Messe du 19e dimanche ordinaire

 

Frère Denis-Marie de Ghesquières, le 8 août 2004, au Carmel du Pâquier, FR
Lectures bibliques : Sagesse 18, 6-9; Hébreux 11, 1-19; Luc 12, 32-48

« Votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume »

L’évangile de ce jour et notamment cette petite parabole du serviteur invité à attendre son maître nous éclaire sur les conditions pour accueillir le Royaume que le Père ne cesse de vouloir nous donner. Cela se passe curieusement de nuit, nuit qui nous fera passer progressivement d’une attitude de captativité à celle de l’accueil où nous acceptons de tout recevoir de Dieu dans la confiance et cela sans accaparer ce que nous recevons. Les coups dont parle Jésus n’ont rien à voir avec une attitude vengeresse de Dieu à notre égard. C’est plutôt celui qui refuse d’accueillir qui s’inflige à lui-même la punition en passant à côté de la joie et de la lumière du Royaume.

Edith Stein que nous fêtons demain dans toute l’Europe comme sa patronne est passée un temps à côté de cette lumière. Bien que née dans une famille juive, elle a vécu sans Dieu. Elle s’est mise en route en cherchant la vérité avec passion. Elle fut une brillante philosophe, cherchant à mieux le monde dans lequel elle vivait mais c’est le courage d’une femme chrétienne venant de perdre son mari qui va participer à l’éveiller. Niant jusqu’alors qu’elle était la bénéficiaire du don de la vie de Dieu, c’est en lisant la Vie, autobiographie de Thérèse d’Avila, réformatrice du Carmel, qu’elle prend conscience combien la dignité de tout homme est de vivre de la vie de Dieu. Il nous veut participant de tout ce qu’il est, de sa Paix, de sa Joie, de sa Compassion, de sa Miséricorde. Cela, elle l’accueille en Jésus le Christ, devenu désormais son compagnon de vie.

« Votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume »

Voilà la lampe de notre vie : le don de Dieu. Ce Royaume n’est pas à l’extérieur de nous. Il ne dépend pas de la température extérieure. « Là où est ton trésor, là est ton cœur ». La vraie lumière est en nous, dans notre cœur profond et cette lumière se laisse mieux entrevoir de nuit.

Car de nuit, je perds certains de mes repères et je peux enfin laisser un autre me guider. Dieu me conduit et transforme peu à peu mon regard. La vigilance consiste alors à désirer me laisser transformé par Dieu alors que je peux faire l’expérience de bien des limites,

La nuit, c’est le moment où nous ne maîtrisons plus. Alors que nous éprouvons nos faiblesses, que nous rencontrons des épreuves, que nous sommes déconcertés par l’aridité dans la prière, par le sentiment de notre pauvreté, nous sommes alors invités à faire confiance en l’œuvre d’un autre sans cesser d’être solidaires de nos frères et sœurs en humanité.

Si nous restons attachés à nos manières de voir, nous risquons alors de vouloir nous combler par nous-mêmes en utilisant les autres ou les choses à notre service et parfois par la violence ou dans une quête désespérée de compensations. Car seul l’Amour de Dieu peut nous combler.

C’est l’expérience d’Edith Stein au Carmel et cet amour va la conduire jusqu’au don total d’elle-même. Elle se laisse faire par Dieu qui va la guider à travers les ravins de la mort, au milieu de ce qui menace notre humanité. Edith va avec son peuple, le peuple juif, jusqu’à la mort et la mort à Auschwitz en août 1942.

Edith traverse avec Jésus et avec son peuple, étoile de la rédemption, les ténèbres du nazisme et de l’athéisme et devient témoin – martyre de la force de l’Amour sauveur de Dieu au cœur même de ce qui s’y oppose. Edith écrivait elle-même dès 1933 au pape Pie XI : « [Le] combat en vue d’éliminer le sang juif n’est-il pas un blasphème contre la très sainte humanité de notre Rédempteur, de la bienheureuse Vierge et des Apôtres ? Tout cela n’est-il pas en contradiction totale avec l’attitude de notre Seigneur et Sauveur qui priait sur la croix pour ses persécuteurs ? »

Comme pour Edith, la nuit est pour nous difficile car elle nous dit ce qui arrive quand nous ne contrôlons pas. Ce qui nous dépouille alors annonce une résurrection. Restons simplement en tenue de service, ayons confiance que Dieu nous conduit vers le Royaume qui habite au fond de notre cœur. Restons éveillé à la présence agissante de Dieu qui fait de l’espace en nous pour nous donner d’accueillir le seul don qui rassasie : aimer comme il nous aime.

Cela Dieu le fait au travers même de nos épreuves et nos blessures : au royaume de l’amour, elles sont autant de portes par lesquelles nous entrons plus profondément dans le Pays de la compassion, du pardon et de la miséricorde.

La vigilance à laquelle nous sommes conviés n’a rien à voir avec de la tension ou un effort pour être en règle dans la peur d’un jugement sévère mais il s’agit pour nous d’être ouvert, d’une célébration qui nous ouvre aux dons gratuits de Dieu. Dans cet esprit, le temps qui passe devient un espace où s’approfondit mon ouverture à la vie accueillie comme un cadeau.

Frères et sœurs, nous sommes faits pour célébrer, pour discerner comment aujourd’hui, que je sois âgés ou malades et ne pouvant guère me déplacer, que je sois prisonnier de murs extérieurs ou intérieurs, comment je puis ainsi veiller.

Avec Edith Stein, laissons la lumière de l’Amour rayonner dans la nuit. Veillons-nous aussi en acceptant de lâcher ce que nous sommes tentés de nous approprier, en contentant de ne pas nous durcir contre nous-mêmes ou contre les autres. Veillons dans la prière : progressivement nous recevons tout comme un don de Dieu. Notre joie est authentique, celle d’être les filles et les fils bien-aimés du Père.

Seigneur Jésus, tu t’es librement engagé sur la voie du serviteur mourant dans l’ombre, rejoignant nos nuits. L’Amour a donné sa réponse. Tu nous prends tous sans exception dans ta clarté. Donne-nous de recevoir avec confiance et gratitude ce que tu ne cesses de nous donner.

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