Messe du 1er dimanche du Carême

Abbé Jean-Charles Roulin, à l’église St-Marc, Serrières, NE, le 29 février 2004.

Lectures bibliques : Deutéronome 26, 4-10; Romains 10, 8-13; Luc 4, 1-13

Chers amis,

J’ai été tenté, et j’ai succombé à la tentation de vouloir lever un malentendu tenace au sujet de nos tentations. Dieu ne nous place pas devant des tentations pour nous mettre à l’épreuve, même si une mauvaise traduction nous fait dire à chaque prière du Notre Père, “ne nous soumet pas à la tentation”. D’abord Dieu ne soumet personne; ce serait contraire à l’amour qu’il a pour nous! Ensuite nous n’avons pas besoin de lui pour être tenté, mais par contre nous avons besoin de lui pour ne pas laisser la tentation faire son chemin en nous. C’est là le sens de cette prière.

Dieu n’est pas un faiseur d’embûches pour nous mettre à l’épreuve, la vie nous en apporte suffisamment sans qu’il en rajoute! Il en va de même pour Jésus qui n’est pas poussé par l’Esprit pour être tenté au désert, un peu comme s’il devait passer un examen avant d’entreprendre sa mission. Jésus va connaître la tentation tout au long de son ministère, jusque sur la croix où on lui demandera de descendre lui-même s’il est vraiment le Fils de Dieu. Il devra sans cesse lutter pour ne pas se laisser enfermer dans les attentes pressantes des gens qui veulent des preuves, qui s’accrochent aux coups d’éclat, qui sont prêts à se laisser assujettir à un pouvoir fort et sécurisant.

En ce sens, le passage de quarante jours au désert a une valeur très symbolique. Le désert est un lieu de transparence, de vérité et peut-être de doutes aussi comme nous en connaissons souvent tout au long de notre existence. Par ce récit, Luc nous montre comment Jésus a assumé pleinement notre humanité, aussi bien dans sa grandeur que dans la lourdeur de ses aspirations de puissance et de sécurité. Non, Jésus n’a pas échappé au sable de notre condition humaine qui vient trop souvent bloquer les rouages de notre bonheur. Il a été l’un des nôtres jusque dans ces moments où tout semble pouvoir basculer dans l’absurde, la résignation ou encore la désespérance. Les trois tentations décrites sont la source de toutes nos dérives qui peuvent parfois nous amener à nous fermer à l’amour de Dieu et des autres.

“Changer des pierres en pain”, autrement dit être autonome, autosuffisant, ne plus avoir besoin de recevoir le pain de l’autre, ne dépendre de rien ni de personne… Même s’il est légitime et surtout humain de chercher des sécurités, une certaine indépendance, reconnaissons que c’est là souvent l’expression de nos égoïsmes. Au nom de notre sécurité, de notre indépendance, combien de fois changeons-nous en pierres le pain de la tolérance, le pain de l’accueil ou simplement le pain de l’amitié? Nous avons besoin de sécurités, besoin d’être rassurés, et Dieu le sait. Mais il ne se laisse pas enfermer dans le rôle d’assureur tout risque que nous aimerions lui donner. Jésus drainera derrière lui beaucoup de gens qui attendront de lui la réponse immédiate à leurs besoins. Ils verront en lui le faiseur de miracles sans être atteint par son message. Où seront-ils tous lorsqu’il ne fera rien pour empêcher sa crucifixion?

La tentation de Jésus à ce moment-là a dû être terrible, tentation de répondre par une démonstration de puissance telle que nous en rêvons, tel que le démon la fait miroiter dans l’évangile de ce jour. Or la seule puissance que Jésus n’a cessé de manifester est celle de l’amour, celle de celui qui ne contraint pas, qui donne sans calcul, qui prend le risque de l’incompréhension et du rejet. C’est le pouvoir de celui qui aime et qui pardonne, un pouvoir fabuleux qui peut parfois nous faire peur parce qu’il appelle une confiance inouïe.

Aux trois tentations, Jésus réponds chaque fois en rappelant que nous avons à nous préoccuper de notre relation à Dieu, à lui donner notre confiance. Et il nous faut humblement reconnaître que ce n’est pas facile! Nous voulons bien donner notre confiance, mais ça irait tellement mieux si nous avions des preuves: “jette-toi en bas, des anges empêcheront que ton pied ne heurte une pierre…”. Combien de nos prières sont teintées des couleurs de cette tentation? Si Tu es vraiment Dieu…. alors…..! Le chemin de foi qu’il nous propose passe par nos doutes et même nos révoltes pour qu’il devienne pleinement une histoire d’amour. C’est là le sens de toutes les réponses de Jésus au Tentateur. Dieu m’aime et rien ne peut détruire cet amour, rien ne peut l’empêcher de m’aimer. C’est là sa puissance et il me propose de la partager, de transformer mes désirs de domination, mon besoin de m’imposer, en gestes d’amour et de confiance.

Aussi ne nous laissons pas impressionner, voire écraser par nos tentations même lorsque nous leur fabriquons un nid douillet dans lequel nous aimons les voir s’épanouir. Cela n’arrête pas la tendresse de notre Père. Ce temps du carême est un moment privilégié pour prendre un peu plus la mesure de cet amour, pour oser un peu plus lui donner notre confiance. Même si nous n’avons pas fini de nous casser les dents sur les pierres de nos déserts, Dieu saura toujours nous accueillir pour nous apprendre à en paver le chemin qui mène vers lui! Laissons-nous tenter par cet appel à la confiance et essayons de jeûner de nos égoïsmes! Un tel carême transformera certainement en champs de blé les déserts de nos vies!

Amen.

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