Messe du 21ème dimanche ordinaire

 

Cardinal Henri Schwery, chapelle Notre-Dame de la Visitation, Les Agettes, VS, le 26 août 2007
Lectures bibliques :
Isaïe 66, 18-21; Hébreux 12, 5…13; Luc 13, 22-30 – Année C

La porte étroite
 
Chers frères et sœurs,
Si vous passez par hasard devant la résidence d’été d’un de vos amis d’autrefois, un chalet à la montagne par exemple, et que vous vous dites : Tiens ! les Dupont, faisons-leur une petite visite. Et si la porte est fermée et que l’on ne répond pas à votre coup de sonnette, alors que vous entendez des voix à l’intérieur, … vous vous poserez des questions et vous passerez votre chemin, humiliés, déçus, peut-être fâchés.

Plus tragique : si vous faites une course en haute montagne et, surpris par un orage soudain qui vous met en danger, vous faites un petit détour pour rejoindre un refuge; … dès qu’il apparaîtra dans le brouillard, vous voici enfin soulagés. Mais si la porte est fermée et que de l’intérieur on vous refuse l’entrée sous prétexte qu’on est complet, … vous serez désespérés.

Ce deuxième cas de figure avait inspiré un contemporain de Jésus au sujet de l’accès au Salut éternel. «Seigneur, n’y aurait-il que peu de gens à être sauvés ?» Poliment, Jésus lui répond, mais pédagogiquement il répond – apparemment – à côté de la question. D’ailleurs, à cette question que tout le monde se pose tôt ou tard, nous ne connaissons pas de réponse. L’église n’a jamais voulu prendre position.
Efforçons-nous donc – non seulement d’entendre, mais –  d’écouter ce que Jésus semble nous dire, un peu en écho au premier cas de figure que j’ai pris en exemple.

Si les Dupont sont vraiment vos amis, il n’y a aucun doute, ils vous ouvriront leur chalet, et leur cœur en même temps qu’une bonne bouteille. Si ces amis d’autrefois ne vous connaissent plus, ne serait-ce pas parce que vous avez rompu les relations ? depuis longtemps peut-être ? – Souvenez-vous-en, en passant : le mot «relations» vient du latin religare, qui a aussi donné le mot français «religion». On ne saurait parler d’amitié, actuelle et vraie, entre anciennes connaissances qui se boudent. Or le monde actuel semble de plus en plus bouder Dieu car la vertu la moins connue et la moins pratiquée est sans doute la «vertu de Religion.» Certes, on en pratique d’autres et parmi les plus recommandées, la Charité.

Mais précisément au sujet de la charité, la réponse de Jésus apporte une précision importante en faisant dire au maître de la maison :«Je ne sais pas d’où vous êtes», je ne vous connais pas. En effet, quand Dieu parle de charité, Il parle d’Amour, donc d’amour interpersonnel, de relations entre personnes qui se connaissent et qui se veulent du bien. Il en fait un commandement de portée universelle : Aimez-vous les uns les autres, sans distinction, sans apartheid, jusqu’aux inconnus les plus éloignés de vous, dont je veux que vous soyez le prochain (Cf. Le Samaritain Lc 10,29-37). Or ce monde a découvert en notre époque une solidarité humaine planétaire  : il est impossible d’énumérer toutes les œuvres humanitaires, les allocations privées ou publiques, les budgets nationaux d’aide au Tiers-Monde, les médailles de sauveteurs, les clubs de services, etc. et tant d’autres actes de solidarité. C’est remarquable, et probablement nouveau dans l’histoire de l’humanité, on ne peut que s’en réjouir et imaginer que Dieu lui-même s’en réjouit et nous en félicite – puisque Jésus a démontré son amour préférentiel pour les pauvres et les éprouvés. Mais Jésus les connaissait et eux Le connaissaient. Ce n’était pas qu’une oeuvre humanitaire.

Entre l’acte le plus généreux envers autrui et la «vertu théologale de charité» il y a un chemin à parcourir. L’acte n’y suffit pas. Il n’a même pas de poids décisif, puisque l’obole d’une piécette de la part d’une veuve lui a valu les louanges du Seigneur. Ce chemin à parcourir – de l’acte à la vertu –  consiste en la référence à quelqu’un avec qui nos relations sont tissées et entretenues, non pas de façon superficielle, mais du fond du cœur.

En définitive, le chemin de l’acte à la vertu est un chemin de «vérité». De vérité sur l’homme que nous sommes. L’acte peut démontrer la générosité du cœur, il peut aussi servir d’alibi à un cœur étriqué. Le cœur doit démontrer sa grandeur dans des actes, comme les fruits démontrent la qualité de l’arbre. Ne confondons pas la solidarité (quelle que soit sa générosité) avec la charité théologale.

La vérité que le contemporain de Jésus cherchait à lui faire dire – sur le nombre d’hommes qui seront sauvés – nous a déjà été communiquée. Dans le Christ, Dieu a révélé au monde qu’Il désire que «tous les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité». (1 Tm 2,4). Selon cette affirmation de saint Paul, telle est la Vérité, du point de vue de Dieu. – Tous !
Mais du point de vue de l’homme qui est censé y répondre, ou y correspondre, la question de Pilate demeure : qu’est-ce que la vérité ? (cf. Jean 18, 38) Les apparences, les actes, les faux-semblants, la reconnaissance publique avec succès et médailles, ou les alibis ?

Or il se trouve que beaucoup n’apprécient pas de telles questions, elles sont trop moralisantes ! Et à force de mépriser la morale, son enracinement dans le cœur et dans la vertu de religion, les hommes perdent la vérité sur l’homme, qui peut devenir perte de relations avec Dieu. Ce qui est en jeu, c’est la vérité sur l’homme.

Relisons ce passage d’évangile : «efforcez-vous d’entrer par la porte étroite». Cela me suggère l’image du slalom et des autres sports. Tout vrai sportif sait que les portes sont étroites et qu’il faut s’entraîner durement à les franchir correctement pour bénéficier d’une satisfaction personnelle au bout de la course : il se prouve à lui-même ce dont il est capable. Il n’y a aucun mal à ce que cette satisfaction soit couronnée par les acclamations populaires. Il y a même un effet d’encouragement salutaire pour les jeunes et les autres. Mais il se trouve que certains sont à ce point avides d’acclamations populaires, de médailles, de renommée ou d’argent qu’ils s’abaissent à l’idolâtrie de ces choses. Comme des païens, ils offrent des sacrifices : ils sacrifient leur santé, ils trichent en se dopant et ils trompent – jusqu’à en briser les relations – ceux qui leur faisaient confiance. Ne ressemblent-ils pas à ceux qui frappent en vain à la porte d’un ami d’autrefois, ou au skieur oubliant que les portes sont étroites ?

Frères et sœurs, je ne voudrais pas que mes allusions aux sports vous égarent en des propos critiques sur des personnes ou des faits connus. Peut-être les déceptions de sportifs intègres et d’admirateurs de bonne foi sont-elles un signe que Dieu nous fait, à travers les événements. pour que la société dans son ensemble et dans toutes ses activités : économiques, politiques, culturelles, collectives, familiales ou individuelles ouvre les yeux. Il y a une vérité sur l’homme et sur sa destinée éternelle en Dieu. On ne triche pas impunément avec cette vérité.

Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, tels qu’Il les connaît.
Et nous ? – le voulons-nous, vraiment, au prix coûtant d’une religion qui se veut «relations du cœur» avec un Dieu qu’il faut apprendre à reconnaître ?    
Amen

 

 

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