Messe du 29e dimanche ordinaire

 

 

Chanoine Guy Luisier, à l’Abbaye de Saint-Maurice, le 19 octobre 2003.

Lectures bibliques : Isaïe 53, 1-11; Hébreux 4, 14-16; Marc 10, 35-45

Mes sœurs, mes frères, l’évangile d’aujourd’hui, même si nous le connaissons bien, vient immanquablement brusquer nos certitudes : il n’est pas facile d’admettre que c’est à côté du dernier humain, aux côtés de l’esclave de tous que nous trouverons le chemin de la gloire.

 

Pour comprendre un peu ce mystère existentiel que nous propose Jésus, sans doute faut-il sortir des schémas de pensée habituels. C’est pourquoi en forme de parabole, je vous raconte l’histoire qu’a vécue un jour un voyageur occidental dans le désert.

 

Cet aventurier faisait en compagnie d’une tribu du désert la traversée d’une grande étendue désolée au milieu des mille et une activités de la caravane chamelière. Il participait de près ou de loin à la recherche des points d’eau et des pistes favorables ; à l’installation des lieux de campement, aux chargements et déchargements des chameaux, aux veillées du soir près du feu.

 

Le chef de la tribu était un homme très calme et serein, avec une autorité distante et pourtant attentive à chacun, depuis ses proches jusqu’au dernier des chameliers. Notre voyageur avait remarqué que le chef avait un regard particulièrement attentif envers un jeune homme un peu mystérieux qui était toujours affairé avec les derniers et les plus humbles des chameliers. Il le surveillait de loin, ne lui parlait que rarement, soucieux qu’il était de le laisser au milieu des autres, au milieu des discussions et des travaux qui occupaient les membres de la caravane.

On voyait le jeune homme travailler dur avec les chameliers qui déchargeaient les bêtes le soir et équilibraient les chargements le lendemain matin. On le voyait dans la journée partir en avant chercher des points d’eau avec un groupe de caravaniers qui l’intégraient tout normalement à leur équipe alors qu’il ne semblait pas être vraiment des leurs.

 

Le chef de la tribu voyant que notre voyageur était intrigué par ce jeune homme, qui prenait part à tous les travaux pénibles de la caravane lui dit : « C’est mon fils. » Et le voyageur : « Ah bon, il est puni ! »Le chef lui répondit « Pas du tout, il apprend à devenir chef de caravane. On n’apprend rien, on n’apprend pas à atteindre le but en étant assis à côté du chef. On apprend tout en étant à côté du dernier des serviteurs »

Mes frères, mes sœurs, les répliques de cette histoire font écho aux paroles de Jésus et nous aide à en comprendre la valeur dynamique.

« Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur ; celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous. »

On ne peut les comprendre si l’on a une mentalité de sédentaire de l’âme et du cœur. Elles trouvent leur sens si on les accueille avec un esprit de nomade qui est appelé à rejoindre le but de sa marche au-delà des certitudes habituelles de l’existence.

Et nous avons là une clé de lecture des enseignements de Jésus sur le service.

 

Lorsque Jacques et Jean s’avancent pour demander à Jésus de pouvoir être assis l’un à la droite et l’autre à la gauche de Jésus dans sa gloire, ils se présentent comme des sédentaires de la vie de l’âme et du cœur.

Etre assis dans la gloire du Royaume près de Jésus, c’est en soi une bonne idée, mais il faut d’abord l’atteindre ce Royaume de Gloire. Il faut d’abord entreprendre la longue randonnée de campement en campement avec la caravane humaine et pour cela il faut une mentalité de nomade spirituel. Il faut savoir, comme les nomades du désert, où l’on va, comment on y va et qu’on ne peut y aller que tous ensemble.

Ainsi dans la marche vers le Royaume de la foi chrétienne : on ne peut y aller qu’avec les autres, quelles que soient leur dignité et leur indignité.

Dans la vision du monde qu’à Jésus, toute l’humanité est sur une route de caravane, vers le Père de gloire. Et plus on veut être digne de cette gloire, plus il faut apprendre à rejoindre le dernier, le plus humble et le plus défiguré des marcheurs. La caravane humaine calque son pas sur le plus faible de ses marcheurs et sera jugée sur la capacité à vivre de cœur et d’âme avec lui.

 

Dans l’idée de Jésus, le vrai progrès de l’humanité se mesure toujours à l’aune de plus pauvre et du plus démuni de la fraternité humaine.

 

Bien sûr, c’est une définition du progrès en rupture avec celle qui a cours dans notre société qui assied sur des trônes de gloire les élites économiques et les élites technologiques, et qui oublie qu’en chaque homme, quelle que soit sa condition, il y a un chemin vers un accomplissement. Cet accomplissement, les Chrétiens l’appellent « Royaume du Père ».

 

Jésus est pour tous et pour chacun un maître et un Seigneur, dans le sens qu’il nous conduit à la source de nous-mêmes qui est Dieu en passant par chacun de nos frères humains, et surtout par le plus pauvre et le plus faible d’entre eux.

 

Jésus est le chef de la caravane humaine qui s’avance vers le Père, mais cette humaine caravane n’atteindra la Gloire que lorsque le plus petit de ses membres aura pu donner le meilleur de lui-même dans la marche commune, d’où cette incitation livrée à tous de devenir le serviteur des plus humbles.

 

Nous sommes ici à la source de la mission universelle de l’Eglise qui habite notre prière en ce dimanche. La mission de l’Eglise peut bien sûr s’appuyer sur une mission économique et technologique, mais elle est d’abord la mission d’une fraternité humaine à la rencontre du Père. Il s’agit donc non pas de la mission des plus riches vers les plus pauvres, mais de la mission de tous vers tous, car nous sommes tous engagés dans une marche vers le Royaume.

 

Mes sœurs mes frères, vous vous demandez peut-être si avec mon image et mes idées de caravane et de nomadisme, je n’exagère pas la portée du message de Jésus. Je ne le crois pas. Car l’auteur de la lettre aux Hébreux reprend la même idée en la chargeant d’un optimisme très bienvenu :

« Avançons-nous avec une pleine assurance vers le Dieu tout puissant qui fait grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours. »

 

La vie chrétienne est donc bien marche à la rencontre du Dieu des miséricordes.

Cette marche se fait le désert des questions humaines, des désolations humaines. Nous sommes tous entraînés dans la même caravane. Chacun y a sa place. Le plus méprisé et le plus petit des marcheurs a sa place ; il mérite d’être serviteur et servi. Et tant que la route n’est pas à son but, la meilleure place n’est pas à côté du chef mais à côté du dernier des marcheurs.

 

Merci à Jacques et Jean, les apôtres impulsifs du Royaume, qui en mettant les pieds dans le plat de l’évangile nous ont appris à être non pas des casaniers, mais des caravaniers de l’âme et du cœur.

Amen.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *