Messe du 30e dimanche ordinaire

 

 

Père Hervé Goarant, Chapelle de l’Ecole de la Mission au Bouveret, le 23 octobre 2005
Lectures bibliques : Exode, 22, 20-26; 1 Thessaloniciens 1, 5-10; Matthieu 22, 34-40 – Année A

Il nous faut bien en parler. C’est bien l’amour de Dieu qui doit être au coeur de notre méditation de ce matin puisque c’est de lui dont nous parle le Christ. De prime abord, l’exercice semble bien périlleux. Périlleux oui. Parler de l’amour de Dieu, c’est toujours un risque : on en parle tellement. Mais qu’en disons-nous ? Dans le fond que savons-nous de l’amour de Dieu ? Que pouvons-nous en dire ? Que dire qui ne soit pas inconséquent ? Qui nous éviterait de nous engager ?

L’exercice est périlleux parce que l’amour de Dieu renvoie immédiatement chacun d’entre nous hors des généralités théologiques et spirituelles. Au moment même où nous prononçons ces mots, «amour de Dieu », ils résonnent en ces lieux de l’intimité, au coeur à coeur de chacun avec son Dieu. Et chacun sait qu’on ne plonge pas aussi facilement en ces lieux profonds de nous-mêmes, où la foi se joue, tantôt traversée par la joie, tantôt éprouvée ; où nos propres expériences de l’amour – celui que nous avons reçu, celui que nous espérons encore, celui dont nous portons le manque – où nos propres expériences de l’amour viennent parfois percuter cet amour de Dieu sans limite lui ; un amour du présent.

Oui l’exercice est périlleux mais est-ce que le lieu, le moyen d’en parler – à la radio- ne dit pas quelque chose de cet amour à recevoir, mais aussi à donner, à dispenser ? Ce que je veux dire par là, c’est qu’il y a quelque chose d’insolite à parler de l’amour de Dieu dans le contexte qui est le nôtre parce que tout comme la radio, l’amour de Dieu se diffuse et doit se diffuser. Dans la page d’évangile que nous venons d’écouter, Jésus nous invite à aimer : aimer Dieu, aimer les hommes. Et d’ailleurs tout ce qu’il y a dans l’Ecriture – dans la Loi et le Prophètes – dépend de ces deux commandements. C’est dire combien cette invitation dépasse le seuil du facultatif. Si Jésus nous invite à aimer, c’est qu’il attend de nous que nous aimions, que nous diffusions de cet amour de Dieu.

Aussi, avec vous ce matin, je voudrais tenter de répondre à cette question si évidente qu’elle ne va plus forcément d’elle-même : pourquoi nous aussi devons-nous aimer comme Dieu aime ? Non pas comme une option, mais comme un impératif : l’amour de Dieu doit se diffuser et nous devons aimer comme Dieu aime. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit. (…) Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Faisons le pari qu’en ayant essayé de répondre au pourquoi de cet impératif, dans la foi, nous aurons peut-être moins de mal, moins de réticence, moins de peur et surtout plus d’audace pour le diffuser, pour le répandre. Pourquoi nous aussi devons-nous aimer comme Dieu aime ? Deux affirmations dans cette question : la première, « nous devons aimer » ; la seconde « nous devons aimer comme Dieu aime. »

Pourquoi devons-nous aimer ? Dieu se suffit à lui-même et d’une certaine manière se donne sans nous attendre : ses mots de bienfaits se donnent. Un point c’est tout. C’est là l’œuvre de la grâce, l’œuvre de l’Esprit. C’est là la manière même de fonctionner de Dieu : amour donné, présence jamais retirée. Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour. Au coeur même des existences les plus opaques, au coeur même de notre quotidien éprouvé, Dieu se donne, son amour se répand, pour tous. Inconditionnel. Inconditionnel, cela veut dire que cela ne dépend pas de nous. Dieu se donne à tous et pour tous. Dieu ne peut qu’aimer.

Pourtant, ce même Dieu qui peut et qui pourrait très bien se passer de nous n’a pas pris d’autres moyens que celle de notre condition humaine pour se donner. Si Dieu n’ pas besoin de nous, il ne peut se passer de nous. Ainsi en est-il de notre relation avec lui depuis qu’il s’est dit et s’est fait connaître par son Fils. Les mots même de Dieu, n’ont pas pris d’autre forme que celle de l’Ecriture, des paroles d’hommes donnant leur témoignage de foi pour devenir parole de Dieu. La Parole de Dieu est passée par la main de l’homme : qu’allons-nous écrire pour notre temps ? Qu’allons-nous diffuser de l’amour de Dieu ?

Pourquoi devons-nous aimer comme Dieu aime ? Au moment d’affirmer que nous devons nous aussi aimer, aimer notre prochain comme nous-même, je pense à toutes celles et tous ceux qui s’éprouvent, qui éprouvent leur propre condition difficilement. Je pense à celles et ceux qui ne s‘aiment pas. Comment faire pour aimer l’autre comme soi-même alors qu’on ne s’aime pas, alors qu’on ne nous a pas aimé, alors qu’on ne nous a pas appris ? Il faut le dire : sans adopter les yeux de Dieu, c’est mission impossible ! Et adopter les yeux de Dieu, c’est se laisser atteindre par ce Dieu qui précisément n’a pas eu besoin de nous pour nous aimer le premier. Ce qu’il nous faut comprendre ce matin, c’est que le Christ ne dresse pas un programme invraisemblable, si ambitieux qu’il nous ferait fuir : aimer comme soi-même. Ce matin, pour nous le Christ lie l’amour de Dieu à celui des hommes. Amour de Dieu : celui que nous lui portons mais aussi celui que nous recevons de lui. Oui, aimer son prochain comme Dieu aime ce prochain. Pour entrer dans une telle logique il faut nous laisser faire. Cela il nous faut l’apprivoiser.

Alors… Alors, pourquoi devons-nous aimer comme Dieu aime ? Parce que l’amour de Dieu nous est nécessaire et nécessaire pour ouvrir des espaces par delà les doutes, par delà le mal subit, en ces lieux où seul un amour par delà l’amour nourrira cette part atteinte. Si à notre tour nous pouvons aimer, c’est parce que Dieu nous a choisis, parce que Dieu nous aime. Accueillant cet amour de Dieu qui nous aime, nous pourrons alors dire Dieu qui aime. Et la Parole sera Vivante.

 

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