Messe du 2e dimanche de l’Avent

 


Père Guy Musy, à l’église St-Joseph, Genève, le 10 décembre 2006
Lectures bibliques : Baruch 5, 1-9; Philippiens 1, 4-6.8-11; Luc 3, 1-6 – Année C

L’intelligence du coeur

Seigneur, ne laisse pas les soucis de nos tâches présentes entraver notre marche à la rencontre de ton Fils.
Mais, éveille en nous l’intelligence du cœur qui nous prépare à l’accueillir….

La prière qui introduit la messe de ce jour fait écho à l’intercession qui donnait le ton à la liturgie du premier dimanche de l’Avent. Nous sommes en chemin, – le chemin de la justice – à la rencontre du Christ qui vient. Mais, ajoute-t-on aujourd’hui, nos pieds sont entravés, nous traînons des boulets attachés à nos jarrets. Nous ne courons pas aussi vite que nous l’aurions espéré. Et notre prière de désigner clairement cet handicap. C’est le souci, sans doute envahissant, que nous portons à nos tâches présentes, à nos affaires du moment.

Les paraboles reviennent sur ce thème en énumérant les obstacles qui nous empêchent de répondre aux appels de Dieu. Elles parlent de propriété qui vient d’être achetée et qu’il faut visiter, de bœufs aux labour qu’il faut essayer et même d’une jeune mariée qu’il faut chérir. Comment au milieu de tout ça, trouver encore une place pour le bon Dieu ? D’autant plus que la plupart de ces affaires sont légitimes et même nécessaires. On m’a souvent interpellé : « Toi qui es prêtre, tu as le temps de prier. Prie donc à notre place. Nous, nous avons tellement d’autres choses pressantes à faire ». Comme si la prière était une question de chronomètre, plutôt que de regard intérieur. Et puis, « Dieu premier servi ! », comme on disait autrefois.

Je me suis demandé, chers malades qui m’écoutez, si la souffrance physique qui peut être aiguë et insupportable n’était pas elle aussi une entrave sur notre chemin vers Dieu. Accompagnant au terme de sa vie une personne très chère que je connais pour sa piété, elle me disait : « J’ai trop mal, je ne peux plus prier… ». Puis, se reprenant : « Pas de longues prières ». Un mot, aurait pu suffire, un nom murmuré, chuchoté et même étouffé, comme ceux que Jésus adressait à son « Père », depuis sa croix !

Ces entraves bien réelles ne devraient pas pour autant nous décourager au point de bloquer notre marche vers Noël. Pour les surmonter, il faut, dit notre prière, que « s’éveille en nous l’intelligence du cœur ». Quelle belle formule ! D’abord, j’aime le mot éveil que l’on aurait tort de ne réserver qu’à ces petits bouts de choux qu’on éveille à la foi un dimanche par mois dans le sous-sol d’une église paroissiale. C’est chaque matin que nous autres adultes sommes aussi invités à cet exercice. Surtout après une nuit de souffrance, d’angoisse ou d’insomnie.

Quant à la foi, notre prière l’appelle l’intelligence du cœur. Dans son fameux discours de Ratisbonne, notre pape eut bien raison de défendre l’intelligence de la foi. Nous ne sommes pas forcément des êtres tarés et dégénérés – quoi qu’en pensent certains – parce que nous aimons Dieu au point de désirer le rencontrer et vivre à ses côtés après notre mort. Mais une foi intelligente n’a rien du discours intellectuel, froid, académique et désincarné. Non. Il faut que le cœur découvre ses propres raisons de croire, celles que la raison ordinaire ne livre pas. Croire, c’est donc permettre à l’amour de lire à l’intérieur des choses et des événements pour y percevoir ce que les hommes pressés et occupés à tant de futilités ne peuvent atteindre et retenir. L’intelligence du cœur n’a pas besoin de mots pour dire ce qu’elle croit. Il suffit d’un regard, d’un clin d’œil, d’une main que l’on presse ou que l’on tend. Tous les grands malades le savent. Devraient le savoir aussi tous les bien portants qui ne veulent pas tricher avec eux-mêmes et avec la vérité. Qu’ils n’aient pas honte d’afficher les convictions qui les habitent en profondeur, lorsqu’elles remontent à la surface de leur vie, dès que ces fameuses entraves relâchent leurs freins et leur pression.

Le temps de l’Avent met en exergue une personne qui a exercé à merveille cette intelligence du cœur. C’est Marie, la mère de Jésus, dont l’évangile de Luc nous dit à plus d’une reprise qu’elle méditait dans son cœur. L’amour la portait à revivre, à rapprocher les événements qu’elle avait vécus et les paroles qu’elle avait entendues. A travers ce va-et-vient, ce flux et reflux, ces images et ces mots qui s’entrechoquent et s’entrecroisent, elle percevait la voix profonde de son oui initial qui avait décidé de la tournure et de l’unité de sa vie.

Plus nous avançons sur le chemin de notre vie qui est aussi celui de notre foi, plus se dégage – comme dans le cœur de Marie – la trame de notre existence, ordinairement refoulée et voilée. Peu à peu le fil rouge qui nous a mystérieusement conduit émerge et prend forme. C’est une expérience étonnante et purifiante que connaissent bien les personnes qui prennent de l’âge. Des dizaines d’années se contractent, s’unifient et se concentrent sur l’essentiel. Pas besoin d’un épais traité de spiritualité pour le dire ou d’un récit autobiographique de mille pages. Un seul mot parfois suffit à tout exprimer. Comme la dernière phrase recueillie sur les lèvres de saint François Xavier, agonisant, seul, sur un îlot de pirates, dans une crique de la mer de Chine. Un mot, même pas original, mais emprunté aux psaumes et à la liturgie de l’Eglise, qui concluait et résumait admirablement la vie de ce croyant, baroudeur de l’évangile dans les mers de l’Extrême-Orient. Un mot exprimé avec l’intelligence de son cœur, toute tendue et tournée vers un Sauveur aimé et désiré.
Ce mot, je vous le livre à vous tous qui êtes à l’écoute. Il pourrait être aussi le nôtre au terme de notre chemin :
« Je sais en qui j’ai mis ma foi. »
« Mon espoir est en Toi, Seigneur ! »
« Je ne suis pas déçu ! »

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