Messe du 20ème dimanche ordinaire

 

Père Pierre Guérig, Monastère de la Visitation, Fribourg, le 14 août 2005

Lectures bibliques : Isaïe 56, 1-7; Romains 11, 13-32; Matthieu 15, 21-28 – Année A

Il est pour le moins étonnant d’entendre Jésus traiter de chiens, ceux qui ne font pas partie du peuple juif.

Comment comprendre ce passage déconcertant?

– Jésus a-t-il personnellement considéré cette cananéenne avec un tel mépris?
– Ou alors Jésus a-t-il volontairement provoqué cette femme pour voir sa réaction?
– Ou peut-être encore Jésus a-t-il pris conscience de l’universalité de sa mission justement à partir de cette conversation?

– Mais peut-être s’agit-il plutôt, de la part de Jésus d’une pédagogie qui nous interpelle nous aussi aujourd’hui.

N’avons-nous pas en effet souvent l’impression que le Christ se trouve au sommet d’une très haute montagne, et que nous devons la gravir seul par un sentier escarpé pour pouvoir nous en approcher. Or c’est exactement l’inverse qui se produit : c’est bien Lui qui nous rejoint là où nous nous trouvons.

Dans le contexte des disciples, même si certains courants comme celui d’Isaïe, prônent une ouverture à l’étranger, ces courants sont minoritaires dans l’Ancien Testament. La plupart des juifs de leur temps estimaient au contraire qu’ils devaient tenir à distance tous les étrangers, afin de garder la pureté de leur particularité.

Jésus part donc de leurs convictions : le peuple choisi par Dieu possède seul la vérité, et le Messie promis par les prophètes ne peut être envoyé que pour le peuple d’Israël.

Mais, par ses attitudes, ils les invitent ensuite à progressivement rectifier leurs convictions.

En effet, face aux différences, surtout religieuses et culturelles, hier celles des apôtres, comme aujourd’hui les nôtres, nous pouvons :

– ou bien mettre l’accent sur la valeur du groupe auquel nous appartenons, le considérer comme meilleur et supérieur aux autres. Sur un fond de peur, il faut alors se protéger de toutes contagions. Il s’agit d’ériger des murs pour nous séparer de tout ce qui peut être différent de nous, l’autre étant considéré comme un ennemi potentiel;

– ou bien mettre l’accent sur l’ouverture à la différence. Sur un fond de respect il faut construire des ponts qui permettent la communication et l’enrichissement de chacun. L’autre peut alors devenir un ami potentiel.

C’est cette deuxième option que Jésus, dans son dialogue avec la samaritaine, propose à ses disciples.

À notre tour, c’est à chacun de nous de nous poser la question : dans ma vie quotidienne, que ce soit dans mes relations familiales, au travail, dans mes convictions religieuses, dans mes choix politiques, est-ce que je me referme sur moi-même, sur mes convictions, ou est-ce que je m’ouvre au risque de l’enrichissement par la différence.

En plus de l’accent sur l’importance de s’ouvrir à l’autre et de ne pas se refermer égoïstement sur soi et ses privilèges, Jésus va aussi mettre le doigt sur un autre point : la foi.

Si la plupart des religions ont un certain risque de déraper vers le fondamentalisme et même le fanatisme, il ne devrait pas en être ainsi lorsqu’il s’agit plus explicitement de la foi, comme l’adhésion du plus profond de mon être à la personne de Jésus-Christ.

Cette foi déborde alors les frontières sociologiques des Églises : dans son dialogue avec la cananéenne, qui n’était pas de religion juive, et donc considérée comme païenne, Jésus va faire l’éloge de la foi de cette femme. Alors que dans l’évangile de dimanche passé, dans un dialogue avec Pierre, le plus important des apôtres, Jésus a dû lui reprocher son peu de foi.

La foi, authentique et profonde, déborde aussi nos classifications :

– elle ne se laisse nullement acheter par le pouvoir et l’argent : que ce soit en Suisse ou en Amérique Centrale, j’ai eu l’occasion d’accompagner des personnes socialement comblées, mais empêtrer dans l’impossibilité de croire et d’arriver à donner un sens à leur vie. Au contraire, j’ai été frappé par des personnes affrontant d’énormes difficultés matérielles, mais avec une foi profonde qui leur donnaient une étonnante sérénité et même joie de vivre.

– au sein même de l’Église, nous serions peut-être portés à croire que tous les prêtres et les religieuses ont une foi fortement enracinée, en raison de leurs études théologiques et de leur statut particulier. Or pour ma part, en accompagnant toute sorte de personnes, j’ai souvent été surpris de découvrir combien certains laïcs peuvent avoir une foi plus solide et dynamique que certains prêtres et religieuses. La foi n’est pas fonction du contexte extérieur, elle échappe à nos conditions de vie; elle ne dépend que ce qui se passe au plus profond de la personne.

Or cette foi, si elle est authentique, non seulement répercute sur l’ensemble de la personne, mais de plus ne se réduit nullement à une dimension individualiste : elle déborde nécessairement sur la solidarité avec les autres, avec tous les hommes et femmes de bonne volonté qui désirent ensemble collaborer à tout ce qui permet à l’être humain de vivre debout et solidaire, à l’image de ce Dieu trinitaire, communion d’amour et de tendresse, qui est son origine et sa fin.

Alors, la foi authentique, loin d’être cause de divisions et de guerres entre les hommes, deviendra la source de ce qui les unit, ou, comme dit Isaïe, “un lieu de prière pour tous les peuples”.

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