Messe du 2ème dimanche de Carême

 

Nos richesses intérieures

 

Abbé Léon Chatagny, à l’église Notre-Dame, Payerne, le 11 mars 2001.

Lectures bibliques : Philippiens 3, 17 à 4, 1; Luc 9, 28-36

Nous avons des richesses intérieures à mettre en valeur.
Avez-vous déjà rencontré une personne heureuse, tellement rayonnante qu’elle l’exprime avec tout son être, transfigurée pourrait-on dire ? Voilà une histoire vraie, celle d’un ami. Je sais qu’il est à l’écoute ce matin, il m’a permis de raconter.

Il est né avec un gros handicap : infirme moteur cérébral. Longtemps, on a pensé que le mental aussi était atteint profondément. Peu à peu on a découvert ses possibilités intellectuelles. Il a pris goût à la vie. Il a tout fait pour s’intégrer dans des groupes, mais avec milles difficultés pour s’exprimer. Il m’a fait part de ces difficultés et de son projet d’écrire une lettre ouverte dans le journal du groupe de jeunes de l’époque. Il m’a demandé d’écrire, je cite :
« Etre handicapé physique comme moi, ce n’est pas facile pour la vie de tous les jours et surtout pour communiquer. Je peux vous apparaître handicapé mental, mais je ne le suis pas. Je suis capable de comprendre toutes vos discussions, mais vous, qui n’avez pas l’habitude de mon langage, il vous est difficile de saisir mes propos. Il me faut beaucoup de temps pour faire sortir des sons et articuler des mots. Quand vous n’avez pas compris, ne craignez pas de me le dire, je suis prêt à répéter plusieurs fois. Ces conditions sont exigeantes pour vous, mais ça me fait tant de bien d’être compris et de vivre normalement avec vous. »

Ah la joie de cet ami, quand j’ai enfin pu comprendre son projet de lettre et exprimer avec ces phrases ce qu’il voulait dire publiquement ! Tout son corps s’agitait, son visage rayonnait… Ce qui était caché à l’intérieur pouvait être enfin mis au grand jour. Quel bonheur !

Tout homme porte en lui un trésor, des richesses parfois insoupçonnées. Et souvent c’est difficile d’aller au fond de soi-même à la découverte de ces richesses et c’est aussi difficile d’en vivre, de les communiquer.
Avez-vous été émerveillés par l’Evangile de ce matin ? Jésus cachait un trésor depuis sa venue sur la terre : qui pouvait se douter qu’il était le Fils de Dieu ? Ses proches peut-être, mais pour la plupart de ses contemporains, il était Jésus, le fils du charpentier de Nazareth. Dans sa vie de tous les jours, sa réalité intime était comme voilée. Mais, sur la montagne de la Transfiguration, la lumière de Jésus éclate du dedans vers le dehors. Jésus laisse transparaître sur son visage, son corps, ses vêtements, ce qui fait son être intime, sa relation éclatante d’amour avec son Père… du dedans vers le dehors. Un coin de paradis s’ouvre pour les trois disciples qui l’accompagnent sur la montagne : Pierre, Jacques et Jean.
Et que font ces disciples pendant que Jésus est transfiguré ? Des choses très terre à terre : ils s’endorment puis émerveillés par la vision, ils veulent s’installer en construisant des tentes ! Ce sont les mêmes disciples qui dormiront au côté de Jésus en agonie au Jardin des Oliviers !

Dormir, s’installer, rechercher le bien-être matériel, le maximum de confort, parfois même le pouvoir sur autrui…, c’est le poids de notre humanité qui nous empêche d’aller à l’essentiel et à l’intérieur de nous-mêmes. Aller à la découverte de nos richesses intérieures ! Il est tellement plus facile de rester à la superficie des êtres et des choses, où richesses et bonheur se conjuguent avec le faire et le paraître, mais rarement avec notre être véritable.
Face aux Philippiens préoccupés par des choses terrestres, des prescriptions alimentaires juives, S. Paul essaye de tourner leurs regards, le nôtre aussi, vers les vraies valeurs. Il reproche : Votre dieu, c’est votre ventre et vous mettez votre gloire dans ce qui fait votre honte; vous ne tendez que vers les choses de la terre. Pour S. Paul, l’essentiel est ailleurs : Vous êtes les citoyens des cieux !

Jésus avait un besoin essentiel : être en communion profonde avec son Père. A chaque étape importante de son ministère, il prie. La prière précède la transfiguration : Pendant qu’il priait, Jésus fut transfiguré.
La prière, un temps de silence, un temps d’intimité avec nous-mêmes et avec Dieu peut nous transfigurer, nous permettre d’aller au fond de nous-mêmes, d’y rencontrer Quelqu’un qui nous dit : Je suis là, tu n’es pas seul dans la vie, je t’aime. Il aide à découvrir ce qui me fait ressembler à lui: capacité de vie, de faire vivre, capacité d’aimer, d’être aimé. Il m’a créé à son image et à sa ressemblance. Sa présence secrète met en valeur mon humanité profonde. J’existe, je respire : Dieu me fait participer à son souffle de vie. Il m’a doté d’intelligence et de volonté, je suis capable de faire des choix : Dieu m’a créé libre. Je ne peux pas vivre dans la solitude, je suis capable de relations d’amitié avec mon entourage et avec Dieu lui-même. Oh que de richesses à découvrir au fond de soi-même !

Je me sens bien sur la montagne avec Jésus transfiguré. Et vous, chers auditeurs et participants à cette Eucharistie ? Sa lumière à l’intérieure de moi-même m’aide à découvrir qui je suis en profondeur. La dignité de fils de Dieu que je découvre en moi, est aussi le trésor de tout être humain.

Mais, après la transfiguration, Jésus est retourné dans la plaine avec ses disciples. Un retour à la vie normale. Mon ami infirme moteur cérébral aussi veut vivre normalement avec ses proches et apporter sa part à la vie fraternelle. Nous connaissant mieux, n’est ce pas aussi notre désir ? Que le Seigneur nous aide, à retourner à notre vie quotidienne avec une conscience renouvelée de la valeur de chaque être humain, avec une préférence pour les proches, les petits, les faibles, les laissés pour compte de la société.

A.D. 2000, l’Assemblée du diocèse de Lausanne, Genève, Fribourg et Neuchâtel attire notre attention sur les pauvres et les exclus spécialement dignes d’attention. « Une Eglise qui n’entend pas le cri des pauvres a oublié son Dieu. Une Eglise qui lutte avec les exclus est un signe d’espérance. » Durant ce Carême, les appels au partage seront-ils entendus, répondrons-nous aux invitations à partager des moments fraternels autour des soupes de Carême souventœcuméniques ?
Quand on connaît en profondeur qui l’on est, ce qui nous lie et nous unit, la fraternité grandit, les différences s’estompent. Chrétiens de confessions différentes et toute personne de bonne volonté peuvent facilement se mettre ensemble, comme nous le faisons ce matin dans cette église de Payerne. En effet, la chorale « Chorège » qui anime notre célébration est une chorale profane, composée d’habitants de la région qui aiment le chant et ont plaisir à rendre service.

Nous progressons dans ce Carême 2001. Notre boussole pointe aujourd’hui sur nos richesses intérieures, à revaloriser. Ce retour aux sources ne peut que nous rendre plus actifs pour « civiliser l’argent, transfigurer l’homme et participer à la transformation de notre monde selon le cœur de Dieu.

Le choral de Bach, que nous allons entendre, prolonge notre réflexion et notre prière : « Amour infini de Dieu qui conduit son Fils à vivre et souffrir sur la terre… »

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