Messe du 22e dimanche ordinaire

 


Père Philippe Hennebicque, au Monastère de la Visitation, Fribourg, le 1er septembre 2002.

Lectures bibliques : Jérémie 20, 7-9; Romains 12, 1-2; Matthieu 16, 21-27

L’évangile de ce dimanche ne manque pas de nous surprendre par la violence de certains termes : Jésus dit qu’il va souffrir, et perspective bien plus terrible il annonce qu’il va être tué. Il réprimande fermement Pierre en l’appelant Satan, la pierre qui fait achopper. Il souligne la nécessité de donner sa vie, de mourir comme lui, et de prendre sa croix.

C’est vrai que cet épisode marque un changement important dans la vie publique de Jésus. Nous sommes au moment où « Jésus commence à montrer à ses disciples qu’il doit s’en aller à Jérusalem », où il quitte la Galilée, cette province marquée par le contact avec les étrangers et avec leurs diverses pratiques religieuses, où il a connu un succès certain auprès des foules. Il vient de reconnaître devant Pierre qu’il est bien le Messie, mais il recommande à ses disciples de ne le dire à personne. Pourquoi ? Parce qu’il a une autre conception de son propre messianisme.

Pierre voit en lui le descendant du roi David, le célèbre roi qui fit d’Israël un grand royaume ; pour lui il est normal que le descendant de David s’en aille pour rejoindre Jérusalem, la ville sainte du peuple juif : avec Jésus, aller à Jérusalem c’est partager une ère de triomphe, pense-t-il.
Mais Jésus pense autrement : sa montée vers Jérusalem est une démarche radicalement différente, nouvelle : il relit les passages des Ecritures concernant le Messie, il y découvre des appels implicites le concernant. Entrer librement, volontairement dans la vieille Jérusalem des scribes, des docteurs, des prêtres, c’est le faire, comme Jérémie, comme les prophètes : cela veut dire non seulement souffrir, mais, tout jeune encore, mourir de mort violente. « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes » (Mt.23, 37) ; il est comme Jérémie qui dans Jérusalem 6 siècles auparavant subissait l’hostilité des responsables civils et religieux et qui disait à Dieu dans sa prière: « Je ne penserai plus à lui, …. Mais il y avait en moi un feu dévorant, au plus profond de mon être. Je m’épuisais à le maîtriser, sans y réussir » (Jér. 20,9)

Jésus veut répondre à un appel intérieur. Cela Pierre, comme nous, ne peut le supporter. « Il le prend à part », il arrête sa marche, « il commence à le rabrouer », il refuse cette manière de penser le messianisme : lui qui venait d’être désigné par Jésus comme ‘bienheureux es-tu fils de Yona’ parce que, ayant écouté la révélation du Père à son sujet, est maintenant appelé Satan, ce qui veut dire pierre qui fait tomber sur le chemin. Il se met devant Jésus pour lui couper la route, pour détourner Jésus de l’interprétation des Ecritures qu’il fait, lui qui est toute écoute à son Père. Il répond au désir humain de s’en remettre à celui dont on admire les exploits au point de se démettre de ses responsabilités, à un Messie habillé du vêtement du merveilleux.

Ainsi Pierre, à peine a-t-il accueilli avec la simplicité, la disponibilité de l’enfant ce que Dieu dit de lui-même, à savoir qu’Il est venu en son Fils bien-aimé nous libérer de la captivité du péché et de la mort, qu’il se transforme en quelqu’un qui sait, qui se fait grand : il commence à déformer cette révélation, il la prend à son compte en oubliant cette humilité qui est d’être l’oreille à côté de la bouche de Dieu, pour se mettre devant Dieu et pour lui dire: « Je vais te dire, Seigneur ce que tu dois faire, quand tu vas à Jérusalem ». En Pierre le mal voisine de suite avec le bien.

Il en est de même pour nous. Regardons ce qui se passe quand nous venons de reconnaître Dieu avec nous ! De suite nous manipulons cette découverte pour pécher contre Dieu, contre les autres. Nous ne pouvons éviter cette démarche cahotante dans notre suite de Jésus ; comme Pierre à peine avons-nous écouter l’Esprit de Dieu parler à notre esprit, que nous ne pouvons nous retenir de dire de suite j’ai compris et de comprendre de travers ce qui est dit de neuf avec l’esprit du vieil homme, « en prenant comme modèle le monde présent. » (Rom. 12,2).

Mais laissez-vous « transformer en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. » (Rom. 12,2) C’est le même appel que Jésus nous lance dans la 2° partie de l’évangile, de repasser sans cesse derrière lui. J’ose ajouter que, pour ne pas désespérer, c’est la seule conduite à avoir: dès que Jésus nous crie que nous sommes devant lui, et que nous allons tomber avec lui, arrêtons-nous, laissons le passer et marchons de nouveau derrière lui, imitant sa manière de supporter la croix, les morts quotidiennes, qui parfois sont ignominieuses, jusqu’à en perdre le souffle, jusqu’à en perdre la vie, jusqu’à donner sa vie.

C’est pourquoi il nous est essentiel de rencontrer Jésus ressuscité en lisant avec l’Esprit-Saint les Evangiles chaque jour, ligne après ligne, page après page, évangile après évangile, sans faire de choix, pour nous remettre sans cesse derrière lui, le laisser nous enseigner, et aussi être vigoureusement secoué comme Pierre.

Venir à la table eucharistique, c’est repasser derrière le Christ, c’est renoncer à confier notre vie à des mains, à des idoles qui ont moins de valeur, pour que l’Esprit peu à peu nous transforme comme Pierre ; à partir de notre péché d’orgueil auquel nous ne cessons de succomber, péché dévoilé régulièrement par l’Esprit, il nous est donné comprendre, au rythme de cette conversion permanente, que le Christ est la vraie pierre de fondation du monde nouveau qu’Il désire édifier avec nous par son Esprit.

 

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