Messe du 1er dimanche du Carême

 

 

Chanoine Claude Ducarroz, Monastère de la Visitation, Fribourg, le 9 mars 2003.

Lectures bibliques : Genèse 9, 8-15; Marc 1, 12-15

Ce matin même, devant ton miroir, dans la salle de bain.

 

Comme moi sans doute, tu n’y as prêté aucune attention, tellement cette constatation est devenue banale à force d’être évidente.

 

Comme tous tes frères et sœurs en humanité, tu as une bouche et deux oreilles.

 

Deux oreilles pour une bouche : une proportion très significative.

 

Etre un humain, c’est écouter deux fois plus que parler.
Et notre problème, bien souvent, c’est précisément de faire le contraire : nous voulons parler – donc être écouté -, mais nous peinons à écouter vraiment. Inconsciemment, nous préférerions avoir deux bouches … et une seule oreille. Mais alors, quels monstres nous serions, et surtout des monstres d’égoïsme, n’est-ce pas ?

 

L’évangile de ce premier dimanche de Carême est très bref, vous l’avez constaté. Il comporte deux parties bien distinctes, comme devant notre miroir de ce matin.

 

La première est constituée d’un grand silence, une écoute de 40 jours, dans le désert. Jésus, qui est la Parole de Dieu faite chair, commence par se taire, longuement. Il est tout écoute, il est la divine attention.

 

C’est vrai qu’il sort à peine d’un entraînement prolongé.
A Nazareth, durant 30 ans, qu’a fait le Verbe de Dieu devenu notre frère humain ?
L’Evangile nous dit si peu de choses sur ces longues années obscures et discrètes.
Il était tout dévoué « aux affaires de son Père », ce qui suppose une profonde écoute de Dieu dans une communion ineffable avec lui, dans la paix d’un mystère dégusté avec l’émerveillement de perpétuelles découvertes.

 

Il est le Fils du Père, il en prend peu à peu conscience dans la prière et la contemplation.

 

Avec Joseph et Marie, c’était la vie ordinaire d’une famille populaire, là où les sentiments sont pudiques, les messages exprimés à demi-mots, l’amour manifesté sans grandes déclarations.

 

Pour Jésus, son passage au désert, troublé par les seuls bavardages de Satan et peut-être par quelques cris de bêtes sauvages, c’est comme un noviciat, une retraite en silence, l’ultime préparation pour la mission.

 

Non seulement il écoute – n’a-t-il pas que cela à faire ? mais il est écoute, justement parce qu’il est Parole.

 

Avant la bouche, il y a ses deux oreilles, collées au silence éternel de Dieu.

 

Et puis, tout à coup, il parle. Il a quitté les solitudes désertiques pour gagner la verte Galilée.

 

Mais ce qu’il dit n’est que l’écho parlé de ce qu’il a d’abord écouté, de Celui qu’il a écouté.

 

Vous l’avez entendu : c’est une Bonne Nouvelle, la bonne nouvelle de Dieu.
Oui, il exprime brièvement, en quelques paroles, le mystère contemplé dans sa méditation prolongée :
le règne de Dieu est proche … il faut vous retourner vers lui – c’est la conversion -, et y croire, évidemment, c’est-à-dire l’accueillir dans votre vie, parce que c’est bon, c’est beau, c’est vrai, une Bonne Nouvelle qui vient de Dieu, mûrie au soleil de l’Amour divin et maintenant offerte gratuitement comme un pain encore chaud sur la table de l’humanité affamée.

 

Cette bonne nouvelle cherche précisément des oreilles afin de mieux résonner dans nos cœurs.

 

Pour Jésus, c’est le moment de parler, il y a si longtemps qu’il faisait silence.

 

Pour nous, c’est le grand moment d’écouter, de l’écouter. Il y a si longtemps que nous nous éclatons – oui, nous nous disloquons – dans les bruits qui nous agitent intérieurement et dans les fracas d’un monde assourdi par tant de violences et de cris.
Ecoute. Ecoute enfin. Arrête de boucher les oreilles de ton intériorité, cesse de passer frénétiquement de la radio à la télé, puis de la télé aux cassettes, CD et autres DVD pour occuper tes deux oreilles trop tôt fatiguées.
Attention à la surdité précoce !

 

Je nous souhaite la grâce d’un silence qui nous dérange d’abord, et puis qui nous apaise … enfin.
Et là, au cœur de ton désert personnel, si tu écoutes bien, il y a une voix, toute petite, fragile, mais tellement patiente et précieuse.
Comme un filet d’eau qui cherche péniblement son chemin à travers les dunes de sable.
L’Esprit, en chacun de nous, murmure le message essentiel : croyez à la Bonne Nouvelle du Dieu-Amour.

 

Finalement, cette bonne nouvelle, toujours re-proclamée par l’Eglise, c’est Jésus en personne, ton frère et ton Seigneur, ton ami et ton Sauveur.

 

L’alliance nouvelle, universelle, éternelle, c’est lui. Il ne hurle pas, il fredonne à tes oreilles le chant de sa tendresse. Il frappe doucement à ta porte, mais jamais il ne l’enfoncera. Il attend seulement que tu lui ouvres. Car il habite tes silences et, durant ce Carême surtout, il mendie ton écoute.
Amen.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *