Messe du 22ème dimanche ordinaire

 

Abbé Jean-Charles Roulin, église Notre-Dame, Neuchâtel, le 28 août 2005

Lectures bibliques : Jérémie 20, 7-9; Romains 12, 1-2; Matthieu 16, 21-27 – Année A


« Seigneur, tu as voulu me séduire, et je me suis laissé séduire! »
Peut-être n’est-ce pas là le langage que nous emploierions pour parler de notre relation à Dieu, pourtant il nous est parfois arrivé de connaître de ces moments d’éblouissement dans la foi. Je pense par exemple à ces jeunes qui viennent de vivre des moments inoubliables à Cologne lors des JMJ, ou d’autres jeunes encore qui ont connu des rassemblements à Taizé autour du regretté Frère Roger qui irradiait de la tendresse de Dieu sur son visage. Des instants de certitudes où nous sentons Dieu très proche, où nous sommes prêts à le suivre, à lui dire oui, où nous nous sentons portés, en un mot séduits.

Jérémie a connu de tels moments d’illumination, de séduction, pourtant ses propos résonnent comme un reproche à la face de Dieu. « Tu m’as fait subir ta puissance… A longueur de journée je suis en butte à la raillerie ». C’est tout juste s’il ne dit pas dans notre langage contemporain, Seigneur je me suis laissé avoir! Seigneur, je crois en toi, je t’ai donné ma confiance, alors pourquoi est-ce que je connais tant de difficultés, de souffrance? Oui, les jérémiades du prophète, nous aussi nous les connaissons bien. Pourquoi malgré ma foi, je suis habité par tant de peurs? Pourquoi tant de difficultés à aimer et se laisser aimés alors que je me suis laissé séduire par un Dieu d’amour?

Sans trouver toutes les réponses à ces questions, nous avons dans l’Evangile de ce jour un éclairage à ce que nous ressentons. Jésus annonce clairement la couleur à ses disciples. Le programme qu’il leur décrit n’a rien de séduisant : il monte à Jérusalem pour être persécuté, mourir et ressusciter! Pierre veut empêcher Jésus de tenir de tels propos, c’est qu’il sent bien que cela va démobiliser les troupes. On ne rassemble pas les foules avec de telles perspectives.

« Passe derrière moi, Satan, tu es un obstacle sur ma route! » Pierre a dû en prendre un coup! L’aventure à la suite de Jésus prend une drôle de tournure. La tentation de glisser sur la réalité pour faire miroiter un bonheur facile est présente même pour le Christ, mais il refuse d’y succomber. « Qui veut me suivre doit porter sa croix! » Que l’on ne s’y trompe pas: Jésus ne présente pas la souffrance comme une vertu, comme un chemin idéal. Il n’est pas venu rassembler des masochistes en manque de sensations. Il sait, parce qu’il le vit, qu’annoncer le pardon, dénoncer l’injustice ou encore aimer ses ennemis n’attire pas nécessairement la bienveillance de ceux à qui l’on s’adresse.

Vivre l’Evangile est difficile, cela nous place devant des comportements, des décisions pas toujours confortables. A ce sujet, le discours de Jésus est toujours clair même si ceux qui le suivent semblent être sourds à ce langage. Pierre en fait la dure expérience. Les apôtres mettront du temps à saisir le sens de la passion de leur maître. Elle n’est pas un passage obligé, mais l’expression d’une cohérence, le signe d’une solidarité avec l’humanité toute entière. Qu’aurions-nous à faire d’un Christ qui aurait surfé sur notre condition humaine, d’un Sauveur qui n’aurait pas connu la souffrance?

Si je ne parviens pas à faire le lien entre le Dieu d’amour séduisant que me présentent certains prédicateurs, entre le Christ tout puissant suivi par les foules qui m’a fasciné durant mes heures de catéchisme, et les moments de mon existence où la peur, la souffrance et la révolte me submergent, si je n’arrive pas à faire le lien, alors j’ai raison de reprocher à Dieu de m’avoir séduit; alors j’ai raison de me sentir trompé jusqu’au désir de rejeter ce Dieu.

Mais l’évangile de ce jour nous dit que ce lien existe: c’est la croix. La croix du Christ où se trouvent rassemblées toutes les croix que nous portons. Porter sa croix ne signifie à aucun moment de se complaire dans la souffrance, ni d’accepter passivement la dure réalité de notre monde comme une fatalité, mais c’est trouver du sens à tout acte d’amour avec les conséquences qu’il engendre, c’est éprouver de la joie à se battre pour une cause que je sais bonne, c’est continuer d’avancer malgré le sentiment d’avoir été séduit par un Dieu qui me semble parfois si loin et étranger à ma souffrance.

Avec le Christ j’apprends qu’à aucun moment cela est vain, qu’il n’y pas de croix qui soit une impasse, mais qu’elles débouchent toutes sur une libération, une résurrection. C’est bien sûr un acte de foi, mais qui peut devenir fort comme «un feu dévorant au plus profond de mon être » ainsi que le dit Jérémie. Depuis que le Christ est mort et ressuscité, je peux croire que toute souffrance porte en elle des germes de résurrection. Alors je deviens capable de rendre grâce à Dieu de m’avoir séduit, de lui rendre grâce également d’être le compagnon qui me connaît et qui porte ma croix lorsque qu’elle devient trop lourde pour moi.

AMEN

 

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