Messe du 20e dimanche ordinaire

 

Chanoine Jean-Marie Lovey, 20 août 2000

Lectures bibliques : Proverbes 9, 1-6; Ephésiens 5, 15-20; Jean 6, 51-58

Chers amis, de quoi avez-vous faim ? Dans les situations d’urgence nous ne pouvons pas nous payer le luxe de rester longuement à la surface des choses; de tourner en rond à la périphérie des problèmes. Je ne vais donc pas poser 36 milles préambules à cette homélie. J’interroge très immédiatement : Quelle est votre faim ? Avez-vous faim de quelque chose ? Dis-moi donc quelle est ta faim et je te dirai quel est ton Dieu.

Ces questions peuvent avoir quelque chose d’incongru, d’indécent même dans notre monde où des millions d’enfants n’auront jamais l’espoir d’une vie adulte convenable parce qu’ils sont torturés par la faim au ventre; dans notre monde où des millions d’êtres humains meurent de n’avoir pas de pain à manger ! En paraphrasant sainte Thérèse d’Avila j’ai envie de dire : “La faim brûle notre monde, ce n’est pas l’heure de parler de choses sans importance.” Ces foules trop nombreuses qui vivent, qui vivotent au-dessous du seuil d’alimentation minimum sont une réponse criante à ma question : Quelle est votre faim ?
– Nous avons faim, crient tous ces gens, du pain de chaque jour. Ce pain que dans vos pays de surconsommation vous gaspillez si inconsciemment.

Et de notre côté, nous ne pouvons pas ne pas entendre le cri de tous ces affamés. Nous sommes tous informés de ce qui se passe au bout du monde. Alors la parole de Dieu que nous accueillons ce matin sert de caisse de résonance tout à fait insolite, à ce cri. On y apprend que Dieu lui-même a le goût du pain. Je suis, dit Jésus, le Pain vivant descendu du ciel … Et le Pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde.

Les Juifs de l’époque se mirent à discuter vertement à partir de cette folle annonce de Jésus. C’en était trop ! Pensez donc ! Manger la chair et boire le sang pour avoir la vie alors que le sang est par excellence, dans la conception juive, le domaine sacré intouchable. Jésus insistera : Ma chair est une vraie nourriture et mon sang vraiment une boisson. Il s’agira vraiment de manger de ce pain là pour vivre à jamais.

Après l’avoir entendu, dans un réalisme si choquant, beaucoup de ses disciples, ne pouvant plus accepter son langage, se retirèrent et cessèrent de l’accompagner, nous dira saint Jean dimanche prochain.

Au cours des âges, et aujourd’hui encore beaucoup d’hommes – et peut-être y en a-t-il aussi parmi vous -, beaucoup d’hommes ont rejeté le Christ, son évangile et son Dieu, pensant qu’une parole comme celle de l’évangile de ce jour était à mettre au compte d’un spiritualisme à bon marché et détestable; qu’une telle parole de consolation n’était qu’une insulte cynique à la face de tous les souffrants de la faim ! Comme si la solution aux drames humains consistait à fuir en se réfugiant dans une fausse spiritualité. Non ! ce cynisme là n’est pas digne de notre Dieu et c’est exactement au comportement inverse que nous provoque l’évangile.

Le pain qui descend du ciel pour qu’on le mange et ne meure pas, c’est le Christ vivant, c’est Dieu en personne. Mais attention ! Le pain gaspillé, jeté à la poubelle, c’est aussi Dieu méprisé, jeté au panier. Le non-partage des biens de consommation avec les nécessiteux, c’est encore Dieu refusé. Dieu a le goût du pain. Et voilà qu’à lire l’évangile, je ne peux plus m’évader dans une spiritualité éthérée; au contraire, je suis renvoyé à toute l’épaisseur de l’existence bien concrète des hommes mes frères. L’évangile me permet de faire la preuve par neuf de l’authenticité de ma foi, de ma vie chrétienne : Dis-moi quelle est ta faim et je te dirai quel est ton Dieu.

La Sagesse hospitalière, comme nous l’a rappelé la première lecture, a bâti sa maison, elle a dressé sa table, et elle invite : Venez, mangez mon pain.

Dans cette maison d’accueil, depuis 10 siècles, les confrères, chanoines du Grand Saint Bernard et le personnel se sont laissés façonner à l’esprit de cette sagesse hospitalière. Ils ont appris qu’ici, c’est le même Christ qui est adoré et nourri. Nos anciennes Constitutions demandaient que chaque jour deux religieux s’en aillent de part et d’autre du col, même au péril de leur vie, à la recherche d’éventuels passants en difficulté, leur apportant le thé et le pain. Dieu a le goût du pain.

A l’heure de la globalisation, je rêve qu’un organisme prenne, au nom de l’évangile, l’initiative de sortir de son refuge, pour aller partager son pain, partager son Dieu avec les affamés de notre monde, et en retour recevoir de ce monde un autre et authentique visage de Dieu. Mais je rêve encore que chacun de nous qui avons jour après jour la certitude d’avoir du pain dans nos assiettes, creusions dans notre volonté et notre désir d’autres faims. Faim de justice. Faim de vérité. Faim d’être habité par l’esprit de Dieu, dont saint Paul souhaite qu’on en soit ivre. Surtout faim de l’Eucharistie, Pain vivant descendu du ciel pour que le monde en vive. Que vienne sur nous, comme dit le prophète, des jours où Dieu enverra non pas une faim d’homme, mais une faim et une soif d’entendre la Parole de Dieu. Dis-moi quelle est ta faim et je te dirai quel est ton Dieu.

Et cette parole, en ce dimanche, est une invitation à voir qu’au-delà de notre table, l’homme ne vit pas seulement de pain matériel; que sa vie déborde l’existence terrestre. Qui mange ma chair et boit mon sang a la Vie éternelle, et moi je le ressusciterai au dernier jour. Mais avons-nous seulement faim ? Et de quoi ? Et de qui ? Au delà de notre satiété physique, saurons-nous creuser en nous d’autres faims ? celle de l’âme ? Aurons-nous suffisamment faim et soif de Dieu pour donner envie aux autres de se nourrir aux mêmes sources ? Dis-moi quelle est ta faim et je te dirai quel est ton Dieu.

Et puis, saurons-nous lire les faims et les soifs de nos contemporains à leur juste niveau et y apporter le pain qu’ils sont en droit d’attendre de nous tous chrétiens, porteurs d’évangile ? Je pense à cette petite fille qui, à la fin du repas, se tenait accoudée à la table, la tête entre les mains, se plaignant d’avoir mal au cœur.

– Ce n’est rien, lui dit sa mère, pour se faire sécurisante, tu as mangé un peu trop vite.

– Maman, lui répondit-elle, je n’ai pas mal au cœur qui mange, j’ai mal au cœur qui aime.

 

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