sans Lui, nous construisons en vain, comme sur des dunes de sable fin. La sagesse de l’Homme consiste à accepter que Quelqu’un le précède et se trouve à l’origine de tout ce qu’il possède. L’homme est appelé à s’ouvrir à la gratuité de Dieu et à quitter son égoïsme. Car le secret de la sagesse, nous en sommes persuadés, nous les croyants, il réside en Dieu. C’est Dieu, notre Dieu, ce Dieu créateur, ce Dieu Tout Autre, qui est le moteur premier de tout élément de sagesse. Et nous sommes tous invités à calquer notre rythme de vie, notre rythme de pensée, sur celui de Dieu. « La sagesse est resplendissante, elle est inaltérable » dit la Sainte Ecriture. « Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l’aiment, elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent »
… Quand je me promène dans ces forêts, dans ces campagnes magnifiques de l’automne, je me rends bien compte que dans cette nature, -un tant soit peu domptée par l’Homme, car Rousseau et sa Nouvelle Héloïse n’a qu’à bien se tenir la nature n’étant pas toujours aussi idéale -, et bien cette nature elle sait répondre malgré ces tremblements, ces tsunamis, à cette sagesse de Dieu. Cette petite graine d’un arbre que je découvre sur mon chemin va bel et bien devenir quelques mois plus tard ce arbre qui nourrira de nombreux oiseaux. Cette petite semence qui n’a l’air de rien du tout et que le paysan vient de mettre en terre, et bien elle donnera cette belle fleur qu’est la marguerite. Point de rébellion en elle, point de négation de sa destinée. Cette graine, cette semence répondent simplement, modestement au projet de Dieu sur elles. Cette petite graine, cette minuscule semence, qui paraissaient si démunies, si fragiles, se sont laissées conduire par Dieu. Dans notre évangile, des dix jeunes filles, êtres fragiles et vulnérables, seul cinq vont faire partie des élues. Les autres cinq vont être rejetées, car elles n’ont pas répondu au projet de Dieu sur elles… Les insensés, ce sont justement celles auxquelles il manque la sagesse de prévoir, la sagesse de se poser un instant pour réfléchir…. Etre avisé, c’est ne pas laisser s’épuiser son huile, c’est-à-dire l’huile dans le sens biblique, élément qui évoque l’onction royale, la lumière et la force, et faire fructifier la grâce reçue. C’est se tenir prêt pour la Rencontre, avec un grand R et l’attendre activement. Etre insensé, c’est laisser s’épuiser son énergie, la gaspiller, ne pas la rendre productive. C’est ne pas prévoir la Rencontre, ne pas envisager l’épreuve du temps, de la durée…
Bien trop de jeunes, des jeunes que nous connaissons, sont pris aujourd’hui dans les tourmentes de la consommation. A travers la publicité, bien souvent trompeuse et aguichante, ils se sont laissés prendre au piège du tout, tout de suite et se sont laissés bercés par de fausses illusions de richesse, de bling-bling. Ils n’ont pas appris à construire patiemment. A mettre telle brique, telle pierre, la pierre angulaire, avant de placer le toit. Ces jeunes, mais bien des quadra voir quinquagénaires en font partie, se sont précipités et ont usé toutes leurs ressources, toutes leurs énergies en un rien de temps. Ils croulent déjà sous les dettes et vivent maintenant dans une certaine désillusion, découvrant que leur rêve ne peut se réaliser sans effort important de leur part. Ils ont bien trop souvent oublié la dimension même de Dieu, la dimension de la prière, du recueillement en communauté. Ce sont les insensés d’aujourd’hui.

Oui, on a raison de se soulever contre l’argent-roi, contre le profit à tout prix, contre la déshumanisation des entreprises, mais en même temps, il faut continuer à construire, il faut continuer à avancer. Ne nous laissons pas berner par de fausses illusions. Avançons, mais pas à pas, dans un certain ordre et non pas en courant. Les insensés, nous dit notre évangile du jour, avaient pris leur lampe sans emporter d’huile… Elles n’avaient pas prévu que l’époux aller se faire attendre, peut-être justement pour tester la fidélité, l’ingéniosité de ses futurs épouses. Au retour de l’époux, il y a eu trop de précipitation et, tout un monde s’est écroulé pour certaines, la porte s’est fermée… Elles n’avaient pas appris à se mettre sous le regard de Dieu.

Cette parabole, aussi appelée parabole des vierges folles et des vierges sages ne se trouve rapportée que par saint Matthieu. On ne la trouve pas dans les autres évangiles. Ce récit a toujours été associé à l’apocalypse et au thème du Jugement dernier… L’an dernier certains d’entre-nous ont eu l’occasion de se rendre à Strasbourg. Strasbourg, une des capitales européennes, mais aussi et surtout le siège d’une des plus célèbres cathédrales médiévales de France. Et bien sur cette cathédrale de Strasbourg, célèbre par son unique flèche qui pointe vers le ciel, sur le portail droit, du côté de la façade ouest, on peut admirer quatre statues, datant du milieu voire de la fin du XIII° siècle, représentant justement les vierges folles et les vierges sages. Et ce n’est donc pas par hasard que ces statues se trouvent placées à cet endroit précis, puisqu’elles entourent des scènes du jugement dernier. Cela rejoint bien l’intention de saint Matthieu puisque ce récit se trouve à un moment clé de son Evangile, soit entre le récit de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et le récit de la Passion. Cette parabole, comme celle sur les talents qui suit, ou celle du serviteur fidèle qui précède, annonce la venue du Christ. Le Christ qui va opérer, en vue du jugement final, un discernement dans le cœur de tout homme. La tradition de l’Eglise a transformé très tôt cette parabole de l’imminence du Royaume en une allégorie des noces du Christ et de l’Eglise, voyant dans l’époux une figure du Christ et dans son jugement, les conditions pour participer au banquet des noces.
L’appel à la vigilance est donc une priorité pour tout croyant. Ce n’est pas du jour au lendemain, nous le savons bien, que l’homme juif, dans l’Ancien Testament a fait l’apprentissage de la vigilance. Tout au long de son histoire, Israël, le peuple élu, a montré qu’il avait la nuque raide, préférant les sécurités païennes, et même l’esclavage d’Egypte, à l’inconfort de la rencontre du Dieu vivant. Israël n’acceptera pas de suivre un Messie, Jésus de Nazareth qui lui propose la voie exigeante d’un amour sans frontières, d’un amour au renoncement total. L’entrée dans le régime de la foi peut paraître parfois bien exigeante. Elle n’est pas toujours de tout repos. Ce qui est sûr, c’est qu’elle entraîne un vaste processus d’intériorisation, individuelle, familiale et donc souvent collective. Ce n’est que petit à petit qu’Israël va mesurer la profondeur du dépouillement requis par la foi. Ce n’est que petit à petit que Claudel, Charles de Foucauld, François d’Assise vont comprendre ce pourquoi ils ont été appelés. Ils vont pouvoir suivre, chacun à sa manière et selon son temps, en mettant pierre après pierre, brique après brique, celui qui a su être vigilant toute sa vie, le Christ. Car Jésus de Nazareth symbolise le Vigilant par excellence. Accordé à la volonté de son Père, comme Lui seul, Fils de Dieu, peut l’être, il révèle le dessein du Créateur et le vrai visage de ses interventions parmi les hommes, dans le moment même, où il y répond positivement.
Avec Jésus et en lui, la vigilance de la foi décline sa véritable et ultime identité : Elle est accueil de l’aujourd’hui de Dieu dans l’histoire des hommes. Un accueil, rappelons-le, qui déploie toutes les énergies d’une liberté humaine restituée à sa vérité. Sachons suivre cette voie du Salut, un Salut promis à tous, possible pour tous. Et qui attend notre réponse, une réponse brève, mais sûre. Amen           

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