Messe du 26e dimanche ordinaire

 

Père Pierre Guerig, à l’église du Christ-Roi, Fribourg, le 28 septembre 2003.

Lectures bibliques : Nombres 11, 25-29; Jacques 5, 1-6; Marc 9, 38-48

Les lectures d’aujourd’hui nous invitent à méditer l’incroyable liberté de l’Esprit du Seigneur; elles sont aussi une invitation, pour notre propre liberté, à bien faire dans nos vies, les options fondamentales.

 

Pour le peuple hébreu, conscient du privilège d’être élu par Dieu, l’Esprit du Seigneur passait par certains anciens qui étaient à la fois guides et prophètes. Moïse, quant à lui, aspire à ce que non seulement ces responsables, mais bien tout le peuple hébreu soit habité par l’Esprit du Seigneur.

 

Jésus-Christ ira bien plus loin encore : il va à son tour faire éclater cette notion encore trop restrictive du don de l’Esprit limité à un seul peuple, pour l’ouvrir à tous les hommes : le peuple hébreu a été choisi par Dieu, mais non pas pour lui-même, sinon comme médiation pour faire connaître le Dieu qui s’est révélé au sein de ce peuple, à la totalité de l’humanité.

 

Mais ces ouvertures successives de l’Ancien Testament comme du Nouveau ne vont pas sans de fortes résistances. Cette perte de privilèges pour un petit nombre, va, hier comme aujourd’hui, à l’encontre des intérêts de ceux qui en bénéficient, et donc ils s’y opposent : le désir de puissance, de se créer et de défendre des privilèges est grand à travers toutes les époques.

 

Or Jésus va inviter ses disciples, eux aussi pris dans le piège de la défense de ce qu’ils considèrent comme leur monopole, celui d’être les seuls accrédités auprès du Seigneur, à ne pas vouloir délimiter eux-mêmes la frontière entre les vrais et les faux serviteurs du Seigneur, car cette frontière n’est pas extérieure. La frontière de l’authenticité de ceux qui suivent Jésus-Christ ne peut se mesurer à l’appartenance sociologique; elle passe par le plus intime du coeur de chacun. Combien de personnes se considèrent des chrétiens convaincus et sont peut-être, comme le fils aîné de la parabole de l’enfant prodigue, loin, voire très loin du Père.

En Amérique Latine, dans les années 70-90, les militaires qui ont ordonné de torturer et tuer des milliers de civils, au nom de la défense du christianisme, communiaient pieusement chaque dimanche à la cathédrale.

À l’inverse, combien de personnes, pénétrées de l’Esprit, pourront agir authentiquement au nom de Jésus-Christ, sans s’inscrire à l’intérieur des frontières visibles des Églises chrétiennes ?

Lorsque la suite de Jésus-Christ se fait réelle et profonde, elle pénètre toute la réalité, elle passe nécessairement de la théorie à la pratique, de l’intention aux faits. L’épître de Jacques nous en donne certains critères fondamentaux : la liberté créatrice de l’Esprit nous invite à la solidarité, au partage, particulièrement envers les plus démunis.

Cela va même plus loin : si je reste esclave des biens matériels, des richesses, je vis nécessairement en rupture avec la solidarité et le partage qui caractérisent la construction du Royaume. Si la richesse nous fait miroiter le bonheur, l’Esprit nous avertit de cette tromperie et de ses conséquences réelles :

Lamentez-vous, gens riches… vous avez amassé de l’argent alors que le salaire des travailleurs crie vengeance… vos richesses sont pourries… Vous avez condamné le juste… Vous avez recherché sur terre le plaisir et le luxe… pendant que l’on massacrait des gens…

Paroles terribles de l’Écriture, et pourtant quoi de plus vrai, non seulement chaque fois que l’on ouvre le journal, mais peut-être aussi attitude, plus ou moins subtile et latente, au coeur de chacun….

 

N’y a-t-il pas quelque chose de non seulement paradoxal, mais aussi de scandaleux, qu’en Amérique Latine, les injustice sociales soient plus grandes que partout ailleurs: moins d’un 20 % de la population vit dans un débordement de luxe insultant, et les autres 80 % croupissent dans la misère. Or, avec plus 85 % de catholiques, c’est le sous-continent le plus chrétien de la planète…

Ce n’est donc pas par hasard que la fin de l’Evangile d’aujourd’hui, nous invite à faire des choix, les bons choix, et lorsqu’il en est encore temps. Certes la formulation, propre à un style littéraire et culturel différent du nôtre, peut nous choquer : Si ton oeil t’entraîne au péché, arrache-le… Et si tous ceux qui, un jour ou l’autre, ont été cause de chute pour un autre, devaient être jeté à la mer avec une pierre au cou, nous serions très nombreux à nous retrouver au fond de l’eau… Mais au delà de la formulation qui diffère de la nôtre, le message est clair et reste parfaitement valable aujourd’hui pour chacun: tout n’est pas compatible avec la suite du Christ : des choix fondamentaux s’imposent dans notre existence, et ils sont parfois douloureux à faire.

Nous aurions presque toujours tendance à choisir ce qui en apparence nous rend heureux : la richesse, avec tout ce que cela implique pour y parvenir, la reconnaissance et le pouvoir, qui peuvent avoir de multiples visages. Mais au delà des apparences trompeuses, nous n’accumulons en vérité qu’une suite d’insatisfactions, voire un mal-être, toujours plus grands.

À l’inverse, le Christ nous propose, non des apparences, mais bien la réalisation d’un véritable épanouissement de notre être. Cela se réalise, non pas comme certains courants à la mode voudraient nous le faire croire, dans une recherche égocentrique de soi qui nous enferme sur nous-mêmes, mais bien dans la progressive construction de relations, belles, authentiques et exigeantes, avec Lui, d’abord et fondamentalement, et ensuite, par conséquences, avec les autres, avec nous-mêmes, et même avec le cosmos.

Or cela implique des choix qui ne dépendent pas de l’extérieur ou de la conjoncture; ces choix ne dépendent que de nous-mêmes. Nous avons à choisir entre construire ou détruire, entre le véritable bonheur et les faux bonheurs qui engendrent frustrations et destructions, en un mot entre la vie et la mort. Comme nous le dit le Seigneur au chapitre 30 du Deutéronome :
« 
Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur… Choisis donc la vie.. (Dt 30,15;19) ».
C’est à nous de choisir.

 

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