Messe du 29e dimanche du temps ordinaire

 

Chanoine Guy Luisier, abbaye de Saint-Maurice, le 16 octobre 2011
Lectures bibliques : Isaïe 45, 1-6; 1 Thessaloniciens 1, 1-5; Matthieu 22, 15-21 – Année A

Mes frères mes sœurs,

Au moment où notre pays va entrer un processus électoral pour se donner de nouvelles autorités politiques, entendre Jésus nous dire : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » prend bien sûr une coloration toute particulière, sachant que César ici désigne le pouvoir politique.

M’est revenue à l’esprit, de façon tout à fait insidieuse, cette phrase féroce de Coluche à propos de la politique :
Ce n’est pas dur la politique comme métier, tu fais 5 années de droit puis tout le reste de travers.
Remarque terrible et sans doute très amère et injuste. Mais en même temps, elle place le débat et la problématique de la vie en commun sur le terrain de la rectitude et de la droiture. Et c’est là sans doute que Jésus veut nous mener lorsqu’il nous laisse ce conseil comme frappé de bon sens, de pertinence et d’insoupçonnable profondeur : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »

Posons quelques principes de base à notre réflexion :
Comme Jésus, les prêtres de l’Eglise n’ont pas à faire de politique active. Tout en étant dans le monde, leur action se situe à un autre niveau. Les prêtres n’ont pas à faire de politique, ils ont pourtant à montrer les enjeux et les défis d’une saine relation entre la vie politique et la foi, entre le bien commun de la terre et une orientation de la vie au-delà d’elle-même en Dieu.
Ainsi l’Eglise, comme communauté de baptisés, doit faire de la politique car elle est constituée de laïcs qui doivent orienter le monde concret, réel, vers le bien commun et vers le bien final qui est en Dieu.
Et c’est en fait cela le grand enjeu d’aujourd’hui : est-ce que les hommes et les femmes de maintenant savent encore qu’ils sont orientés. Oui, notre vie est orientée, elle va droit sur Dieu (nous devons aller rendre à Dieu ce qui lui revient)… et notre vie est orientée sur nos frères et sœurs (ainsi nous devons accepter que notre vie en commun soit prise en charge par une autorité). Dans la rectitude et la droiture.
Et c’est ici tout le problème, auquel la foi se coltine et que Jésus lui-même voit bien. Entre politique et foi religieuse, les relations sont souvent difficiles ou ambiguës. Il n’est pas simple de trouver le bon équilibre entre les prétentions du pouvoir public sur les gens et les prétentions de Dieu sur ce monde qu’il a fait et qu’il mène à son achèvement.

Jésus vivait dans un contexte non démocratique, c’est le moins que l’on puisse dire. Il voyait lucidement les faiblesses, les errances orgueilleuses et les erreurs sanglantes de l’autorité politique de son temps, qui était celle de César, l’envahisseur romain qui avait la prétention de civiliser le monde entier.
Jésus vivait dans un contexte politique où l’injustice était plus criante que la justice et la paix. Il en paiera le prix fort, celui de sa vie même sur la croix.
Et pourtant, face à cela, son chemin de droiture est un chemin qui voit plus loin et de plus haut la situation et la vocation de l’homme. Cela peut se résumer ainsi : l’homme, tout homme va vers Dieu à travers les solidarités humaines.

Sans doute vivons-nous – du moins ici en Europe – dans une situation plus sereine que celle de Jésus en son temps. D’autres pans de l’humanité, d’autres chrétiens sont moins bien lotis que nous face à leur César. Comment entendre avec sagesse et sérénité ce que dit et fait Jésus ?
En acceptant positivement et activement qu’il y a toujours, en nous autour de nous et plus loin, à lutter pour aller droit et pas de travers.
Nous devons rendre à César, au politique tout ce qui contribue à de droites solidarités humaines mais en sachant que nous devons nous rendre à Dieu, par un chemin de droiture et de rectitudes.

Lorsque l’on parle aujourd’hui de droiture et de rectitude, on pense assez communément à la raideur. Or Jésus justement échappe à cette raideur de ses ennemis pharisiens et, dans la douceur, montre un chemin de droiture. Ses adversaires euxmêmes pouvaient le lui témoigner, eux qui lui ont dit : « Tu es toujours vrai, tu enseignes le vrai chemin vers Dieu. »
La droiture qui anime Jésus dans sa vision politique, sociale, communautaire et solidaire, il la tire de son orientation absolue vers Dieu son Père.
Qu’est-ce que nous pouvons tirer de cela, nous qui vivons dans un monde démocratique oui, mais à qui il manque peut-être quelques repères d’absolu de justice et de solidarité ? Que pouvons-nous faire pour que la vie publique soit plus conforme au chemin de Jésus ? Une chose, me semble-t-il. Savoir où nous nous rendons ! Ne pas perdre de vue que notre chemin de vie et de foi nous rend vers Dieu, nous rend à Dieu.

Dans la vie ordinaire, cela a des implications toutes simples. Si je dois me rendre à Dieu, j’ai à me respecter dans mes actes même les plus petits, dans mes paroles mêmes les plus simples, je dois me respecter comme appartenant à Dieu.
Dieu m’a mis au monde, dans ce monde comme il est, avec ses Césars orgueilleux, ses Césars ambitieux, ses Césars sanguinaires ou incompétents ou qui font tout de travers. Il m’a mis dans ce monde-là pour que je me rende à lui. Si possible, à l’image de Jésus, c’est à dire plus vrai, plus lumineux, plus solidaire, plus pacifique !
Notre vocation est magnifique.
Rendons à Dieu ce qui est à Dieu, c’est-à-dire nous-mêmes.
Amen

 

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