Messe du 18e dimanche ordinaire

 Chers frères et soeurs,

Cardinal Henri Schwery, à Notre-Dame des Marches, Broc, FR, le 3 août 2003.

Lectures bibliques : Exode 16, 2-15; Ephésiens 4, 17-24; Jean 6, 24-35

Le meilleur de Dieu reste encore toujours à venir. Voilà une des Paroles de Dieu pour notre temps, que nous pouvons décrypter des lectures bibliques entendues ce matin. Il faut bien avouer d’emblée, que les événements contemporains dans le monde ne sont guère porteurs d’espérance. Dieu nous réserverait-t-il vraiment un avenir plus heureux ? … éventuellement à coups de miracles ?

Or, il y a une bonne trentaine de siècles, Dieu parlait à Moïse. Douze siècles plus tard, Jésus enseignait ses disciples. Et à l’aube du XXIe siècle, certains hommes n’ont pas entendu la Parole de Dieu, et d’autres en sont déçus car elle ne correspond pas à ce qu’ils voudraient entendre. Le Parole de Dieu demeure pourtant fidèle et constante. Jésus, Parole incarnée, s’était mis à enseigner les gens «parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger », puis il avait donné à manger à une foule affamée – comme nous l’ont rapporté les évangiles de ces deux derniers dimanches.

Le Christ, témoin de la Miséricorde du Père, n’est pourtant pas dupe quant à la motivation de ses auditeurs. « Vous me cherchez, non pas parce que vous avez vu des signes, … mais parce que vous avez mangé du pain jusqu’à satiété ». En ce temps-là comme aujourd’hui, l’homme dépassé par les adversités tourne vers Dieu des yeux remplis d’espoir. Et pourquoi pas ? La Miséricorde divine a accompli plus d’un miracle et l’Eglise même nous invite à la prière de demande, pour les autres ou pour nous-mêmes.

Cependant, Jésus nous enseigne que les « signes » doivent être dépassés. Il faut accommoder les yeux de son âme comme on accommode les yeux du corps pour regarder non pas les vitres de nos fenêtres mais, à travers elles, le paysage alentour.

Certes il faut des vitres aux fenêtres. Il faut aussi nourrir son corps ainsi que son esprit et son âme. Tout cela nous est aussi indispensable que les vitres à nos fenêtres. Et Jésus le sait bien, Lui qui a nourri les foules, guéri les malades, consolé les malheureux. Aujourd’hui, Il continue de témoigner de sa Miséricorde en motivant la générosité de ceux qui ont reçu son Evangile. Il le continue aussi par les œuvres de son Eglise chargée de prolonger son enseignement et d’aimer les hommes.

Tout cela est juste et nécessaire. Mais tout cela ne doit pas nous rendre myopes au point de ne pas voir au-delà. «Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd … » mais pour nourrir la vie divine qui a déjà germé en vous.

En d’autres termes, si vous êtes un bon musicien, un bon agriculteur, un bon ingénieur, une bonne ménagère, préoccupez-vous de devenir un « musicien bon », un « agriculteur bon », un « ingénieur bon », une « ménagère bonne ». Le simple déplacement de l’épithète en français suffit à définir le but de notre existence. Un bon curé est peut-être un bon administrateur, bon pédagogue, bon prédicateur. C’est bien insuffisant pourtant, tant qu’on ne peut pas dire de lui qu’il est, à l’image de son Seigneur, un « prêtre bon ».

Le bon peuple de Moïse avait faim et Dieu lui a donné une manne abondante. Mais pour devenir un « peuple bon », il devra se soumettre à l’épreuve de l’obéissance aux commandements. Voilà une étape certaine dans la marche de ceux qui veulent vivre d’une vie autre que temporelle.

La dernière phrase de l’évangile qu’on vient de lire nous entraîne pourtant plus loin. En effet, chers frères et sœurs, n’êtes-vous pas surpris de voir combien la nourriture est présente dans la Bible ? Elle semble former comme un fil rouge dans la trame pédagogique de la Révélation.

Les lois de la Création avaient montré, dès les origines, que les animaux se nourrissent mais que les hommes mangent. Les diverses cultures manifestent, au-delà de la nourriture corporelle, les autres bienfaits de la table : l’hospitalité, l’accueil, l’écoute réciproques, etc. Or la Parole de Dieu s’est servie des nourritures corporelles comme signes d’autre chose ou comme annonce de quelque chose de meilleur qui est encore à venir. Après les expériences d’Abraham, d’Elie, et d’autres prophètes, Amos proclamait que le Seigneur « enverrait dans le pays non pas une faim de pain ni une soif d’eau, mais bien celles d’entendre la Parole de Dieu» (Amos 8,11).

Et la Nouvelle Alliance poursuit dans la même pédagogie. Jésus n’a pas dédaigné les repas de fête (aux noces de Cana, aux festins des convertis), mais Il les a signalés comme des jalons sur le chemin conduisant à autre chose. Par exemple, la Samaritaine au bord du puits finit par comprendre qu’il y a une autre eau, nécessaire pour calmer d’autres soifs et garantir une autre vie. Il y eut encore les repas rituels de la Pâque, sans oublier les paraboles dans lesquelles Jésus parle de festins pour enseigner le Royaume de Dieu. Le rôle de la table, un tel fil rouge, dans une telle continuité pendant des générations, au cours des siècles, porte la marque de la pédagogie divine. Une telle constance dans la Révélation ne peut pas ne pas annoncer un sommet, bien au-delà des nourritures terrestres.

En effet, Jésus s’appuie sur le chemin déjà fait et il continue d’annoncer autre chose, « la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle, celle que donnera le Fils de l’homme». Plus tard, le soir du Jeudi Saint, les Apôtres assisteront enfin à l’annonce la plus inattendue qui soit. Celui qui leur avait dit « Moi, je suis le pain de la vie », n’en est pas resté à multiplier pains et poissons, Il s’est donné Lui-même à manger.

Voilà le terme d’une longue marche terrestre du Verbe de Dieu finalement incarné. À la charnière entre les deux Alliances, Marie apparaît comme un témoin privilégié parmi ceux qui ont accueilli la Parole. Sa vie durant, elle est, elle aussi, encore en chemin, persévérant dans l’espérance au milieu des peines et des joies.

À Cana, face à l’embarras du maître d’hôtel, contre tout espoir humainement parlant, Marie, même si elle ne sait pas ce que Jésus va décider, ne démontre-t-elle pas sa confiance en Lui, la certitude que le meilleur de Dieu est encore à venir ? Plus tard, elle aura connu la Résurrection de son Fils, elle a prié avec les Apôtres et communié aux premières célébrations de l’Eucharistie. À tous ceux qui ont le privilège aujourd’hui de communier au Corps du Christ, Marie redit avec éloquence que la marche du Chrétien a toujours, au-delà des objectifs terrestres, une rencontre à préparer et à attendre, car Dieu l’a promis. Et Dieu est toujours fidèle.

Le passage d’évangile que nous venons de lire nous invite donc à ne pas nous contenter d’être comptés parmi les « bons chrétiens », mais à nous améliorer sans cesse pour que la Miséricorde de Dieu transparaisse à travers des chrétiens vraiment bons. Le chemin demeure encore long pour chacun, mais un viatique nous est offert dans l’Eucharistie. Nourriture pour une autre vie qui a déjà commencé dès le baptême, la communion au Corps du Christ Eucharistique transforme nos espoirs humains en espérance authentique car elle est en même temps le gage et le signe que le meilleur de Dieu est encore toujours à venir.

Amen

 

 

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