Messe du 2e dimanche ordinaire

 

Dom Mauro Lepori, à l’Abbaye de Hauterive, le 14 janvier 2001.

Lectures bibliques : Isaïe 62, 1-5; 1 Colossiens 12, 4-11; Jean 2, 1-11

Le mariage de Cana est sûrement le mariage le plus connu de l’histoire, même si les mariés n’étaient pas les membres d’une famille royale. On ne connaît même pas leur identité. Il est d’ailleurs bien probable que les noces de Cana ne furent pas les seules auxquelles Jésus prit part. Mais si celles-ci devinrent si fameuses, c’est à cause du vin: du vin qui manqua et du vin que le miracle de Jésus procura.

Ils n’ont pas de vin communique Marie, femme attentive et compatissante jusqu’au détail. Jésus semble avoir envers sa mère une de ces réactions d’adolescent exaspéré qui nous échappent facilement encore à l’âge adulte envers nos parents: Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. Évidemment, dans son cas, le sens de cette réponse est bien plus profond que celui d’un mouvement d’humeur.

Mon heure n’est pas encore venue.
Quelle « heure »? Je ne crois pas que Jésus pense ici à l’heure de faire des miracles, car Il en fera un tout de suite, et Il en fera à profusion pendant trois ans, avant l' »heure » pascale vers laquelle Il est tendu. La répartie de Jésus est plutôt provoquée par ce que ces noces sans vin viennent à représenter pour Lui au beau moment où Il commence son ministère public. L' »heure » qui n’est pas venue est alors celle où sera donné au monde le vin nouveau de l’Alliance nouvelle, le vin du sang versé par Jésus sur la Croix, le sang qui continue d’être versé et donné en chaque Eucharistie.

La situation d’ailleurs s’adapte bien au sens symbolique que Jésus lui attribue.
Mon père avait une vigne au Tessin et produisait chaque année du Merlot. Or, j’ai amplement pu constater qu’on ne fait pas du vin à la vitesse d’un jus d’orange. Il faut du temps, des soins méticuleux, des traitements, des émondages. Et ensuite, tout le travail des vendanges, le pressoir, la fermentation, la mise en tonneau, la mise en bouteille, etc. Et plus on désire boire du bon vin, et plus il faut savoir patienter des années.

J’ai souvent observé que les vrais vignerons sont rarement de grands buveurs. C’est qu’ils ne peuvent pas boire à toute vitesse le vin dont ils connaissent la lente élaboration. Le vigneron boit le vin pour le goûter, et dans son verre, dans le parfum et le goût de son vin, il prend le temps de revivre les saisons, le soleil, la terre, la trépidation face au gel ou à la grêle, la liesse des vendanges, le parfum de la fermentation, la gestation du tonneau, la bouteille longtemps couchée à la cave.

Il est possible que Marie, habituée à d’autres métiers, n’ait pas été trop consciente de tout cela. Jésus par contre semble très bien connaître et apprécier le travail des vignerons si, au sommet de son enseignement lors du discours pendant la dernière Cène, Il peut parler de soi-même comme d’une vigne dont les disciples sont les sarments, et de son Père comme d’un vigneron qui soigne vigne et sarments afin qu’ils portent beaucoup de fruit.

Oui, on n’improvise pas l’heure du bon vin, ni celle de la Rédemption.

Y aurait-il eu donc quelque chose de la conscience du temps propre aux vignerons dans la réaction de Jésus face à la requête de sa mère ? Peut-être. Mais chez Lui dominait surtout la conscience de sa mission. Jésus ne pense pas au vin : Il pense à son sang, au sang qui sera versé à l' »heure » que le Père choisira. Jésus se compare à la vigne, et la vigne se laisse faire; c’est le vigneron, c’est le Père, qui décide de l’heure des vendanges et de l’heure où le vin est mûr pour être versé et réjouir le cœur de l’homme.

Ils n’ont pas de vin ! L’humanité créée pour la joie sponsale, donc pour l’amour, pour la communion entre les personnes et avec Dieu, l’humanité d’il y a 2000 ans comme celle d’aujourd’hui n’a plus de vin, elle est à bout de ses réserves d’amour. La fête de l’existence, la fête de la vie, est gâtée, on se regarde les uns les autres avec un malaise croissant, les coupes des cœurs montrent de plus en plus leur fond aride, et on commence à se plaindre et à s’accuser les uns les autres, à chercher les coupables de cette situation.

La Vierge Marie, face à cette situation, ne se plaint pas, ni même n’improvise une solution. Marie ne remplace jamais le rôle rédempteur unique de son Fils. Marie est plutôt le témoin par excellence de la limite humaine. Marie fait parler la détresse humaine et la traduit en prière.

Mais si son « heure » n’est pas encore venue, pourquoi Jésus accepte-t-Il quand même de procurer miraculeusement le vin pour cette noce ?
Jésus sait que l’heure n’est pas encore venue de verser son sang sur la Croix, de le verser dans l’Eucharistie, mais Il reconnaît que le temps est déjà venu pour Lui de se manifester comme le véritable Époux de l’humanité.

Après avoir goûté l’eau changée en vin, le maître de table appelle l’époux et lui dit, tout étonné : Tu as conservé le bon vin jusqu’à maintenant ! Tandis que le pauvre marié reste là tout confit et sans réponse, la remarque du maître de table nous permet de comprendre que c’était la tâche et le devoir de l’époux de procurer le vin nécessaire à la fête de sa propre noce.

Alors nous comprenons que, en procurant miraculeusement le vin de la noce, Jésus s’annonce comme l’Époux véritable. Ce vin n’est pas encore son sang, mais par ce miracle Jésus s’affirme déjà, dès le début de son ministère public, comme étant l’Époux par excellence de l’humanité en quête et en manque d’amour.

Cette noce de Cana devient ainsi toute l’humanité, et toute notre humanité, appelées à trouver la joie authentique et l’amour durable dans l’alliance avec le Christ, l’Agneau immolé qui appelle aux noces en versant son sang pour tous.

Non, ce n’est pas de vin que nous manquons dans notre vie appelée à être fête d’amour: nous manquons du Christ.Mais Lui, et c’est au fond là l’enseignement le plus important de cet évangile, se laisse facilement inviter, et Il est même déjà là, présent dans notre vie, même avant que nous nous apercevions, avec Marie, que sans Lui nous manquons de tout.

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