Messe du 1er dimanche de Carême

 

Abbé Canisius Oberson, à léglise du Bon Pasteur, Les Geneveys-sur Coffrane (NE), le 25 février 2007
Lectures bibliques :
Deutéronome 26, 4-10; Romains 10, 8-13; Luc 4, 1-13- Année C

« Nous croyons. Tout travail doit respecter la dignité humaine. » Sous ce slogan, Action de Carême et Pain pour le prochain nous proposent de vivre ce Carême 2007 en réfléchissant à ce que nous devenons lorsque nous sommes au travail, ou lorsque nous dépendons du travail des autres – je pense ici particulièrement aux malades, et à toutes les personnes dépendantes.

Tout le monde sait à quel point ce monde du travail a changé, depuis que compétition et concurrence, et surtout rendement maximal, sont devenus les moteurs des grandes entreprises qui ne connaissent désormais plus les frontières nationales et continentales.

Comme Jésus mis à l’épreuve au désert, nous voici aujourd’hui devant des choix et des questions essentiels pour nous, pour nos enfants et pour nos petits-enfants. Par exemple : la reconnaissance de la valeur d’une personne, autrement dit la reconnaissance de sa dignité, peut-elle être ignorée sur les lieux de travail ? La question paraît saugrenue, mais il faut la poser à l’heure où un économiste a mis en question cette notion de dignité au travail pour la limiter au domaine privé, familial par exemple !…

On peut aussi poser la question contraire : est-ce que la dignité d’une personne dépend de son travail ? Le critère du rendement économique d’une personne a-t-il une incidence sur sa dignité ? Ce qui revient aussi à demander : vous qui êtes peut-être sans travail, à la retraite, vous qui m’écoutez de votre lit d’hôpital, de votre cellule de prison, vous qui souffrez d’un handicap physique ou psychique, votre dignité est-elle différente de celle d’un travailleur ; votre dignité diffère-t-elle de celle d’un homme riche, beau et en bonne santé ? Quand on se sent inutile ou une charge, comme on l’entend parfois de personnes qui ne vivent pas d’un travail rémunéré, n’est-ce pas le signe qu’on ne se sent pas reconnu dans sa dignité ? Ces questions que l’on pourrait encore multiplier ne sont pas que philosophiques ! Elles sont vitales. Elles sont aussi politiques, en ce sens qu’elles posent la question de la place des plus faibles dans la société.

Ces questions reçoivent un éclairage décisif venant de la foi, puisque le Fils de Dieu s’est précisément incarné pour vivre notre condition humaine et en révéler le caractère sacré, divin.

Regardons maintenant comment le Christ au désert nous éclaire sur ces questions.

Au désert, Jésus s’affronte à l’esprit du mal, au démon. Il s’affronte au démon comme à un pouvoir de nuisance. Ce mal qu’il rencontre, c’est bien celui qui est présent encore dans nos déserts d’humanité, là où, par exemple, des enfants sont forcés au travail, là où les travailleurs ne peuvent vivre avec leur salaire trop bas, là où la précarisation fait sombrer dans la désespérance, dans la dépression ; là où, comme cela s’est passé récemment, trois cadres salariés d’une grande entreprise, tellement acculés par la pression exercée sur eux, ont choisi de mettre fin à leurs jours…

Combien de travailleurs connaissent un stress qui met en danger leur santé ? Combien de personnes dans les homes et les hôpitaux doivent faire avec un personnel débordé ? La performance, la concurrence sans limite servent-elles vraiment la dignité humaine ?

Au désert, Jésus nous rappelle une parole qui devrait s’incruster en nous comme une prise de vitamines et un commencement de libération : « l’homme ne vit pas que de pain »… Il ne vit pas que de technologie ! Il ne suffit pas de faire de ce monde une vaste marchandise pour que nous soyons humains. Nous avons besoin d’autre chose, de Dieu, de sa parole en Jésus Christ. Elle est garante de notre dignité qui, pour lui, existe du simple fait que nous existons. Le Christ nous le redit aujourd’hui avec force.

Il nous montre aussi le piège tendu par le tentateur à qui se prosterne devant lui. Se prosterner devant le tentateur, se prosterner devant l’argent, en faire un but ; se prosterner devant l’économie, la consommation… croire que nous n’avons pas d’autre choix que de nous adapter à ce monde, ne pas oser croire qu’un autre monde est possible, n’est-ce pas se laisser tomber peu à peu dans un esclavage qui ne dit pas son nom ? « Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras »… Toute autre adoration met en situation d’esclavage ! Là encore, le Christ est le garant de notre liberté et de notre dignité !

Enfin, la dernière tentation de Jésus au désert nous parle de la manière dont il entend mener sa mission, et dont nous sommes appelés à mener nos vies. Se jeter du sommet du temple de Jérusalem sans se faire mal, quel exploit ! Aujourd’hui lui assurerait interviews à la télé et une publicité efficace pour vendre son évangile ! Nous-mêmes, combien de fois voudrions-nous sommer Dieu d’intervenir pour qu’il règle nos problèmes ! « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu », répond Jésus. Tu n’en feras pas un instrument à ton service !

« Nous croyons. Tout travail doit respecter la dignité humaine. » Chers amis, l’évangile nous révèle un Christ qui combat à nos côtés et nous montre les chemins de la liberté : lutter pour être libres à l’égard de tout pouvoir, de toute idéologie, dans la dignité qu’il nous reconnaît ! Beau Carême à tous, à l’écoute de sa parole qui libère ! – Amen.

 

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