Messe du 27e dimanche du Temps ordinaire

 

Frère Bernard Bonvin, dominicain, au couvent des Dominicaines, Estavayer-le-lac , le 4 octobre 2009
Lectures bibliques : Genèse 2, 18-24; Hébreux 2, 9-11; Marc 10, 2-16 – Année B

Avez-vous remarqué combien Jésus ouvre les propos qu’on lui adresse ? A qui dit : « Je te suivrai partout où tu iras », il répond : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête ! » ; à sa suite, on ne se met guère à couvert. À ceux qui lui demandent : « Faut-il ou non payer l’impôt à César ? », il réplique : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Les pas de côté de Jésus nous préviennent que nous n’avons pas à attendre de Dieu moins que lui-même.

Cela s’applique à l’évangile de ce jour. L’extension du divorce en Occident soulève de grands débats. Avant d’assigner Jésus à la rescousse de nos solutions, essayons de repérer le pas de côté ou le déplacement qu’il propose dans cet évangile.

« Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Il ne s’agit pas là du divorce par consentement mutuel, mais de la répudiation, droit le plus souvent décliné au masculin – même si l’Evangile évoque aussi « la femme qui renvoie son mari ». Les pharisiens sont divisés : « la loi de Moïse » (Dt 24) permet au mari de renvoyer son épouse s’il découvre en elle « quelque chose qui lui fasse honte ». Restait à établir ce qui faisait légitimement honte.

Aujourd’hui, les déboires de tant de couples posent la question du divorce en des termes nouveaux : comment s’en tirer quand on ne s’aime plus ? L’indissolubilité du mariage semble souvent comme une obligation du dehors limitant la liberté des conjoints : le prêtre qui interroge les fiancés à ce sujet s’expose à des définitions négatives : interdiction de se séparer, défense de se tromper.

Jésus ne s’empêtre pas dans le maquis juridique, pas plus qu’il ne s’y est enfermé quand on le somma de décider du sort de la femme adultère : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre », répond-il. Des discussions d’école, il nous ramène au cœur de nos vies : « C’est en raison de votre endurcissement — le terme grec est sclérose cardiaque — que Moïse a formulé cette loi. Mais, au commencement, il les fit homme et femme… » Enjambant la Loi, Jésus se reporte au projet initial de Dieu : « Il créa l’homme à son image, mâle et femme il les créa. … Dieu vit ce qu’il avait fait, cela était très bon », lisons-nous au premier chapitre de la Bible.

Au deuxième, Dieu semble se reprendre, comme si l’homme seul était imparfait : « Le SEIGNEUR fit tomber dans une torpeur l’homme qui s’endormit ; il prit l’une de ses côtes et referma les chairs à sa place. Le SEIGNEUR Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu’il lui amena. L’homme s’écria : « voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair ». »

Le sommeil d’Adam est symbolique : l’homme n’est pas créateur de la femme, il la reçoit. Le récit conclut avec naturel : « L’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme. » La création du couple s’ouvre ainsi sur un enchantement suivi d’un attachement.

Enchantement d’abord que la découverte de l’autre : « A ce coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! » Adam parle en premier, se découvrant lui-même en Ève.

L’attachement en découle : « L’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un. » Quitter, ici, c’est bien plus que déménager, c’est faire place à l’autre en son coeur.

Les problèmes agités par les docteurs de loi entendent régler les modalités d’une rupture de contrat. Mais ils oublient la question clé : ne plus aimer, est-ce une fatalité ? C’est à cette question que Jésus nous conduit. À l’origine, l’amour du couple est divin, parce que voulu et reçu de Dieu. Au commencement, l’unité ne se construit donc pas sur la seule inclination humaine. Elle est don du Dieu fidèle. En disposer à sa guise, ce serait, comme le dit Jésus, « séparer ce que Dieu a uni ».

Les moralistes contemporains qui s’interrogent sur le mariage entendent moins le relativiser, que mettre au jour ses caricatures ; la sclérose du cœur qui dérive en séparation le plus souvent douloureuse est-elle inéluctable ? Ce qui tue un foyer, constatait un homme d’expérience, ce ne sont pas les querelles, les difficultés, le manque d’argent, pas même l’infidélité, autrement dit nos faiblesses : c’est la routine, quand on ne se regarde plus, quand on ne se parle plus, quand on ne se dispute même plus. » Sans référence au Seigneur, source et garant de nos alliances, comment garderions foi en l’autre dans l’usure du quotidien ?

Non, l’amour n’est pas consentement à du prescrit, mais création d’une personne, d’un couple, d’une famille, d’une œuvre : dans cette création, il y a autant d’avenir que de présent ou de passé. Dans la Bible, cela n’est pas à la mesure de nos seules forces. Nous-mêmes serions plutôt tentés de rechercher en surface ce qui ne se découvre qu’en profondeur. La garantie de l’indissolubilité tient à ce double fondement, la fidélité de Dieu à son projet créateur, et celle des époux à la création du couple et de la famille dont il sont partenaires.

Voici qui est surprenant : cela fit un peu hausser les épaules des disciples qui dirent, selon Matthieu : « Si c’est cela le mariage, il vous mieux ne pas se marier ! » Beaucoup parmi nous pensent de même. Jésus parle projet fondateur de Dieu ; nous pensons quotidienneté grevée de difficultés. Est-ce irrémédiable ?

Nous ne jugeons pas à la légère les couples en difficulté : l’amour est pure grâce du Dieu amour. Mais est-ce utopique d’avancer que si c’est Jésus qui sponsorise nos mariages à l’église, sa loi, celle du Dieu amour, prime toute autre. Alors, « si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur » (1 Jn 3, 20) et il peut toujours « changer ces cœurs de pierre en cœurs de chair » (Ez 36, 26).

 

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