Messe du 28e dimanche du Temps ordinaire

 

Frère Bernard Bonvin, dominicain, au couvent des Dominicaines, Estavayer-le-lac , le 11 octobre 2009
Lectures bibliques : Sagesse 7, 7-11; Hébreux 4, 12-13; Marc 10, 17-30 – Année B

Ce jour là, racontait non sans humour un prédicateur, Jésus leva les yeux et vit un homme. A en juger par sa facilité naturelle, il avait dû aller aux Etudes ! Mais pourquoi posait-il des questions aussi élémentaires ? Ses catéchistes avaient bien dû lui faire réciter les commandements.
« Bien sûr Seigneur, que je les connais, les commandements. Et je les pratique : je n’ai ni tué ni volé, je suis un homme propre, j’honore mes père et mère, je paie l’impôt de culte … »

Jésus se découvrit de la sympathie pour cet homme. Non parce qu’il arrivait à observer beaucoup de commandements, mais justement parce qu’il trouvait que ça lui laissait comme un petit creux. Il fixa un regard d’espérance sur quelqu’un qui lui parut prêt à dépasser les commandements pour recevoir la Bonne Nouvelle du Salut. Du coup, Il lâcha le morceau. Il est venu pour ça ! Pas pour répéter Moïse ou les docteurs de la loi ! Dieu, son Père ne brandit pas le tonnerre du Sinaï à la moindre imperfection ; et lui, Jésus, est un éclaireur de vie. « Tu veux vraiment savoir ce qui compte aux yeux de Dieu ? Vends tes biens, donne-les aux pauvres et suis-moi. » Il ne dit pas : « Donne-les moi ! » Fin de la narration.

Dans le Premier Testament, les biens sont si prisés qu’ils méritent d’être partagés, avec les nécessiteux en particulier. Devant la proposition de Jésus, il ne reste qu’un homme déstabilisé. Ses biens étaient-il devenus des idoles, le séparant de Dieu et des autres ? « Ma maison, mes actions, ma voiture et le reste ? Ce n’est pas une conversion qu’il me demande, c’est un krach. » Mais à cause de cela, il rate un tournant de sa vie et rentre chez lui… triste.
Jésus conclut alors : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » Exagération dont la tradition orientale est friande : on pique ainsi l’attention, d’autant plus qu’à l’époque le chameau, avec ses lourdes charges devant les portes étroites des bourgades, évoquait sûrement l’embarras du riche par son opulence.
Les disciples sont déconcertés : et nous aussi ! « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Réponse : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. » Remarquons qu’il ne relativise pas ce qu’il a dit précédemment ; il met les choses à leur place : Dieu seul peut et veut nous sauver. A Lui, tout est possible !

« Que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » Quand cet homme  cessera de vouloir « faire » pour « avoir » et posséder l’héritage, il sera mûr pour accueillir le salut que Dieu seul peut donner. Pour l’heure, les richesses qu’il possède le possèdent !

Frères et sœurs, sans même relativiser l’exigence de pauvreté, que l’image du chameau ne nous soit point sujet de désespérance. Certes, des saintes et saints de toutes époques ont choisi de se dépouiller, et même, comme François d’Assise, d’épouser « dame pauvreté ». Cependant, les modalités de dépouillements sont nombreuses et diverses : la mendicité des moines, qui édifiait le peuple au 13e siècle, fut considérée comme un fléau social 150 ans plus tard.

J’ai fait vœu de pauvreté depuis plus de 50 ans. Durant ce temps, il me semble avoir appris une chose : la vie éternelle, ce n’est pas tout tout de suite. Je puis me priver de beaucoup de choses matérielles ; d’ailleurs les privations qui ne nous sont pas imposées du dehors sont souvent des libérations. Mais simultanément, est-ce que je donne plus de place à la vie éternelle, à la Parole de Dieu crue et vécue en alliance avec lui ? Pas de pauvreté réelle sans maîtrise de ses convoitises et de ses prétentions; celles-ci demeurent un combat de chaque jour et s’étendent au-delà de la seule possession des biens matériels.

La nouveauté du Royaume de Dieu, ou de la Vie éternelle, ne transparaît dans sa fraîcheur que si nos vies quotidiennes sont déparasitées. Est parasite ce qui encombre : gavés de biens matériels, comment rechercherions-nous le « trésor » ou la « perle rare » de l’évangile ? Satisfaits de nous-mêmes, comment pourrions-nous être, à la suite de Jésus, le serviteur du prochain ? Sûrs de nos savoirs ou forts de nos préjugés, comment pourrions-nous pressentir ce mystère du Royaume « révélé aux pauvres et aux tout-petits » ? L’homme gavé peut difficilement goûter l’évangile et en être témoin.
Le déparasitage est une forme de salut, de libération. Nous sauver de nos entraves intérieures est pure grâce… Cela se reçoit dans l’humilité et dans l’action de grâce.

Demeure la question des disciples : « Nous qui avons tout quitté, que mériterons-nous ? » Étrange ! La pauvreté pour le Royaume serait-elle un placement parmi d’autres ? La pauvreté ne vaut rien et ne nous vaut rien tant qu’elle n’est pas au service du trésor caché, de la perle de grand prix et du service de l’autre : accueillir la pauvreté comme le pur et simple dégagement de ce qui gêne la manifestation du Royaume – c’est-à-dire de l’inouï de l’amitié même de Dieu aujourd’hui et dans l’éternité ‑ voilà le vrai défi. A chacun et chacune de nous désencombrer judicieusement dans le quotidien par un usage raisonnable et solidaire des biens indispensables à notre vie en société comme à notre vie ecclésiale ! Heureux les pauvres !

Oui, la pauvreté est un moyen privilégié de nourrir notre attente du Royaume de Dieu et déjà de découvrir la perle et le trésor cachés au cœur de nos vies.

 

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