Messe du 1er dimanche de l’Avent

 

Père Guy Musy, à l’église St-Joseph, Genève, le 3 décembre 2006
Lectures bibliques : Jérémie 33, 14-16; 1 Thessaloniciens 3, 12; 4, 2; Luc 21, 25-28; 34-36 – Année C

Donne-nous d’avancer avec courage sur les chemins de la justice à la rencontre de notre Sauveur.
Tels sont les mots de la prière qui nous introduit à la liturgie de ce premier dimanche d’Avent.

Cette prière est proposée à des gens debout, en état de marche. On les invite à avancer sur un chemin. Premier paradoxe : on m’a averti qu’à ces heures dominicales, à vrai dire très matinales pour le commun des mortels, je risquais de m’adresser par la radio à un bon nombre de personnes assises ou même encore couchées. Sans oublier, bien entendu, les malades et les handicapés qui ont l’habitude de suivre cette émission. Tout le contraire d’un peuple en marche, entraîné dans un marathon ou à la course de l’Escalade. Mais que vaut devant le Seigneur la force des jarrets ? On peut être souffrant, cloué sur son lit ou sur une chaise et développer encore de très beaux projets d’avenir. L’espoir qui fait vivre et progresser n’est pas conditionné par le parfait fonctionnement de nos forces physiques. Il y a tellement de gens apparemment debout, mais qui en fait se traînent ou sont à la traîne. C’est pour eux que nous prions d’abord. C’est pour nous aussi que nous prions, nous qui appartenons à ce peuple fatigué, souvent résigné, désabusé, qui se couche au bord du chemin sur lequel il faudrait pourtant progresser. Refuser d’avancer, c’est assurément courir le risque de mourir.

Il y a quelque années, dans un pays d’Afrique, j’ai rencontré le long d’une route poussiéreuse une file interminable de réfugiés affamés et épuisés. Depuis des jours et des nuits, ces pauvres gens avaient pris le chemin du retour. Pour ne pas les perdre, les mamans avaient attaché leurs enfants à leur taille et les traînaient derrière elles. Je ne connais pas d’image plus poignante de la rage de vivre à tout prix et de faire vivre ceux qu’on aime. Pour cela, il faut avancer résolument quoi qu’il en coûte, les dents serrées, les artères gonflées et le cou tendu. « En marche ! », comme nous invite le chant des Béatitudes. Un chant qui devrait résonner tout au long de ce temps d’Avent.

Avancer, oui. Mais pour aller où ? Sur les chemins de la justice, demande notre prière. Quelle justice ? Ne cherchons pas trop loin. Des fontaines médiévales de notre pays nous la présente sous la forme d’une femme aux yeux bandés, tenant un plateau de balance aux fléaux bien ajustés. L’image est limpide. Elle se traduit en ces termes : « Rendez à chacun son dû sans acception de personnes. ». Ou pour reprendre un verset évangélique : « Faites aux autres le bien que ous voudriez qu’ls vous fassent ». Quel long chemin pour en arriver là et tenir ce programme ! Entre nous d’abord, balayons devant notre porte, mais aussi entre les nations, entre les religions ! Face à tant d’échecs, que de raisons de se décourager, d’abandonner le combat. De s’asseoir au bord du chemin et de voir mourir avec nos illusions notre espoir de faire advenir un monde où rayonnerait la justice.

C’est pourquoi notre prière nous encourage à regarder plus loin que nos entreprises. Elle nous fait entrevoir au bout du chemin un Sauveur qui vient à notre rencontre. Un Sauveur qui reprend nos efforts, les efforts de tous les humains depuis les origines du monde, pour les amener à leur terme. Ce maître de justice, sans rien casser, est capable de redresser le roseau froissé et d’aplanir les chemins trop escarpés. La perspective de le rencontrer devrait suffire à nous galvaniser et à bander nos dernières énergies. Par delà un horizon ténébreux, un soleil se lève sur notre humanité, nous réchauffe et nous illumine.

Autour de nous, des incroyants se moquent de notre foi et de notre espérance. Ils relèguent nos convictions au musée des utopies et des aliénations. Ont-ils eux-mêmes déserté le combat de la justice pour rire de nos espérances ? Ou alors, qu’ils nous disent ce qui les mobilise et ce qui les fait courir ! Quant à nous, forts de notre espérance, nous refusons d’être des hommes et des femmes de l’abandon. Nous avançons avec courage, à la rencontre de notre sauveur.

Avec courage ? C’est-à-dire, avec du cœur au ventre. Au milieu des sarcasmes, des contradictions, des hésitations, des doutes qui nous invitent à quitter le chemin.

Avec courage ? Avec du cœur et avec amour aussi.

Un exemple ou un modèle sur ce chemin d’Avent ? Joseph, l’époux de Marie que l’Ecriture appelle précisément « Juste ». Pourquoi cette appellation ? Le jeune charpentier de Nazareth fut profondément juste face à la fiancée qui lui était promise. En refusant de la dénoncer et de la livrer au châtiment légal, Joseph s’écartait assurément de la justice des hommes, percevant une justice supérieure, celle qui vient de Dieu. Il s’exposait ainsi aux critiques de ses voisins et sans doute au tourment de ses propres scrupules d’honnête homme et de juif pieux. Avec courage, il avança sur ce chemin de justice, envers et contre tout, porté par l’amour qui le liait à Marie. Pour elle, il n’hésita pas à désobéir à la loi des hommes. Pour obéir à la justice qui vient de Dieu.

J’ai souvent pensé à Joseph lorsque des chrétiens au nom de leur amour et de leur espérance ont été amenés eux aussi à désobéir aux lois et aux règlements, quand ils hébergeaient ou soutenaient un proscrit, un sans-papier, un requérant d’asile poursuivi par une autre justice.

Eux aussi nous font signe sur le chemin et nous invitent à avancer comme eux avec courage et amour à la rencontre du Sauveur qui vient.

 

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