Messe du 22ème dimanche ordinaire

 

Cardinal Henri Schwery , le 31 août 2008, à la chapelle de la Visitation, Les Agettes Mayens-de-Sion (VS)
Lectures bibliques : Jérémie 20, 7-9; Romains 12, 1-2; Matthieu 16, 21-27 – Année A

Le Sacrifice     
    
Chers frères et sœurs,

La cohérence des textes bibliques de cette liturgie exige une mise au point sur deux expressions. L’une est l’annonce de Jésus, qui traumatise Simon-Pierre, disant «qu’il fallait» qu’il monte à Jérusalem. L’autre est la notion de sacrifice.
Ce mot, « sacrifice », a plutôt mauvaise presse. Certains dévots mal informés s’imaginent en effet un Dieu qui prendrait plaisir à la douleur des hommes. Or, Dieu a horreur du mal, sous toutes ses formes. Les prophètes déjà l’avaient rappelé plus d’une fois. Or saint Paul parle d’un «sacrifice qui plaît à Dieu». Celui-ci doit donc être défini ainsi : offrande de soi-même, sans réserve, à Quelqu’un qui est Dieu. Cette offrande de soi peut être pénible, parfois douloureuse. Mais ce sera par accident, en fonction de circonstances qui n’en modifient pas la caractéristique essentielle. Il ne faut pas confondre le prix avec la valeur des choses. Nous le savons parfaitement sur les places de marchés temporels. Pourquoi l’oublions-nous dans l’ordre spirituel ? L’inflation est déplorable dans les deux domaines.

Cependant, pour se donner vraiment, il faut faire effort sur soi-même. Et quand nous soumettons notre nature trop terre-à-terre à sa vocation supérieure, nos semblables peuvent s’en trouver eux-mêmes mis en cause. Alors le sacrifice passe par les épreuves de la souffrance, du mépris, du rejet.

Ainsi Jésus, annonçant son sacrifice, disait à ses disciples «qu’il le fallait …». Et pourquoi donc le fallait-il ? Certainement pas selon la conception de certains qui privilégient le destin aveugle, la fatalité. Ce qui leur permet d’esquiver toute explication. Alors qu’il y en a une.
Jésus devait passer par le Golgotha. Mais ce n’est pas par fatalité. C’était inévitable : à cause d’un conflit d’intérêts parmi les hommes. Donc d’un prix à payer. En l’occurrence, il y avait antagonisme entre la mission du Messie de Dieu et le durcissement de la Maison d’Israël.
On peut l’expliquer par une image que Jésus nous donne : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père.» (Jn 14,1-2) Les demeures, ce sont nos vocations différentes, nos divers états de vie, nos choix propres. Dieu respecte nos façons fort diverses de travailler ou de nous divertir. Cela donne beaucoup de « demeures », tout aussi diverses que les demeures d’un même immeuble. Différentes par l’ameublement, par l’ambiance, etc.

Mais à l’opposé des grands immeubles locatifs, anonymes, souvent lieux de rejets réciproques, Jésus nous parle d’une « maison ». C’est tout autre chose ! La maison, c’est « chez nous ». Il y règne un esprit, une chaleur. Malgré leurs différences, parents et enfants, frères et soeurs se reconnaissent d’une même famille. Ainsi en va-t-il de la «Maison de mon Père» dont parle Jésus. Le Père respecte nos demeures différentes, mais Il les unifie en une grande maison par son amour paternel qu’il partage à tous.

Comme certains ne l’ont pas compris, le Fils de Dieu sorti de la Maison du Père est venu sur terre partager notre vie d’hommes dispersés en des demeures barricadées. Il est venu, se donnant lui-même pour surmonter les serrures et les portes closes entre nos demeures. N’a-t-il pas affirmé : «Je suis la porte» ? (Cf. Jn 10,1-9) Il nous a enseigné à prier le Père pour que son règne vienne, pour que cessent les divisions et les guerres. Pour que s’ouvrent les demeures et que s’estompent leurs concurrences. Car le monde présent ne mérite pas d’être pris pour modèle – selon l’expression de saint Paul.

La terre, en effet, paraît très différente de l’image idéale du Royaume de Dieu, une seule maison avec de nombreuses demeures unifiées par une filiation commune. Elle est en réalité une multitude de maisons juxtaposées, voire agressives. Ce sont les maisons de l’économie, de la politique, des finances, des nantis, des affamés, du sport, de la fête, des jouissances immédiates, et des larmes aussi. Le monde permet d’habiter plusieurs de ces maisons à la fois. À condition d’y jouer le jeu propre à chacune d’elles. Malheur aux innocents et aux naïfs qui s’égareraient dans certains paniers de crabes.
Certes, il y a des communications possibles entre ces maisons terrestres. Il y a aussi des antagonismes féroces, pour des raisons d’intérêts, … et de prix à payer. La surenchère n’épargne surtout pas les trouble-fête qui s’y engageraient par idéal. C’est ainsi que le sacrifice, beau et joyeux en soi, devient souvent douloureux.
C’est ainsi que Jésus, qui avait été annoncé comme l’Emmanuel (Dieu avec nous) et le Prince de la Paix, a passé par le Golgotha et le Saint Sépulcre. «Il le fallait», et «il le faut» toujours. Il le faudra aussi longtemps que, au lieu d’œuvrer à l’édification d’une maison commune, nous continuons à jouer des coudes pour gagner davantage qu’autrui, pour être sur la plus haute marche du podium non pas «à la régulière», sportivement, mais par les artifices que sont : le dopage, la jouissance immédiate, copinage et favoritisme, la pratique sans vergogne des parachutes dorés, et le culte de tous les appétits qui remplissent nos demeures … aux dépens d’autrui, des pauvres et des exclus.

Et si quelque prophète intervient, s’il semble mettre en péril l’autosuffisance béate d’une demeure, on ne le reconnaîtra pas. Le mot, en effet, signifie «pro – phète», c’est-à-dire celui qui parle au nom d’un Autre, au nom du Père de la maison commune à construire. On le rejettera. On déformera son nom pour en faire un «trouble-fête», … qu’il faudra donc faire taire ou écraser. La parole biblique continue de se vérifier : «il le fallait».

Paul nous met en garde : « ne prenez pas pour modèle le monde présent». Ne vous laissez pas piéger par la crainte de l’aspect éventuellement pénible du sacrifice. Peu importe son prix, considérez-en la valeur,… c’est l’essentiel. C’est ce que doit annoncer le prophète. Il ne prêche pas une idéologie, il parle au nom de Quelqu’un. Comme un haut-parleur de Dieu, du Père de la Maison commune, il nous annonce un trésor. Maison et trésor personnifié se confondront en Dieu : C’est la vraie vie et le bonheur parfait au-delà de ce monde, au-delà de la mort. Aucun autre héritage ne vaut celui-là qui couronne tout sacrifice pour ceux qui sont promis à la Résurrection dans le Christ.
Amen.

 

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