Messe du 21e dimanche ordinaire

 

 

Frère Amédée Emaulaz, 27 août 2000

Lectures bibliques : Josué 24, 1-18; Jean 6, 60-69

Tout a commencé dans l’euphorie générale, par un mouvement d’enthousiasme. Rappelez-vous, au début de ce chapitre 6 de saint Jean, cette foule qui suivait Jésus. Environ cinq mille hommes. Chacun d’eux avait pu voir les douze couffins remplis des restes de ce qu’avait apporté « un garçon (un gamin) » : « cinq pains d’orge et deux petits poissons ». Et cela après que tous furent rassasiés. Dès lors comment douter que Jésus soit « le prophète, celui qui doit venir dans le monde ». Et s’il en faisait autant, tous les jours ! Oui, voilà le roi, le boulanger qu’il nous faut : « donne-nous toujours de ce pain ! »

Mais Jésus coupe court à cette poussée messianique. Son « royaume, comme il le dira à Pilate, n’est pas de ce monde ». Sa royauté vient d’ailleurs. Elle n’est pas comme la foule l’envisage : « Ce n’est pas parce que vous avez vu des signes que vous me cherchez, dit Jésus, mais parce que vous avez mangé des pains à satiété. Il faut vous mettre à l’œuvre pour obtenir non pas cette nourriture périssable, mais pour la nourriture qui demeure en vie éternelle, celle que le Fils de l’homme vous donnera, car c’est Lui que le Père, qui est Dieu même, a marqué de son sceau ».

Pour recevoir cette nourriture, il faut donc croire à l’Envoyé de Dieu. « Telle est l’œuvre de Dieu : que vous croyiez en celui qu’il a envoyé ». Mais « quel signe fais-tu donc, toi, pour que nous voyions et croyions en toi ? Quelle est ton œuvre ? ». Et Jésus de répondre : « Moi, je suis le pain de la vie. Qui vient à moi n’aura pas faim, qui croit en moi n’aura pas soif, jamais » ! Mais je vous l’ai dit : vous avez vu, et vous ne croyez pas ! ». « Moi, je suis le pain de la vie. Vos pères ont mangé dans le désert la manne, et ils sont morts… Moi, je suis le pain vivant descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra pour l’éternité ». « Le Pain que moi je donnerai, poursuit Jésus, c’est ma chair pour la vie du monde… Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’avez pas de vie en vous ».

Vous aurez remarqué l’insistance et l’intransigeance de Jésus. Il répond en affirmant la vérité sans équivoque : « Amen, amen je vous le dis : si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’avez pas de vie en vous ». Jésus insiste lourdement, avec des substantifs très concrets, lourds de matérialité : « ma chair est vrai aliment et mon sang est vraie boisson ». Il en est de même des verbes qui évoquent des actions matérielles : manger (mâcher, croquer) et boire : « qui mange (consomme) ma chair et boit mon sang a vie éternelle ».

Devant pareil réalisme, la réaction des Juifs ne se fait pas attendre. Ils « se mettent à discuter violemment entre eux : Comment peut-il, celui-là, (Jésus, le fils de Joseph), comment peut-il nous donner sa chair à manger ? ». Même parmi ses disciples qui l’ont entendu, beaucoup trouvent que : « cette parole est dure (sclérosée) ! Qui peut l’entendre ? ».

La crise éclate. De l’enthousiasme général du début, on est passé à une des ruptures les plus douloureuses que rapporte l’Evangile : « A partir de ce moment beaucoup des ses disciples s’en allèrent et cessèrent de marcher avec lui ». Beaucoup, en effet, ne supportent pas le caractère exorbitant d’un tel langage qui dépasse tout entendement. Loin de retenir ceux qui restent, Jésus dit simplement aux douze : « Vous aussi, vous voulez vous en aller ? ». Etrange comportement de Jésus ! Lui dont « les paroles sont esprit et vie », il parle de telle manière que son discours est perçu par ses disciples comme une provocation : « Ce qu’il dit est intolérable ». Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre de sa part, Jésus n’affaiblit en rien ce qu’il vient d’enseigner à la synagogue de Capharnaüm. Il conclut son discours comme il l’avait commencé : « Tel est le pain qui est descendu du ciel : il est bien différent de celui que vos pères ont mangé ; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l’éternité ».

Jésus, en ce mystère, est amour et don de soi ; personne ne peut venir à lui, s’unir à lui, partager sa pensée et sa vie, sans cette découverte, sans faire cette expérience vitale. Il fait même un dernier effort pour élever l’esprit de ses auditeurs et les libérer de malentendus inutiles : « Cela vous choque (vous scandalise) ? », comme s’il voulait leur dire : il ne s’agit pas de manger de la chair humaine comme des anthropophages. Non. Il s’agit du Verbe de Dieu « fait chair » qui nous donne sa chair à manger comme Pain de la vie pour demeurer en nous et nous en lui, pour devenir notre vie, « la vie du monde ». Evidemment, cela choque les uns, déçoit les autres, mais cela exige de chacun et de chacune la décision de la foi : ou ‘je refuse de croire et je m’en vais’ ou bien ‘je crois et je reste’.

Les Douze restent. Ont-ils compris ? Peut-être. Pas totalement, en tout cas. Et nous ? Allons-nous rester ? Le langage de l’Évangile est très fort : on a peur d’être saisi par lui. Et c’est là, justement, le risque de la foi : croire, ce n’est pas seulement comprendre. Croire, c’est aller à Dieu, prendre le risque d’un engagement total à la suite du Christ.

Manger la chair et boire le sang du Christ « livré pour nos fautes », c’est reconnaître que Christ est en croix jusqu’à la fin du monde. Et c’est nous qui répandons ce sang et crucifions cette chair dans « les plus petits »de nos frères.
Manger la chair et boire le sang du Christ « ressuscité pour notre justification » c’est aussi reconnaître que la vie de l’homme, c’est la vie de Dieu. Dieu nous fait exister en nous communiquant sa propre substance, or Dieu est Amour.

Alors manger la chair du Christ et boire son sang, c’est accepter d’entrer dans la logique du don de la chair et du sang, donc du don de sa propre vie.

Ces trois aspects sont liés : notre création à l’image de Dieu consiste à « manifester » cet Amour qui nous fait exister, donc à faire exister aussi nos frères par le don de nous-mêmes. Ce don est justement le contraire du péché qui consiste à tenter de nous construire par la mort des autres, par leur écrasement ou leur asservissement.

Exister, finalement, c’est être image de Dieu, telle qu’elle nous est révélée par la vie, la mort et la résurrection de Jésus. Toute notre vie est un mystère pascal.

 

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